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quarta-feira, 23 de fevereiro de 2011

Recherche sur la Médiumnité-1-Gabriel Delanne

 

Índice do BlogParte 1Parte 2


Gabriel Delanne

 

 

Recherche sur la Médiumnité

•    Etudes de travaux des savants
•    L’ecriture automatique des hysteriques
•    L’ecriture mecanique des mediums
•    Preuves absolues de nos communications avec le monde des esprits

 

 

– 1923 –


Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec
http://spirite.free.fr

 
INTRODUCTION

Qu'est-ce que le Spiritisme? Pour les savants, une superstition populaire; pour les prêtres catholiques ou protestants, une pratique démoniaque; pour les spirites, la démonstration expérimentale de l'existence de l'âme et de son immortalité. En France, le grand public est encore fort ignorant de cette nouvelle science. Malgré les efforts de ses adeptes depuis cinquante ans, malgré les livres excessivement nombreux où sont exposées ses expériences et ses théories, pour un grand nombre de personnes, il se résume dans la danse des tables et n'a aucune importance.
La vérité est tout autre. Les manifestations par lesquelles l'âme, après la mort, démontre sa survivance, sont nombreuses et très variées. Nous en avons fait l'historique dans d'autres ouvrages , nous n’y reviendrons donc pas ici. Il nous suffira de rappeler que les phénomènes peuvent avoir un aspect purement physique, comme les mouvements de table ou d’objets divers, avec ou sans contact, les apports, les lumières produites dans l’obscurité, la lévitation, les matérialisations, etc. ou bien constituer des manifestations intellectuelles présentées par les médiums voyants, auditifs, écrivains, etc.
Pendant longtemps, la science officielle a dédaigné de s'occuper de ces nouveautés qui avaient l'irrévérence de se produire en dehors des laboratoires officiels. Puis, harcelés par l'infatigable ardeur de la presse spirite et sous la poussée irrésistible des faits, quelques savants ont tenté timidement d'explorer le terrain défendu, et lorsqu'ils ont cru trouver une explication exclusivement physique ou physiologique de la médiumnité. Ils se sont empressés de proclamer que le spiritisme n'est qu'une erreur, et ses partisans les dupes d'illusions sensorielles encore peu connues.
Cependant ces affirmations n'ont pas semblé concluantes à beaucoup de chercheurs, et depuis que la Société anglaise de Recherches psychiques a établi la certitude des phénomènes de la télépathie, de la clairvoyance, de la suggestion mentale, un grand désir de savoir s'est emparé des classes instruites, et de tous côtés s'organisent des instituts qui se proposent de scruter rigoureusement tous les faits réputés mystérieux, afin de décider quelle est la cause qui les produit.
Le moment nous semble venu de faire une enquête approfondie sur la médiumnité, c'est-à-dire la faculté que possèdent certains individus de servir d'intermédiaire entre les hommes et les esprits. Etant donné la diversité considérable des faits à examiner, nous scinderons le problème en plusieurs parties; nous commencerons par le phénomène de l'écriture mécanique, d'abord parce qu'il a été l'objet de travaux importants et ensuite parce qu'il peut s'expliquer aujourd'hui, grâce aux découvertes faites récemment sur l'action à distance exercée par un esprit humain sur un autre esprit humain  dans des conditions bien déterminées.
Le Spiritisme tout entier, expérimental et philosophique, est basé sur la possibilité que nous avons de communiquer avec les esprits, c’est-à-dire avec les âmes des personnes qui ont vécu sur la terre. Sa puissance de démonstration repose entièrement sur la médiumnité: aucune étude n’est donc plus intéressante, ni d’un ordre plus vital pour ses adeptes, que celle qui a pour but la connaissance exacte des lois qui président à ces manifestations. Pendant trop longtemps on s’est contenté d’évoquer les esprits et d’enregistrer indistinctement toutes les productions des médiums, sans se demander si tout vient bien du monde spirituel et sans rechercher quelles sont les conditions physiologiques ou mentales qui favorisent ou entravent le phénomène, de sorte que l'on opérait d'une manière empirique et tout à fait défectueuse. Le Livre des Médiums d'Allan Kardec donne d'excellents conseils pour pratiquer les évocations; il fournit les explications nécessaires sur le discernement qu'il faut exercer dans l'appréciation des messages qui nous viennent de l'au-delà; il fait une énumération complète de tous les genres de manifestations; mais ses théories scientifiques, généralement très exactes, sont sommaires et ne satisfont plus notre besoin actuel de pénétrer plus profondément dans le mécanisme de la médiumnité. Nous allons donc reprendre cette étude en nous appuyant sur les données positives que nous possédons aujourd’hui, et nous espérons démontrer que non seulement les faits sont réels mais que la médiumnité véritable est bien due à l'action des intelligences désincarnées.
On appelle écriture mécanique le fait qui consiste pour une personne à écrire involontairement des mots et des phrases dont elle n'a pas conscience et dont elle ne peut prendre connaissance que lorsque l'influence qui dirige sa main a fini d'agir. C'est en faisant des expériences avec les tables tournantes que l'on en arriva petit à petit à trouver ce procédé. Comme les dictées par coups frappés ou par soulèvement du meuble étaient très lentes, quelques expérimentateurs eurent l'idée de se servir d'une planchette supportée par trois pieds dont l'un était remplacé par un crayon. En mettant ce petit appareil sur du papier blanc et en posant légèrement les mains sur le plateau, on vit la planchette se déplacer et le crayon tracer des caractères parfaitement lisibles. Plus tard encore, on reconnut que ces messages n'étaient obtenus que par certains individus auxquels on donna le nom de médiums; enfin il devint inutile d'avoir recours à la planchette, car ces médiums, en prenant directement le crayon dans la main, sentaient une force agir sur leur bras et recevaient ainsi des messages dont les idées, absolument différentes de celles qu'ils avaient ordinairement, leur paraissaient neuves et originales. Fréquemment, les communications étaient signées des noms de personnes décédées, elles contenaient des récits d'événements passés, inconnus de l'écrivain, et c'est ainsi que peu à peu les chercheurs furent convaincus qu'ils étaient bien en relation avec les âmes des morts.
Comme toutes les découvertes nouvelles, celle-ci fut accueillie par un scepticisme universel; il paraissait incroyable que l'on pût écrire inconsciemment, et les récits des spirites passaient pour des mystifications. Cependant ces phénomènes se produisant dans le monde entier, avec les mêmes caractères, et un grand nombre de personnes appartenant aux classes instruites avant pu devenir médiums, il fallut bien admettre, en dépit de leur étrangeté, la réalité des faits.
«On doit abandonner, dit M. Binet , l'explication grossière de la simulation, car il y a un nombre considérable de personnes dignes de foi qui affirment avoir été les auteurs du phénomène, avoir posé les mains sur des tables qui tournaient, avoir tenu des plumes qui écrivaient, sans la moindre volonté de faire mouvoir la table ou écrire la plume. Ce sont là des preuves suffisantes, quand une doctrine comme le spiritisme aboutit à bouleverser, le monde entier et fait des milliers de croyants. »
Un autre psychologue, M. Pierre Janet, eut incidemment l'occasion d'étudier cette question à propos de l'écriture automatique des hystériques, et après une revue historique incomplète et partiale du Spiritisme, il dit également : « Les doctrines que nous venons de résumer méritent une étude attentive et une discussion. Le scepticisme dédaigneux qui consiste à nier tout ce que l'on ne comprend pas et à répéter partout et toujours les mots de supercherie et de mystification, n'est pas plus de mise ici qu'au sujet des phénomènes du magnétisme animal. Le mouvement qui a provoqué la fondation d'une cinquantaine de journaux en Europe, qui a inspiré les croyances d'un nombre considérable de personnes, est loin d'être insignifiant. Il est trop général et trop persistant pour être dû à une simple plaisanterie locale et passagère »
« Il n'est pas possible, dit à son tour, M. Richet , que tant d'hommes distingués d’Angleterre, d'Amérique de France, d'Allemagne, d'Italie, se soient grossièrement et lourdement trompés. Toutes les objections qu'on leur a faites, ils les avaient pensées et discutées; on ne leur a rien appris en leur opposant, soit le hasard possible, soit la fraude; et ils y avaient songé bien avant qu'on le leur ait reproché, de sorte que j'ai peine à croire que leur travail ait été stérile et qu'ils aient médité, expérimenté sur de décevantes illusions. »
Il semblerait, d'après les citations précédentes, que ces auteurs vont enfin examiner sérieusement tous les phénomènes spirites et nous éclairer sur leur véritable cause. Ce serait trop demander et leur accès de courage ne va pas jusque là. Ils se limitent à une toute petite excursion sur le vaste champ de l'expérimentation spirite; ils s'attaquent à l'écriture automatique parce qu'ils s'imaginent en avoir trouvé l'explication, mais tous les autres phénomènes sont prudemment passés sous silence. C'est avec une regrettable désinvolture qu'ils exécutent cette petite manœuvre.
« Nous commencerons, dit M. Binet, par quelques éliminations nécessaires. Il existe, au dire des auteurs, certains phénomènes spiritiques produisent en dehors de l'action d'une personne ou d’une autre cause connue: ce sont les phénomènes dits physiques, comme les coups dans les murs, les tables et autres meubles qui se soulèvent d'eux-mêmes, sans qu'on y touche l'écriture directe par des crayons qui marchent tout seuls ou glissés entre deux ardoises; les apparitions d'esprits qu'on peut photographier et même mouler; nous ne nions pas ces phénomènes, parce que de parti pris nous ne voulons rien nier, mais la démonstration scientifique est encore attendue, nous n'en parlerons pas ». Evidemment, c'est plus commode que de discuter. Quant à l'affirmation que la démonstration scientifique n'est pas faite, c'est une échappatoire qui ne trompera que ceux qui ne sont pas familiarisés avec la question. Nous pensons que lorsque des hommes de la valeur de Robert Hare, Mapes, juge Edmonds en Amérique; Crookes, Wallace, Lodge, en Angleterre; Aksakof et Boutlerow en Russie; Fechner et Zöllner en Allemagne; Gibier en France, affirment, en compagnie de plusieurs milliers d'expérimentateurs, avoir constaté les phénomènes précités et les avoir contrôlés soigneusement, nous pensons que ces phénomènes ont une existence réelle et qu'ils rentrent dès lors dans le domaine scientifique .
Les mêmes remarques sont applicables à M. P. Janet, encore que ce psychologue soit moins rébarbatif que son confrère, car il avoue que les soulèvements de table sans contact, les déplacements d'objets non touchés « ne doivent pas être niés à la légère; ce sont peut-être les éléments d'une science future dont on parlera plus tard », mais il ne veut pas non plus s'en occuper, et pour cause. Cette partialité et ce misonéisme ne surprennent qu'à moitié. Il est dans l'ordre des choses que la vérité chemine lentement; la négation brutale de l'origine ne se transforme pas instantanément en adhésion formelle; il existe entre ces deux termes des transitions, et c'est déjà beaucoup d'avoir amené les classes instruites à reconnaître qu'une partie au moins des phénomènes médianimiques est véritable. Demain ce sera le tour d'une seconde catégorie et lentement peut-être, mais certainement, tous les autres faits seront étudiés.
Renfermons-nous donc actuellement dans les limites que ces messieurs ont tracées; acceptons, faute de mieux, leur sélection arbitraire et voyons si, même en se bornant à cette classe seule de phénomènes, ils en ont donné une explication qui porte un coup fatal à la doctrine spirite.

L'école des psycho-physiologistes avec Taine, Ch. Richet, A. Binet, P. Janet, etc., veut bien admettre maintenant que l'écriture automatique se produit chez certains sujets, mais loin de l'attribuer à l'intervention d'une intelligence étrangère, elle y voit tout simplement le symptôme d'une maladie mentale, d'une désagrégation de la personnalité. Chez les individus qui écrivent ainsi, il s'est produit une scission dans la conscience, de sorte qu'une partie du moi pense autrement que la personne normale et, involontairement, traduit cette pensée par l'écriture. Cette explication bizarre a été imaginée depuis une vingtaine d'années et l'on a donné à cette seconde partie inconnue de la conscience ordinaire les noms les plus divers: inconscient, subconscient, personnalité seconde, conscience subliminale, etc. Cette hypothèse sert également à rendre compte de certaines anomalies observées chez les hystériques, dans les maladies mentales, pendant  que  se  réalisent les suggestions ainsi que le somnambulisme et les cas de variations de la personnalité. Suivant cette manière de voir, la conscience n'est pas une unité indestructible, comme le pensent les spiritualistes; elle est constituée par un agrégat, une synthèse de sensations et de pensées. L'identité du moi ne serait donc qu'une illusion causée par la mémoire qui réunit entre eux ces états successifs, qui les relie les uns aux autres et leur donne l'apparence d'une continuité, alors qu'il n'y aurait de réel, comme le dit Taine, que « la file des événements». Chez les individus jouissant d'une santé normale, la synthèse est parfaite parce qu'elle embrasse toutes les sensations, toutes les pensées, tous les souvenirs mais chez certains malades tels que les hystériques, la névrose produit des désordres psychiques qui ont pour résultat la naissance d'une seconde synthèse douée de conscience autrement dit: il y aurait chez ces malades deux personnalités distinctes vivant  côte à côte dans le cerveau, et dont l'une au  moins - la conscience ordinaire - ignore l'existence de l'autre. Suivant M. P. Janet, il existe même jusqu'à trois ou quatre de ces personnalités surnuméraires. Les médiums seraient donc des hystériques chez lesquels s'est produit cette division de conscience, et l'écriture automatique résulterait de cette scission de la personnalité.
Nous verrons, en étudiant les faits, le degré de confiance qu'il faut accorder à ces suppositions. Sans anticiper, nous pouvons annoncer que tous les cas difficiles observés chez les hystériques se comprennent mieux par l'hypothèse d'une maladie de la mémoire, qu'en ayant recours à la théorie des personnalités sub-conscientes. Si nous ne suivons pas ces psychologues dans leurs spéculations théoriques, nous profiterons cependant des expériences ingénieuses qu'ils ont instituées, car elles nous seront utiles pour comprendre le mécanisme de l'écriture automatique et pour discerner les caractères qui séparent les hystériques des médiums. Nous verrons que l'automatisme se révèle chez des personnes dont la santé ne laisse rien à désirer, mais qui, sous l'empire de l'autosuggestion, s'imaginent être en rapport avec les esprits, tandis qu'elles n'écrivent que leurs propres pensées. Il est un principe de logique qui enseigne que l’on ne doit pas multiplier les causes sans nécessité. Nous appliquerons ce précepte en reconnaissant que le caractère automatique de l'écriture est insuffisant pour servir de critérium à la médiumnité. De ce qu'une personne écrit sans avoir conscience de ce que sa main trace sur le papier, il n'en résulte pas nécessairement qu'elle obéisse à l'influence des Esprits, elle peut certainement agir ainsi d'elle-même, comme nous le ferons voir par des exemples indiscutables.
C'est faute d'avoir tenu compte de cette possibilité, signalée dès l'origine par Allan Kardec, Jakson Davis, Hudson Tuttle et autres, que trop souvent les réunions spirites populaires sont discréditées par la lecture de prétentieuses élucubrations signées des noms les plus illustres. Mais si des spirites ignorants n'ont pas toujours montré le discernement nécessaire, les savants de leur côté, font tout à fait fausse route lorsqu'ils s'imaginent que l'écriture des hystériques peut être comparée aux véritables communications spirites. Celles-ci doivent se présenter à nous avec des caractères tels qu'il ne soit pas possible de les attribuer au médium. Comment trouver le critérium? Quelle règle nous permettra faire cette distinction ?
De même que jadis l'action d'écrire inconsciemment semblait un caractère absolu de la médiumnité, de même on a cru longtemps que la révélation d'un fait inconnu du médium établissait avec certitude l'intervention d'une intelligence étrangère. Ici encore, il faut faire des réserves, car une seconde catégorie d'adversaires va se dresser devant nous et nous combattre avec des arguments tirés de l'observation des phénomènes de l'animisme. Il est vrai que nous faisons un pas en avant, car si l'on nous objecte les pouvoirs transcendants de l'esprit humain, c'est reconnaître qu'il existe comme individualité distincte du corps, ce que les psychologues précédemment cités refusent absolument d'admettre.

Depuis un siècle, les magnétiseurs ont annoncé que certains de leurs sujets jouissent pendant le somnambulisme, de facultés sur normales: qu'ils peuvent, par exemple, voir des événements qui se passent au loin, lire dans des livres fermés, décrire avec exactitude ce que contient une boîte close en même temps que d'autres obéissent à des ordres mentaux que rien dans l'aspect du magnétiseur ne pouvait leur faire connaître. Tous ces phénomènes ont été constatés rigoureusement, un très grand nombre de fois, par des expérimentateurs sérieux, mais la science officielle niait avec opiniâtreté ces faits, se trouvant dans l'impossibilité de les expliquer avec ses théories matérialistes.
Il arrive trop souvent que l'on sacrifie les résultats positifs de l'observation lorsqu'ils ne rentrent pas dans le cadre des idées préconçues. Heureusement cet ostracisme commence à disparaître. Il s’est  formé  depuis 1882, en Angleterre une Société de Recherche Psychique qui compte parmi ses membres des notabilités scientifiques de premier ordre, comme l’éminent physicien W. Crookes, le célèbre naturaliste Alfred Russel Wallace, Oliver Lodge, tous les trois membres de la Société Royale; des professeurs, des psychologues, etc. Des enquêtes sévères ont été conduites pendant de longues années avec les précautions les plus minutieuses pour éviter les causes d'erreurs. On trouve dans les vingt-trois volumes publiés jusqu'à ce jour, des documents nombreux, circonstanciés, relatifs aux expériences et aux observations recueillies et vérifiées soigneusement par les investigateurs, de sorte que l'on peut affirmer aujourd'hui que la clairvoyance, la suggestion mentale, la télépathie sont des phénomènes naturels, au même titre que tous ceux qui ne se produisent pas constamment. Les aurores boréales, les orages magnétiques, les éruptions volcaniques, l'apparition des comètes, etc., ne sont pas des évènements journaliers, on ne les reproduit pas à volonté mais leur rareté relative n'est pas un argument contre leur authenticité, nous en fournirons les preuves pour notre sujet.
Ceci compris, des savants comme MM. Lombroso en Italie; Gurney, Sidgwick et Podmore en Angleterre; Hartmann en Allemagne, etc. nous disent: vous admettez que l'automatisme naturel est produit par une espèce d'hémisomnambulisme, donc le sujet peut posséder quelques-unes des facultés que vous reconnaissez au somnambule, de sorte qu'un fait inconnu signalé par l'écriture peut avoir été acquis au moyen de la  clairvoyance du sujet ou lui avoir été transmis par suggestion mentale; par conséquent, il n'est pas démontré qu'une intelligence supraterrestre soit nécessaire pour expliquer cette révélation, puisqu’elle peut provenir du médium lui-même. Cette argumentation renferme évidemment une part de vérité et nous constaterons qu'il faut en tenir compte pour expliquer certains cas; mais ici encore il est sage de se tenir en garde contre la manie de généraliser trop vite, car dans la multitude des faits observés il en existe un grand nombre qui sont rebelles, à cette interprétation.
On ne peut nier que ce soit une étude difficile, celle qui a pour objet de différencier en toute certitude les productions de l'animisme et celle du spiritisme, mais elle n'est pas impossible, nous chercherons à donner les indications nécessaires pour arriver à ce résultat.
C'est en analysant scrupuleusement toutes les manifestations spirites de certains médiums, que des savants, incrédules pendant longtemps furent cependant convertis. Le doc. R. Hodge  les professeurs Hyslop,  Oliver Lodge, William James P. W.  Myers, fort au courant de toutes les causes qui peuvent intervenir, ont fini par être convaincus de l'action des Esprits et ils l'ont courageusement avoué, ne craignant pas de rendre hommage à la vérité. Nous aurons donc à examiner attentivement quels rôles peuvent jouer dans les communications reçues par l'écriture automatique: 1° La mémoire latente, 2° la clairvoyance, 3° la lecture de pensée, 4° la suggestion orale et mentale, 5° la télépathie, 6° la prémonition et 7° enfin les souvenirs des vies antérieures.
Cette étude impartiale doit être faite par les spirites eux-mêmes pour montrer à leurs adversaires qu'ils ne redoutent aucune discussion. C'est bien à tort qu'on les a traités de sectaires qui ferment les yeux à l'évidence pour conserver leurs chimères. Ce sont des calomnies répandues pour discréditer l'immense portée du spiritisme, mais elles ne sauraient l'atteindre, car ses adeptes recherchent avant tout, la vérité. Nous ne devons pas craindre de nous engager dans la critique méthodique des communications, ce n'est qu'en suivant cette voie que nous constituerons la véritable science des rapports entre les vivants et les morts.
« Le spiritisme, dit Allan Kardec, ne pose en principe absolu  que ce qui est démontré avec évidence ou ce qui ressort logiquement de l'observation. Touchant à toutes les branches de  l'économie sociale, auxquelles il prête l’appui de ses propres découvertes, il s'assimilera toujours toutes les doctrines progressives de quelque ordre qu'elles soient, arrivées à l'état de vérités pratiques et sorties du domaine de l'utopie, sans cela il se suiciderait; en cessant d'être ce qu'il est, il mentirait à son origine et à son but providentiel. Le spiritisme marchant avec le progrès ne sera jamais débordé, parce que si de nouvelles découvertes lui démontrent qu'il est dans l'erreur sur un point  il se modifiera sur ce point;  si une nouvelle découverte se révèle, il l'acceptera. »
Nous avons le devoir de rejeter les phénomènes douteux, c'est-à-dire qui ne sont pas nettement attribuables aux esprits, pour ne retenir que ceux qui sont inattaquables. Nous serons obligés de citer souvent les auteurs qui ont écrit sur ces matières et pour laisser toute leur valeur aux arguments présentés, nous les reproduisons textuellement, de même que les récits de phénomènes qui gagnent à être connus en entier.
Une fois la part faite, aussi large que possible, à toutes les objections motivées et après une élimination soigneuse de tous les cas contestables, nous possédons encore une masse énorme de documents authentiques qui échappent  par leur nature même aux discussions précédentes. Telles sont, par exemple, les dictées de longue haleine obtenues par des ignorants, traitant de sujets historiques, scientifiques ou littéraires, tout à fait en dehors et au-dessus de leurs connaissances. Les histoires de Jeanne d'Arc et de Louis XI écrites par une fillette de quatorze ans, l'achèvement d'un roman de Dickens dû à un jeune mécanicien sans instruction ou les réponses de Mme d'Espérance sur la théorie mathématique du son, montrent à l'oeuvre des intelligences autres que celles des médiums. Les communications données en des langues inconnues de l'écrivain et correctement écrites ne peuvent certainement pas provenir de son cerveau, pas plus que les autographes qui reproduisent fidèlement l'écriture de personnes mortes depuis longtemps. Que diront encore les négateurs ou les partisans de la sub-conscience, de ces écritures produites par des illettrés ou des nourrissons qui ont peine à tenir le crayon? Sans doute ils auront pour ressource suprême de nier toujours, mais devant la bonne foi des témoins, l'accumulation des faits, la généralité des phénomènes, l'évidence finit par s'imposer même aux plus sceptiques, à moins de récuser tout témoignage humain.
On voit que, même en se restreignant aux exemples typiques, les documents ne font pas défaut mais les communications qui ne présentent pas des caractères aussi nets d'intervention spirituelle ne sont pas pour cela dépourvues d'intérêt.
Que l'on ne s'y trompe pas, en faisant intervenir la suggestion mentale on la télépathie dans l'explication des phénomènes, on restreint peut-être le champ du spiritisme, mais c'est pour l'ouvrir plus grand à l'animisme, c'est-à-dire à l'action de l'âme en dehors de son organisme physique. Si l'on démontre irréfutablement que la transmission de la pensée est possible si, d'autre part, la télépathie étudiée par des savants non spirites présente des cas ou l'hypothèse de l'hallucination doit faire place à celle d'un dédoublement de celui qui se fait voir, – soit parce que l'apparition déplace des objets matériels ou est vue par plusieurs témoins ou effraye des animaux ou peut être photographiée, – le spiritisme triomphe, puisqu'il a, depuis son origine, indiqué cette possibilité qui met en relief l'indépendance de l'esprit vis-à-vis du corps. Ce qui n'est dans ces exemples qu'une séparation momentanée de l'âme et du corps devient à la mort un état définitif, et si déjà, pendant la vie, l'âme sortie de son enveloppe corporelle agit sur la matière, se fait voir ou se communique à un médium, l'induction nous autorise pleinement à supposer qu'elle en fait autant quand elle est rentrée tout à fait dans l'espace.
La physique moderne, celle de la matière radiante, des rayons X, des ondes hertziennes; le magnétisme, l'hypnotisme, la suggestion verbale ou mentale, la clairvoyance, la télépathie et   le spiritisme, toutes ces connaissances nouvelles conduisent irrésistiblement l'homme vers l'invisible et l'au-delà. Le positivisme étroit de notre époque, en refusant de s'occuper de ce qui ne tombe pas sous les sens, croyait avoir relégué l'âme des spiritualistes dans le royaume des chimères, et voici que ses adeptes sont contraints d'en constater la réalité. « La question de la survivance de l'homme est une branche de la psychologie expérimentale » dit M. F. W. Myers, un des membres les plus savants de la Société de Recherches psychiques. Ce sera l'éternel honneur des spirites de l'avoir compris. Méprisés, calomniés, anathématisés, traités de charlatans ou d'hallucinés, ils ont persévéré avec une énergie sans égale dans leurs affirmations, ils en sont récompensés aujourd'hui par la joie d'avoir imposé au public lettré la discussion de leurs théories.
La lutte est ardente et sera probablement longue, car les préjugés religieux ou scientifiques ont la vie tenace, mais insensiblement l'évidence s'impose. Nous avons maintenant la conviction que la grandiose certitude de l'immortalité deviendra une vérité scientifique, dont les conséquences bienfaisantes se faisant sentir dans le monde entier, changeront les destinées de l'humanité.

                                 Paris, le 25 février 1900

Gabriel DELANNE.

 

 

 

 

 


PREMIÈRE PARTIE

 

 

 

 


Le Phénomène Spirite et
l'Écriture Automatique des Hystériques

 
CHAPITRE I

La  médiumnité  mécanique

Sommaire: Le spiritisme est une science d'observation. – Le médium est l'instrument nécessaire pour établir des rapports entre les hommes et les esprits. – Influence de l'organisme sur les manifestations. - Automatisme de l'écriture. – Le cas du Dr Cyriax. – Les explications des savants: Taine, Dr Carpenter, Carl du Prel, Hartmann, Aksakof. –    Les différents genres d'écriture. – En cercle, en spirale, à rebours. – L'écriture en miroir. –Différentes écritures du même médium. – Les cas du Révérend Stainton Mosès, de Mansfield, de Kate Fox, de Mme Piper. – Ecritures entremêlées et en langues étrangères. – Il faut étudier les caractères qui séparent l'écriture automatique de celle produite par les esprits désignée sous le nom d'écriture mécanique.

On a  souvent accusé les spirites de crédulité invétérée, et si les critiques ont eu parfois raison dans des cas particuliers, il n'est pas juste d'englober tous les adeptes dans cette réprobation. La vérité, au contraire, c'est que la plupart des partisans du spiritisme ne sont arrivés à la conviction qu'après avoir étudié longuement les phénomènes, vaincu leurs préjugés, et s'être persuadé expérimentalement que l'existence des esprits est une réalité indiscutable. Il en est des spirites comme de toutes les collectivités, il s'y trouve des intelligences à divers degrés de développement; les uns, faute de discernement et d'éducation scientifique, acceptent sans contrôle les assertions les plus invraisemblables qui leur parviennent par le canal des médiums; les autres cherchent à se rendre compte des faits,  en les analysant dans leur mode de production et au point de vue de leur valeur intellectuelle. On peut compter parmi ces derniers les hautes intelligences qui ont été conquises dernièrement au spiritisme, tant par une patiente investigation que par l'évidence irréfutable des manifestations.
Le moment est venu de mettre à profit  les nombreux travaux que nous possédons sur le sujet, et de tenter un essai d'explication scientifique de la médiumnité, en utilisant les documents fournis par tous les chercheurs. Nous aurons donc recours aussi bien aux études des psychologues, des membres de la Société de recherches psychiques ou des hypnotiseurs, qu'à celles des spirites proprement dits.
Essayons d'abord de bien comprendre ce qu'est un médium. Dans les sciences d'observation, on est très vite arrêté lorsqu'on ne dispose que de ses sens pour étudier les phénomènes. C'est grâce à l'invention d'instruments particuliers  à chaque ordre de faits que l'homme est arrivé à connaître d’une manière plus précise l'univers et ses lois. La lunette, le télescope l'analyse spectrale ont fondé l'astronomie positive. Le microscope a permis de découvrir les infiniment petits et de suivre la nature organique jusque dans ses intimes profondeurs. La physiologie doit ses progrès à un outillage délicat et toujours plus perfectionné, de même que la physique et la chimie sont arrivées à réaliser des merveilles par l'emploi de moyens mécaniques d'une puissance véritablement  prodigieuse.
Le domaine philosophique a été élargi à son tour dans de notables proportions par la psychologie expérimentale, c’est-à-dire par une méthode qui adjoint au sens intime à l'analyse introspective, l'étude des phénomènes de la vie qui ont en même temps un aspect physiologique et un corrélatif psychique. Parmi les procédés employés, le somnambulisme hypnotique a donné le moyen de procéder à des expériences; toutes les modalités de la sensibilité, de la mémoire ou de la volonté ont pu être soumises ensemble ou séparément, à des investigations variées, à de véritables manipulations de manière à jeter un jour tout nouveau sur leur mécanisme et sur leurs relations réciproques, le sujet hypnotique est l'instrument qui a rendu possibles ces découvertes.
Pour l'étude du monde spirituel, il nous faut également un instrument un intermédiaire entre l'humanité terrestre et l'humanité posthume; nous l'avons trouvé: c'est le médium. Comme il possède une âme et un corps, il accède par l'une à la vie de l'espace, et par l'autre il se rattache à la terre: il peut servir de truchement entre ces deux mondes. Nous avons évidemment le plus grand intérêt à bien connaître ce transmetteur, afin de pouvoir en utiliser toutes les propriétés. Il est urgent de spécifier ce qu’il est capable de faire par lui-même, afin de ne pas confondre son action avec celle qui est exercée sur lui. Nous devons donc définir dans les phénomènes de la médiumnité: 1° la part qu’il faut faire à l’organisme matériel du sujet; 2° celle qui est attribuable à son propre esprit; 3° celle qui lui est étrangère et dans ce cas, savoir si elle provient des assistants ou d’une intervention complètement indépendante.
Dès l’origine du spiritisme, ces distinctions ont été faites; on les trouve nettement indiquées dans l’œuvre d’Allan Kardec.

Influence de l'organisme

Nous savons que l'âme n'est pas une abstraction, un être immatériel, qu'elle est toujours associée à un substratum physique extrêmement subtil appelé périsprit. Mais précisément à cause du degré de raréfaction de son enveloppe, l'esprit ne peut agir directement sur la matière terrestre, il lui faut un intermédiaire. Pendant la vie, la force nerveuse est cette forme de l'énergie qui permet à l'esprit de mouvoir le corps, et par laquelle les sensations arrivent à l'âme.
Lorsque l'esprit, après la mort, habite dans l'espace, s'il veut déplacer un objet physique ou agir sur un être incarné, il doit emprunter cette énergie dont il est dépourvu, à un organisme vivant, capable de la lui fournir: le médium est ce générateur. Tout être humain apte à extérioriser sa force nerveuse, pourra servir de médium . La médiumnité n'est donc pas une faculté surnaturelle, un don miraculeux, elle dépend simplement d'une propriété physiologique du système nerveux, elle n'a aucun rapport nécessaire avec la moralité ou le degré d'intelligence du médium. On ne doit pas plus être surpris de rencontrer parfois des médiums indignes, que l'on est étonné de voir une bonne vue à des malfaiteurs, de l'adresse aux filous ou de l'éloquence à certains hommes politiques. Les esprits ont très souvent appuyé sur ce caractère physique de la médiumnité. A la demande faite par Allan Kardec, si le développement de la médiumnité est en rapport avec le développement moral du médium, il est répondu :

« Non, la faculté proprement dite tient à l'organisme, elle est indépendante du moral, il n'en est pas de même de l'usage, qui peut être bon ou mauvais, suivant les qualités du médium. »

A un endroit, l'Esprit Eraste dit aussi.

« Nous l'avons déjà dit: les médiums, en tant que médiums, n'ont qu'une influence secondaire dans les communications des esprits; leur tâche est celle d'une machine électrique qui transmet les dépêches télégraphiques, d'un point éloigné à un autre point éloigné de la terre. Ainsi, quand nous voulons dicter une communication, nous agissons sur le médium, comme l'employé du télégraphe sur son appareil. »

Dans la suite, nous verrons que l'émission de la force nerveuse est en relation directe avec l'état de santé du médium, et nous étudierons les variations qui résultent de cette cause, pour l'obtention des communications.

Influence de l'esprit du médium

Depuis quelques années, des psychologues anglais et français ont prétendu expliquer l'écriture automatique des médiums par l'action de la subconscience du sujet, agissant à l'insu de la personnalité ordinaire. Il existerait ainsi, chez les médiums et les hystériques, une seconde conscience, inconnue de la première, qui aurait un caractère particulier et des connaissances ignorées du sujet à l'état normal.
Ce moi désagrégé serait le seul auteur de l'écriture, et l'ignorance de l'écrivain relativement aux caractères que sa main trace, ne témoignerait nullement de l'intervention d'une intelligence étrangère. Nous étudierons en détail ces observations, pour en retenir ce qu'il y a d'intéressant au point de vue du mécanisme automatique de l'écriture, mais nous montrerons que le caractère essentiel de la médiumnité mécanique ne réside pas dans l'action involontaire d'écrire,  mais dans le contenu intellectuel du message ainsi obtenu.
Nous allons décrire d'une manière générale le phénomène de l'écriture mécanique, puis nous passerons en revue les particularités spéciales qui ont trait, soit au mécanisme de la communication, soit au contenu intellectuel des messages.

Automatisme de l'écriture

Parmi les nombreuses manifestations spirites, une des plus convaincantes pour celui qui en est l'objet, est sans contredit l'écriture mécanique, appelée aussi automatique. Sentir son bras agité de mouvements dont on n'est pas le maître, voir sa propre main écrire sous l'influence d'une volonté que l'on sent n'être pas la sienne, tracer sans interruption des pages entières dont on ignore le sens, c'est un fait bien propre à faire croire que l'on est sous l'influence d'une puissance étrangère, avec laquelle on désire faire plus ample connaissance. On n'arrive pas instantanément à ce résultat, il faut parfois de nombreux essais avant de pouvoir écrire couramment. Voici une instructive narration qui retrace fidèlement les phases par lesquelles on passe généralement. Elle est due au Dr Cyriax, directeur du « Spiritualistische Blaetter  ».
L'auteur raconte que voulant se mettre à l'abri de toute supercherie, il avait résolu d'étudier en famille les tables tournantes. Il tint vingt séances sans obtenir de résultats, et il était sur le point d'abandonner son enquête, lorsque à la vingt et unième fois, il constata quelques mouvements, Cédons-lui la parole.

« Dans cette vingt et unième séance, je ressentis à l'improviste une sensation toute particulière, tantôt de chaleur, tantôt de froid; je perçus ensuite une sorte de courant d'air froid qui passait sur mon visage et sur mes mains, puis il me sembla que mon bras gauche s'endormait, comme on l'a dit, mais l'impression était toute différente de celle de fatigue que j'avais ressentie dans les autres séances, et que je pouvais faire passer, soit en changeant la position, soit en remuant le bras, les mains ou les doigts. Actuellement, mon bras était pour ainsi dire paralysé, et ma volonté était impuissante à le faire bouger, pas plus que mes doigts; j'eus ensuite le sentiment que quelqu'un mettait mon bras en mouvement et quelle que fût la rapidité avec laquelle il s'agitait, je ne parvenais pas à l'arrêter.
« Comme ces mouvements avaient de l'analogie avec ceux que nous faisons pour écrire, ma femme alla chercher du papier et un crayon qu'elle mit sur la table; tout à coup ma main s'empare du crayon et, pendant quelques minutes, trace des signes dans le vide avec une incroyable rapidité, en sorte que mes deux voisins étaient obligés de se jeter en arrière pour ne pas être atteints; après quoi ma main s'abat brusquement sur le papier, le frappe violemment et brise la pointe du crayon. A ce moment, ma main reposait sur la table, je comprenais fort bien que ma volonté avait été tout à fait innocente des mouvements que je venais d'exécuter, de même qu'elle n'était pour rien dans la phase actuelle de repos;  le fait est que je n'avais pas pu arrêter mes gestes et qu'à présent je ne pouvais pas davantage remuer le bras, qui restait insensible et comme s'il ne m'appartenait plus. »
« Mais, lorsque le crayon taillé de nouveau fut remis à ma portée, ma main s'en saisit et commença à abîmer plusieurs feuilles de papier, les couvrant de grandes barres et de déchirures; puis elle se calma et, à notre profond étonnement, se mit à faire des exercices d'écriture tels qu'on en fait faire aux enfants: des traits d'abord, des jambages, puis des N, M, A, C, etc., puis enfin l'O sur lequel je restai longtemps, jusqu'à ce que la force qui animait mon bras fût parvenu à le faire mouvoir en cercle, toujours le même, avec une grande rapidité. Après cela, la force paraissant épuisée, l'agitation de mon bras cessa; je sentis un nouveau courant d'air froid passant de nouveau à travers et sur ma main, et bientôt toute fatigue et toute douleur avaient disparu. »

Bien que le Dr Cyriax habitât l'Amérique au moment où il tentait ses premiers essais, sa description est tout à fait semblable à celle que fait Allan Kardec, des débuts de l'écriture mécanique. Voici, en effet, ce que dit le grand initiateur .

« Le premier indice d'une disposition à écrire est une sorte de frémissement dans le bras et la main; peu à peu la main est entraînée par une impulsion qu'elle ne peut maîtriser. Souvent elle ne trace d'abord que des traits insignifiants, puis les caractères se dessinent de plus en plus nettement et l'écriture finit par acquérir la rapidité de l'écriture courante. Dans tous les cas, il faut abandonner la main à son mouvement naturel, et n'apporter ni résistance, ni propulsion. »
« Certains médiums écrivent couramment et avec facilité dès le début, quelquefois même dès la première séance, ce qui est assez rare; d'autres font pendant assez longtemps des barres et de véritables d'exercices calligraphiques. »

Eugène Nus raconte aussi comment la médiumnité de l'écriture se développa chez son ami Brunier .

Brunier devint plus tard ce qu'on appelle, dans le langage spirite, médium écrivain. Nous vîmes naître et se développer en lui cette faculté automatique: il prenait un crayon et laissait aller sa main, qui commença par tracer des lignes informes. Peu à peu, elle arriva à former des caractères à peu près nets, et enfin à écrire couramment... Quand il prenait un crayon pour se livrer à ces exercices, sa main devenait une véritable machine, aux mouvements nerveux, saccadés, rapides, rapides surtout.
Je me rappelle ce crayon posant parfois une question à l'un de nous et, quand la réponse n'arrivait pas prompte comme la pensée, s’agitant avec impatience, frappant convulsivement le papier qu'il maculait de petits points, et écrivant forcément: « mais répondez donc, mais réponds donc, Meray, je m'ennuie... »
J’ai retrouvé tout récemment dans de vieux papiers martelés par son crayon, plusieurs pages ainsi écrites sans que son esprit en eût conscience, et qu'après les avoir tracées, il lisait avec autant de curiosité que nous.

Nous venons de constater que c’était aussi le cas du Dr Cyriax. Nous lui rendons la parole.

« Le calme s'étant rétabli, nous levâmes la séance, heureux d'avoir constaté la manifestation d'une force indépendante de notre volonté propre et à laquelle il ne nous était pas possible de résister, que cette force fût magnétique ou spirite ou qu'elle provint de l'activité inconsciente du cerveau, c'était une question réservée jusqu'à nouvel ordre.»

Nous remarquons par cette dernière phrase, que l'observateur était au courant des théories qui expliquent l'écriture automatique par la subconscience, qu'il nomme l'activité inconsciente du cerveau; nous allons voir comment il acquit la conviction que l'influence qui le dirigeait lui était complètement étrangère.
« Quelque mince que fût le résultat obtenu, nous ne fûmes pas tranquilles avant d'avoir tenté d'autres expériences. Le lendemain soir, nous nous remettons à l’œuvre et, cette fois, l'attente ne fut pas longue. A peine cinq minutes s'étaient-elles écoulées, que déjà je sentais l'air froid, et que la même sensation était éprouvée par mes collègues. Puis survinrent des mouvements brusques et souvent douloureux de ma main gauche, qui frappait parfois, pendant plusieurs minutes de suite, le bord de la table à coups précipités avec une telle violence que je croyais devoir être écorché; à ma surprise, je ne découvris pas ensuite la moindre blessure, et toute trace de douleur disparut comme par enchantement.
« Dès ce jour, ma médiumnité se développa rapidement. Je commençai à écrire de la main gauche, d'abord comme exercice; puis vinrent des communications de différents esprits, et un soir je dessinai une corbeille de fleurs. Je dois dire que je suis très maladroit de la main gauche à l'état normal, ne sachant pas seulement m'en servir pour manger, à plus forte raison pour écrire; quant au dessin, je m'y entends fort peu, même avec la main droite. »
« J'avais maintenant acquis la plus entière certitude que la force qui écrivait et dessinait par mon entremise était indépendante de moi, et qu'elle devait résider dans une intelligence autre que la mienne, car, pendant ces manifestations, je conservais toute ma lucidité; je ne ressentais aucun inconvénient, sauf en ce qui concerne mon bras gauche, qui, pendant toute la séance, ne semblait plus m'appartenir, et me faisait l'effet d'être utilisé par quelqu'un d'autre, à mon insu et contre ma volonté même. Mon esprit y était pour si peu de chose que, tandis que ma main écrivait, je pouvais faire tout à mon aise la conversation avec les autres personnes du cercle. Un collègue, qui assistait un jour à la séance, ayant voulu arrêter le mouvement de ma main et ayant, pour cela, placé ses mains de manière à faire porter sur la mienne tout le poids de son corps, n'y réussit pas du tout; ma main poursuivit son travail avec force et régularité, tandis que c'est à peine si je sentais le poids des mains posées sur la mienne.»

Nous voyons par ce récit que le Dr Cyriax, d'après ses propres paroles, avait acquis la plus entière certitude que la force qui écrivait et dessinait par son entremise lui était absolument étrangère. Cet automatisme du bras et de la main, cette ignorance de la pensée qui s'inscrivait sur le papier, lui semblent une démonstration irréfutable de l'intervention d'une autre intelligence que la sienne. Eh bien! Si l'on en croît certains psychologues qui ont étudié cette question, ces deux caractères ne démontrent nullement qu'il y ait en jeu un autre agent que le Docteur lui-même, car c'est un personnage caché en lui, une seconde personnalité dont il ne soupçonne pas l'existence, qui est la cause du mouvement de sa main, l'intelligence qui se distingue de la sienne. Voici quelques remarques de ces observateurs sceptiques.

Les  Savants

D'après Taine, il peut parfaitement arriver qu'il se produise chez certains sujets un dédoublement mental spontané qui crée deux personnalités distinctes, lesquelles s'ignorent tout en existant simultanément. Voici comment il expose cette curieuse hypothèse  :

« Les manifestations spirites elles-mêmes nous montrent la coexistence, au même instant, dans le même individu, de deux volontés, de deux actions distinctes, l'une dont il a conscience, l'autre dont il n'a pas conscience et qu'il attribue à des êtres invisibles. »
« J'ai vu une personne qui, en cousant, en chantant, écrit sans regarder son papier, des phrases entières, sans avoir conscience de ce qu'elle écrit. A mes yeux, sa sincérité est parfaite; or, elle déclare qu'au bout de la page elle n'a aucune idée de ce qu'elle a tracé sur le papier; quand elle lit, elle en est étonnée, parfois alarmée. L'écriture est autre que son écriture ordinaire. Le mouvement des doigts et du crayon est raide et semble automatique. L'écrit finit toujours par une signature, celle d’une personne morte, et porte l’empreinte de pensées intimes, d'un arrière-fond mental que l’auteur ne voudrait pas divulguer. Certainement on constate ici un dédoublement du moi, la présence simultanée de deux séries parallèles et indépendantes, de deux centres d'action ou, si l'un veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le même cerveau; chacune a une oeuvre et une oeuvre différente, l'une sur la scène, l'autre dans la coulisse.»

Il nous serait facile de montrer que l'écrivain fait une pure hypothèse qui ne s'appuie sur aucune démonstration. Il semble avoir considéré que la croyance aux Esprits ne méritait pas même une discussion, aussi donne-t-il son argument d'une seconde personnalité, sans prendre la peine de la justifier autrement que par son affirmation. Si d'autres faits tirés de l'étude du magnétisme et de l'observation des cas de personnalités multiples n'étaient venus donner un appui à cette manière de voir, nous l'aurions passée sous silence, car il existe un grand nombre de cas qu'elle n'explique pas, comme nous le verrons par la suite; mais elle a  pris un caractère sérieux, depuis que des recherches très nombreuses sont venues lui donner une apparence de vérité, c'est pourquoi nous avons le devoir d'étudier attentivement ce que l'on a appelé l'automatisme psychologique, la subconscience, le moi subliminal, etc.
En Angleterre, le Dr Carpenter  a formulé une théorie sur ce qu’il nomme la cérébration  inconsciente, laquelle a  été employée souvent pour expliquer les communications spirites; malheureusement, comme le fait remarquer Alfred Russel Wallace  le savant docteur n'a pas cité un seul des phénomènes attestés de clairvoyance qui établissent l’insuffisance de son hypothèse.
En Allemagne, Carl du Prel et Hartmann sont partisans de l'inconscient, c'est-à-dire d'un second moi, différent de la personnalité ordinaire, lequel reste inconnu pendant la durée de notre vie et possède, par la clairvoyance et le dédoublement, des connaissances que nous ne pourrions jamais acquérir par les sens. Avec la théorie de ce second moi, il nous faut supposer que cette moitié cachée de nous-même, tandis qu'elle a des facultés supérieures aux nôtres, ne sent même pas qu'elle fait partie de nous; ou, si elle le sait, elle ment avec persistance puisque dans l'immense majorité des cas, elle adopte un nom distinct et se donne pour une individualité ayant vécu ici-bas. A son tour, notre cher défenseur Aksakof, adoptant en partie ces idées, écrit  :

1° - Il existe dans l'homme une conscience intérieure, en apparence indépendante de la conscience extérieure et qui est douée d'une intelligence et d'une volonté qui lui sont propres ainsi que d'une faculté de perception extraordinaire; cette conscience intérieure n'est ni connue de la conscience extérieure ni contrôlée par elle; elle n'est pas une simple manifestation de cette dernière, car ces deux consciences n'agissent pas toujours simultanément (d'après M. Hartmann, c'est une fonction des parties moyennes du cerveau; suivant l'expérience d'autres personnes, c'est une individualité, un être transcendanta. Nous laissons de côté ces définitions; il nous suffit de dire que l'activité psychique de l'homme se présente comme double: activité consciente et activité inconsciente - extérieure et intérieure, et que les facultés de cette dernière surpassent beaucoup celles de la première.)
2° - L'organisme humain peut agir à distance, en produisant un effet non seulement intellectuel ou physique mais plastique même, dépendant, selon toutes les apparences, d'une fonction spéciale de la conscience intérieure. Cette activité extra-corporelle est indépendante, semble-t-il, de la conscience extérieure, celle-ci n'en a pas connaissance, ne la dirige pas.
Nous verrons, après avoir étudié les faits, que toutes ces hypothèses peuvent se concilier parfaitement en admettant que l'âme, dégagée de l'organisme jouit de pouvoirs plus grands clairvoyance, dédoublement, etc. que dans l'état ordinaire et que c'est en rentrant dans son corps que le souvenir de ce qu'elle vient de faire est perdu; mais au moment où elle exerçait ses facultés elle était consciente, et c'est l'oubli de ce qui se passe pendant le dégagement qui a fait croire à deux individualités distinctes et indépendantes.

Nos savants français ne vont pas si loin que Carl du Prel et Hartmann; ils se bornent à l'étude des phénomènes observés chez les hystériques, soit à l'état normal, soit pendant l'hypnose, et encore en négligeant volontairement tout ce qui n'a pas une explication strictement matérialiste, de sorte qu'ils concluent à une désagrégation de la conscience qui se fractionnerait en personnalités secondaires, co-existantes avec le moi normal, et produisant tous les phénomènes que l'on ne peut pas attribuer à la conscience ordinaire. Avant d'analyser leurs travaux, il n'est pas inutile de connaître les formes multiples de l'écriture mécanique en observant toutes ces bizarreries, on comprendra mieux la complexité du problème.

Les différents genres d'écritures

On ne doit pas ignorer que l'on peut écrire inconsciemment soit en tenant une plume ou un crayon comme d'habitude, soit en posant la main sur une petite planchette supportée par trois pieds dont l'un est remplacé par un crayon. Alors, sans intervention volontaire de la part de  l'opérateur, le léger instrument se met en mouvement et trace des lettres ou des dessins compliqués. Ce procédé a été très en usage il a une quarantaine d’années et il est encore fort usité en Angleterre et en Amérique. Voici un récit qui décrit bien le phénomène :

« Je tiens à rappeler que je ne m'étais décidé à recourir au Spiritisme, qu'en désespoir de cause et à bout d'hypothèses raisonnablement permises, me semblait-il, sur la nature et la provenance des phénomènes dont j'ai parlé, (mouvements d'objets sans contact.) Je n’étais donc rien moins que disposé, en tentant l’aventure d’expériences médianimiques, à me payer de résultats équivoques. La planchette qui devait nous servir était disposée de façon à ce qu'il fût à peu près impossible à la main, légèrement appuyée sur le bord inférieur, de ramener en arrière le crayon fixé à l'autre bout. Or, dès que ma femme l'effleura du doigt, elle se mit en marche, débutant par des zigzags et des courbes en tous sens, comme exercices préparatoires, eût-on dit, puis bientôt se mit à écrire couramment. Quant à moi, je n'en obtins jamais une « panse d'a ». Particularité à noter, les réponses demandées, étaient le plus souvent tracées en spirales ou circulairement, parfois en lettres renversées. L'auteur quel qu'il fût, semblait se plaire à vaincre les obstacles et à donner des preuves de sa dextérité graphique. Mais prenons que cela ne prouve rien et mettons ces tours d'adresse sur le compte de l'électricité (ou de l'inconscient) développant chez le médium un talent qu'il ne soupçonnait pas. Toutefois une difficulté se présente. Si en pareil cas l'électricité (ou l'inconscient) combiné avec le désir du médium joue le rôle que lui attribuent les incrédules, comment expliquer  par exemple, l'arrêt immédiat et définitif de la planchette après des réponses comme celle-ci.
« A demain, au revoir, assez pour aujourd'hui; je suis obligé de vous quitter.» Comment, expliquer les refus catégoriques de répondre à certaines questions? Il n'y a alors désir qui tienne, instances ou dépit des questionneurs qui fassent, la planchette ne fonctionne plus, et si une heure leur a été fixée pour la reprise de l'entretien, ce n'est qu'à l'heure dite qu'elle se décide à se remettre en mouvement, j'ai constaté cela nombre de fois dans le cours de nos expériences à deux personnes.

M. Aksakof, qui a une si grande expérience en ces matières, arrive aux mêmes conclusions . Toutes les conditions étant absolument les mêmes, il arrive souvent qu'à une séance donnée, alors qu'on ne souhaite qu'assister aux phénomènes obtenus dans la séance précédente, on n’obtient aucun résultat, pas le moindre mouvement de la table ou du crayon que tient le médium, il est notoire que souvent un désir intense ne fait que nuire aux manifestations. « Les manifestations, s'il s'en produit, ne peuvent se continuer au gré des assistants. Ainsi lorsque l'esprit qui se manifeste par une communication écrite annonce qu'il a fini, le crayon s'arrête, – ou il tombe de la main du médium, si celui-ci est en transe, – et vous renouvellerez vainement vos questions, la main ne remue plus. De même dans une séance à effets physiques, dès que la fin est annoncée (par exemple par les mots c'est fini, comme c'était l'usage dans la famille Fox Missing Link P. 53); la table redevient immobile, et c'est en vain que vous y resterez, que vous tenterez de la faire mouvoir: plus un son, plus un mouvement ne se produit. »
M. William Howitt  un des écrivains estimés de l'Angleterre, dit dans une lettre adressée au  R. B. H. Forbes .

Je connais plusieurs personnes qui écrivent, dessinent ou peignent, sans aucun effort de leur part, quelques-unes n'ayant jamais appris le dessin. J'ai écrit un volume entier sans avoir eu besoin d'y penser, et d'une façon toute mécanique; j'ai exécuté une série de dessins circulaires remplis de petits sujets, tous différents les uns des autres, les cercles étant formés aussi régulièrement qu'un compas aurait pu le faire; pourtant ils étaient simplement faits au crayon. Des artistes auxquels je les fis voir déclarèrent qu'une faculté nouvelle se révélait en moi; mais hélas, la  faculté a disparu, comme pour prouver qu'elle n'appartenait pas à moi. Les dessins subsistent, mais je ne serais pas capable d'en faire une seule copie, même si ma vie en dépendait.
Un de nos parents a dessiné des choses charmantes et très extraordinaires, ainsi que des légendes écrites de la même façon mécanique et involontaire; de sorte que la plupart de ces dessins sont accompagnés de notes explicatives dont chaque ligne a un sens profond. J'ai vu la plus grande partie des manifestations produites par MM. Home, Squire et autres. J'ai vu des mains d'Esprits, je les ai touchées à plusieurs fois. J'ai vu de l'écriture tracée par les Esprits sur du papier posé avec un crayon sur le parquet.

Un M. Salgue, d'Angers, écrivait aussi en 1868 .

Nous avons, dans un cercle privé, une jeune dame, médium écrivain de la plus haute puissance, dont nous aimons à faire usage la moitié du temps, car ce qu'elle écrit, au moyen de la corbeille, avec une rapidité effrayante, est incontestablement le produit des Esprits, surtout quand les écrits se font en ronds, en spirales ou commencés par la dernière lettre du dernier mot d'une phrase, allant de droite à gauche.

Les caractères de l'écriture ne sont pas toujours tracés normalement comme nous venons de le constater, et c’est un fait qui se produit assez fréquemment pour avoir attiré l’attention des observateurs. M. F. W. H. Myers dit à ce sujet .

Quelquefois le mot ou message qui lui est écrit devient inintelligible; il peut  être abandonné alors  comme non sens, mais un minutieux examen postérieur montrera qu'il y a  une méthode dans cette confusion  apparente: le mot est simplement épelé à rebours. Par exemple « tiun » pour nuit, etc.

Dans la Revue Spirite  nous avons un témoignage analogue de M. le colonel Devolluet, observation qu'il fit avec son sujet Amélie.

Pendant que nous causons avec ces dames, Amélie tient toujours le crayon et appelle notre attention sur une phrase en langue étrangère qu'elle vient d'obtenir. Notre surprise est extrême, mais bientôt nous remarquons le mot « euq » et « ej » qui se répètent, le premier trois fois, le second deux fois, et nous sommes sur la voie: c'était de l’écriture renversée dont Amélie n'avait jamais entendu parler. La traduction était « Que voulez-vous que je vous fasse pour vous faire plaisir? Chers amis, que je vous aime! »

Revenons maintenant à M. P. W. H. Myers :

A côté de l'écriture à rebours déjà décrite, l'automatiste produira quelquefois une forme d'écriture renversée, d'une manière beaucoup plus complexe, c'est-à-dire que pour la lire il faudra regarder à travers le papier devant une lumière ou le tenir devant un miroir. Je connais une dame qui faisait de grossiers dessins automatiques, de grossières figures égyptiennes (intéressantes à un autre point de vue, mais étrangères à mon sujet immédiat). Parmi ces figures se trouvait un cartouche avec ce qui semblait une inscription hiéroglyphique. Cette dame et ses amis prenant la chose très au sérieux, se donnèrent beaucoup de mal pour déchiffrer ces caractères d'après les analogies égyptiennes, sans  pouvoir y parvenir. Quelques mois plus tard, une personne au courant de l'écriture automatique tint le papier devant la fenêtre et lut facilement ce qui était un nom anglais en écriture au miroir.
Un de nos amis, bien connu, me cite un cas où la première expérience d'écriture automatique était de cet ordre; le voici: une de nos sœurs, mariée à un clergyman, essayait de me persuader que toute écriture dite automatique, n'était d'une façon inconsciente quelconque que l'acte du médium par la main duquel elle s'obtenait et pour preuve, elle dit: « Si je tenais un crayon, ma main n'écrirait jamais rien, à moins que je ne le veuille. » Elle prit un crayon et du papier;  bientôt sa main commença à se mouvoir en dépit de tous ses efforts pour la retenir, et après nombre de griffonnages en cercles et en zigzags, produisit quelque chose qui ressemblait à de l'écriture, mais que personne ne put déchiffrer. Elle ne s'en occupa plus, mais au bout de quelque temps l'un de nous suggéra qu'elle pouvait avoir écrit à rebours et tenant le papier devant une glace on vit ces mots très lisibles: « Pas bon, mon nom est Herman. » Avant que ce fût écrit, elle avait demandé au supposé esprit de dire son nom et s'était moquée de son apparente inhabileté répondre. Aucun de nous ne se rappelle avoir connu un vivant ou un mort de ce nom »
ALGERNON JAY.

De son côté, M. Aksakof signale le même phénomène .

Voici un fait, dit-il, que je tiens de première main, de notre écrivain bien connu Wsevolod, Solovioff qui me l'a donné par écrit.
C'était au commencement de l'année 1882, je m'occupais à cette époque d'expériences de magnétisme et de spiritisme, et depuis quelque temps, j'éprouvais une étrange impulsion qui me poussait à prendre un crayon dans la main gauche et à écrire;  et invariablement, l'écriture se faisait très rapidement et avec beaucoup de netteté, en sens inverse, de droite à gauche, de sorte qu'on ne pouvait la lire qu'en la tenant devant une glace ou contre le jour...

Parfois l'écriture mécanique, sans présenter ces étrangetés graphiques, varie chez le médium de manière à se différencier profondément de sa propre écriture, suivant les individualités qui se servent de ce moyen pour nous transmettre leurs idées. De bons exemples nous en sont fournis par le révérend Stainton Mosès dans son livre Enseignements Spiritualistes.
Le Révérend Stainton Mosès (A. Oxon) était un des écrivains les plus remarquables du spiritisme anglais, et l'on peut dire que par son élévation de pensée, la rectitude de son jugement, ses connaissances scientifiques et la pureté de sa vie, il a su inspirer une sympathie universelle.
Dans son ouvrage, nous assistons à la lutte qui s'établit, dès l'origine, entre le médium et les intelligences qui se manifestaient par son intermédiaire. Tout imbu des enseignements étroits de la théologie protestante, l'écrivain s'élève d'abord énergiquement contre les idées nouvelles qu'il reçoit. Il discute, il ergote, il tente de réfuter ses instructeurs spirituels; mais insensiblement il est obligé de convenir que la raison, la logique ne sont pas de son côté, et après bien des luttes, il finit par adopter le nouveau credo, plus conforme à la justice et à la bonté de Dieu, que lui apportent ses invisibles correspondants.
Il existe entre l'esprit du révérend Stainton Mosès et les êtres qui signent: Doctor, Imperator, Prudens, etc., de telles différences, que l'on ne peut scientifiquement attribuer ces personnalités distinctes à des dédoublements inconscients de la personnalité du médium. D'ailleurs, à différentes reprises, ces intelligences lui ont révélé des faits absolument inconnus de lui et de tous les assistants, lesquels ont été ensuite reconnus absolument exacts. Nous y reviendrons plus tard . Chacun des interlocuteurs spirituels se caractérisait par une écriture spéciale, qui était sa marque propre, son cachet d'individualité.

Les premières communications, dit-il, furent toutes de style uniforme, écrites en petits caractères signées Doctor (instructeur). Pendant les années qui ont suivi, la forme de ces messages n'a jamais varié. N'importe où ni quand il écrivait, son écriture restait identique, subissant moins de changements que la mienne dans la dernière décade. Le tour de phrase restait le même, bref, on se sentait en présence d'une individualité bien déterminée. Pour moi, il est quelqu'un, avec ses particularités mentales et morales aussi nettement définies que celle des êtres humains avec lesquels je suis en contact, si, en vérité, je ne lui fais pas tort en le comparant à eux.
Après un certain temps, des communications vinrent d'autres sources elles se distinguèrent chacune par sa propre écriture et des traits personnels de style et d'expression, qui, une fois assumés, restèrent invariables. J'en arrivais à pouvoir dire de suite qui écrivait, en jetant les yeux sur la calligraphie.

Mais malgré ces différences graphiques et intellectuelles entre les diverses communications, le révérend Stainton Mosès n'était pas homme à se contenter d'un examen superficiel; son esprit méthodique le portait à rechercher la part que son intelligence pouvait prendre au phénomène, et il nota ses impressions de la manière suivante.

Il est intéressant de savoir si mes propres pensées n'ont pu exercer une influence quelconque sur les sujets traités dans les communications. J'ai pris une peine extraordinaire pour prévenir une telle éventualité. Au début, l'écriture était lente et je devais la suivre des yeux, mais dans ce cas même, les idées n'étaient pas miennes. Du reste, les messages prirent bientôt un caractère sur lequel je ne pouvais avoir de doutes, puisque les opinions énoncées étaient contraires à ma façon de penser. Je m'attachai à occuper mon esprit pendant que l'écriture se produisait: j'en arrivais à lire un ouvrage abstrait, à suivre un raisonnement serré, tandis que ma main écrivait avec une régularité soutenue. Les messages ainsi donnés couvraient de nombreuses pages, sans corrections ni fautes de composition, dans un style souvent beau et vigoureux. Je ne suis cependant pas embarrassé de convenir que mon propre esprit était utilisé, et que ce qui était dicté pouvait dépendre, dans la forme, des facultés mentales du médium autant que je le sache, on peut toujours retrouver la trace des particularités du médium dans les communications ainsi obtenues. Il ne peut guère en être autrement. Mais il reste certain que la masse des idées qui passèrent par moi était hostile, opposée dans son ensemble à mes convictions établies; de plus, en plusieurs occasions, des informations auxquelles j'étais assurément étranger, me furent apportées, claires, précises, définies, faciles à vérifier  et toujours exactes. A beaucoup de nos séances, des esprits venaient et frappaient sur la table des renseignements sur eux-mêmes, très nets que nous vérifiions ensuite. J'en ai reçu aussi, à plusieurs reprises, par l'écriture  automatique.

Comme il est facile de voir, le révérend Stainton Mosès est un investigateur méthodique dans lequel on peut avoir confiance, et puisqu'il déclare être sûr que les communications ne sont pas de lui, soit pour l'écriture, soit pour le fond; qu'il affirme que les intelligences qui ont dirigé sa main lui ont indiqué des choses exactes qu'il ignorait, il faut admettre que les esprits se manifestent, malgré l'ennui que cela peut causer à ceux qui voient ainsi tomber leurs négations  fantaisistes.
La théorie d'un dédoublement du moi, donnant naissance à un personnage secondaire, est ici manifestement insuffisante, car ce n'est plus une seule individualité qui se montre, mais plusieurs, dont chacune a son caractère spécial, lequel s'accuse non seulement par une écriture particulière, mais encore par un style qui se maintient pendant des années, toujours identique à lui-même. Peut-on concevoir la coexistence de tant de personnalités séparées et si différentes chez un individu jouissant de l'intégralité de ses facultés normales? Pour  expliquer tous les faits que nous devons à l'observation spirite, il faudrait étendre encore davantage les pouvoirs de cette subconscience et supposer qu'elle est capable d'agir, simultanément et sans le savoir, en dehors et en dedans de l'organisme du médium. En voici une preuve que nous devons à W. Crookes .

Il a été prouvé que ces phénomènes spirites sont gouvernés par une intelligence. Il est très important de connaître la  source de cette intelligence. Est-ce celle du médium ou bien celle d'une des personnes qui sont dans l'appartement, ou bien cette intelligence est-elle en dehors d'eux? Sans vouloir me prononcer positivement sur ce point, je puis dire que, tout en constatant que dans bien des cas la volonté et l'intelligence du médium ont paru avoir beaucoup d'action sur les phénomènes, j'ai observé aussi plusieurs cas qui semblent montrer d'une manière concluante l'action d'une intelligence extérieure et étrangère à toutes les personnes  présentes . L'espace ne me permet pas de donner ici tous les arguments qu'on peut mettre en avant pour prouver ces assertions, mais parmi un  grand nombre de faits, j'en citerai brièvement un ou deux.
En ma présence, plusieurs phénomènes se sont produits en même temps, et le médium ne les connaissait pas tous. Il m'est arrivé de voir Mlle Fox écrire automatiquement une communication pour un des assistants pendant qu'une autre comunication sur un autre sujet lui était donnée pour une autre personne au moyen de l'alphabet et par coups frappés, et pendant tout ce temps le médium causait avec une troisième personne, sans le moindre embarras, sur un sujet tout à fait différent des deux autres...

Nous pouvons rapporter encore quelques témoignages de la même catégorie, empruntés à différents auteurs dignes de toute créance.

Je me souviens très exactement, dit le Dr Wolfe  qu'un jour M. Mansfield, tandis qu'il écrivait des deux mains en deux langues, me dit: «. Wolfe, connaissez-vous en Colombie un homme qui a nom Jacobs? » Je répondis affirmativement. Il continua: « Il est ici et désire vous annoncer qu'il a quitté sa dépouille mortelle ce matin » J'eus la confirmation de cette nouvelle. Le fait s'est passé à une distance de quelques centaines de milles. Quelle explication peut-on donner de cette triple manifestation intellectuelle ?

Le révérend J.-B. Fergusson témoigne d'un fait semblable . Un cas analogue qui s'est produit en Angleterre est rapporté dans « les Proceedings de la Société de Recherches psychiques ».  En Amérique R. Hodgson, l'un des membres les plus éminents de cette société, en expérimentant avec Mrs Piper, a pu suivre avec elle le développement de la médiumnité automatique Nous donnons ici un extrait de son mémoire paru dans les Proceedings , il nous familiarise avec les phases diverses que peut présenter le phénomène.

Observations de M. R. Hodgson sur la médiumnité de Mme Piper

Le premier cas d'écriture automatique qu'il me fut donné d'observer par moi-même se produisit le 12 mars 1892.
L'assistant qui était une dame avait apporté, comme moyens d'épreuve, divers objets, entre autres une bague qui avait appartenu à Annie D***.
Phinuit  donna des renseignements sur cette dame et prononça le nom d'Annie, puis, au moment où la séance allait se terminer, la main droite de Mme Piper se mit doucement en mouvement jusqu'à ce qu'elle se fût élevée au-dessus de la tête. Le bras sembla se fixer avec rigidité dans cette position, comme contracté par un spasme, tandis que la main était agitée par un tremblement rapide. Phinuit s'écria à plusieurs reprises: « Elle tient ma main » et ajouta: « Elle veut écrire. » Je plaçai un crayon entre les doigts et un block-notes sur la tête, au-dessous du crayon. Aucune écriture ne se produisit jusqu'à ce que sur l'indication de Phinuit de prendre la main, je la saisis avec fermeté, à son point de jonction avec le poignet, arrêtant ainsi ses tremblements ou vibrations. Elle écrivit alors: « Je suis Annie D*** (le nom fut exactement donné)... Je ne suis pas morte... Je ne suis pas morte, mais vivante... je ne suis pas morte... le monde... au revoir... je suis Annie D***. » Les doigts lâchèrent le crayon et Phinuit commença à murmurer: « Abaissez ma main. » Le bras resta encore contracté quelques instants dans la même position, puis enfin, doucement et comme avec une certaine difficulté, il retomba sur le côté, et Phinuit sembla bien en avoir repris possession.
Avant ce fait, j'avais bien vu Phinuit écrire un peu, mais je ne savais pas qu'un autre agent se fût emparé de la main, tandis que Phinuit se manifestait en même temps. Depuis cette époque, j'ai appris de Miss A. M. R., dont j'ai décrit dans mon premier rapport quelques expériences avec Mme Piper, que son ami H***, dont elle parle comme ayant écrit pendant qu'il possédait le corps du médium, en l'absence de Phinuit, écrivit plusieurs pages, le 23 mai 1891 et Miss R*** a retrouvé la note qu'elle avait rédigée à ce sujet: « Ecrit tandis que Phinuit occupait le corps;  mais H*** dit qu'il a saisi, dirigé la main et écrit ceci. »
Les semaines suivantes, pendant plusieurs autres séances, beaucoup d'écriture fut obtenue tout à fait par le même procédé, en tenant toujours le block-notes sur le sommet de la tête et il était évident que Phinuit éprouvait beaucoup moins de difficultés. Le 29 avril 1892, j'approchai une table sur laquelle le bras droit de Mme Piper put se poser sans fatigue et j'émis l'opinion que la main pourrait écrire sur la table au lieu de le faire sur la tête. Cependant le bras reprit encore sa position avec la main au-dessus de la tête. Phinuit disant que Georges Pelham  allait écrire. Peu à peu, sur ma demande répétée reprit la nouvelle position et aussi en usant d’une force assez considérable, la résistance diminua devant les insistances réitérées que je faisais, en répétant: « Il faut que vous écriviez sur la table »; je parvins à abaisser le bras et, à partir de ce moment, l’écriture se produisit de façon habituelle avec le bras appuyé plus ou moins sur une table placée à la droite de Mme Piper.
Lorsque le bras est saisi en vue d'écrire, de même qu'au moment où Phinuit prend possession du corps, il se produit un certain nombre de mouvements spasmodiques, très violents dans quelques cas, rejetant pêle-mêle de la table crayons et block-notes, et qui exigent l'intervention d'une notable force pour être réfrénés. Quelquefois, mais assez rarement, l'écriture est interrompue par un mouvement spasmodique du bras, la main se raidissant violemment et se renversant sur le poignet. Au bout de peu de temps, qu'on peut apprécier par des secondes plutôt que par des minutes, le spasme se détend et la main recommence à écrire. Phinuit n'a pas besoin de cesser de causer pendant que la main écrit. Dans un cas, en ma présence, Phinuit écoutait la lecture du rapport sténographié d'une précédente séance, faisant ses observations, ajoutant des détails aux faits rapportés, et en même temps la main écrivait librement et avec rapidité sur d'autres sujets, répondant aux questions d'une autre personne amie de l'esprit désincarné qui se servait de cette main du médium. Ceci dura plus de vingt minutes.
Dans un autre cas, auquel je n'assistai pas, j'ai appris que Phinuit, pendant plus d'une heure, parla d'une façon particulièrement rapide et animée, avec plus de volubilité qu'il n'avait l'habitude de le faire, donnant la réplique à plusieurs jeunes filles qui étaient présentes à la séance, et pendant tout ce temps la main écrivait sur d'autres matières, donnant des réponses à une autre personne.
Le seul qui ne conserva évidemment pas sa présence d'esprit, fut l'assistant auquel la main répondait et auquel celle-ci reprocha de ne pas prêter assez d'attention à la conversation.
J'ai souvent constaté que Phinuit causait avec une personne et la main avec une autre, tous deux, pendant une très courte interruption, s'adressaient en même temps à moi: jamais cette double action n'a manqué de se produire à ma demande quand Phinuit était présent et que la main était au pouvoir d'un autre esprit. Dans tous les cas où la main écrit indépendamment de Phinuit, la faculté d'entendre siège manifestement dans la main, pour celui qui la dirige, tandis que Phinuit entend certainement toujours par la voie normale. Ce déplacement évident de sensibilité fera l'objet d'une étude dans la seconde partie de mon rapport. Les communications écrites dont nous parlons ne se présentent pas toujours comme venant de la même personne et il ne s'en produit pas à toutes les séances. Lorsqu'il en survint une, elle est ordinairement attribuée à quelque ami décédé de l'assistant. J'aurai à revenir plus loin sur les particularités présentées par l'écriture en elle-même. Pour le présent, qu'il me suffise de dire qu'elle varie beaucoup d'aspect selon le degré d'excitation, si on peut ainsi parler, du communicant, selon l'habitude plus ou moins grande qu'il a déjà acquise, et probablement aussi selon bien d'autres conditions qu'on ne peut citer qu'à titre d'hypothèses. Il semblerait, en  outre, que jusqu'à ce qu'on l'en instruise d'une façon quelconque, la quasi-personnalité qui guide la main ignore qu'elle écrit. Sous ce rapport, la façon d'être du communicant semble surtout indiquer une vive préoccupation de transmettre ses idées à l'assistant. Je suis absolument certain qu'il en est ainsi, quelle que soit la théorie que l'on adopte sur l'identité du communicant, qu'il soit ce qu'il prétend être ou simplement une autre couche de la conscience de Mme Piper, se considérant elle-même comme une intelligence étrangère. Peu après ce début de l'écriture, il m'arriva de constater que la main gauche pouvait écrire et même que les deux mains écrivaient et que Phinuit parlait, tout en même temps, sur des sujets différents avec des personnes différentes. Je fis remarquer à Phinuit que je ne désespérais pas de voir un jour chaque doigt et chaque orteil agir sous autant d’agents distincts, tandis qu'il continuerait à diriger la voix.
Le 24 février 1894, ce que nous appelions le contrôle « E » écrivit parmi d'autres remarques sur certains médiums: « Dans les cas de ce genre, il n'y a aucune raison qui s'oppose à ce que divers êtres spirituels puissent exposer leurs idées en même temps au moyen du même organisme. » Je présentai alors mon sujet d'expériences sur les deux mains, en disant que je me proposais d'organiser un jour une expérience dans laquelle « E » se servirait d'une main et Georges de l'autre, mais que pour le moment je n'avais pas pris les dispositions nécessaires pour faire une tentative de ce genre.
A la séance suivante, le 26 février 1894, étant seul et ne m'attendant à rien, un essai, couronné seulement d'un succès fort limité, fut fait tout à fait au début de la séance pour écrire avec les deux mains indépendantes. Le 18 mars 1895, m'étant fait accompagner dans ce but par Miss Edmunds, je tentai un second essai qui obtint un résultat beaucoup plus satisfaisant. Sa sœur décédée écrivit avec une main, Georges Peiham avec l'autre, tandis que Phinuit causait de tout simultanément et sur des sujets différents. La main gauche n'écrivit, il est vrai, que fort peu de choses. Ce qui sembla surtout provoquer ce résultat est que la main gauche n'était nullement adaptée au rôle de machine à écrire. »
Quelquefois, peu de temps avant que la main se mette à écrire, Phinuit nous annonce que quelqu'un vient pour « causer avec vous-même. » D’autres fois la main est saisie, s’agite convulsivement en tous sens, tandis que Phinuit inconscient de ce qui se passe, cause sans interruption avec un assistant, même lorsque l'écriture a commencé.
Voici un exemple frappant de ce fait: à une séance où une dame était engagée à fond dans une conversation toute personnelle avec Phinuit sur le compte de ses parents, et où j’étais présent et assistant, car je connaissais intimement cette dame et toute sa famille, la main fut saisie avec une grande douceur, pour ainsi dire subrepticement, et écrivit à mon adresse une communication très personnelle, se présentant comme venant d’un de mes amis décédé, qui n’avait aucune relation quelconque avec la dame qui évoquait, absolument comme si un visiteur entrait dans un salon où causeraient deux personnes qui lui seraient étrangères, mais où il rencontrerait également un de ses amis, à l’oreille duquel il viendrait murmurer une communication, de façon à ne pas troubler la conversation des deux premiers.
Cependant, quand survient un nouveau communicant, Phinuit ne demande souvent à l'évocateur de lui parler (à celui qui écrit) quoique Phinuit ne se refuse nullement à engager aussi la conversation, lorsqu'on le lui demande. Il semble même préférer qu'il en soit ainsi: mais si l'évocateur paraît attacher surtout son attention à la main, Phinuit fait généralement quelque remarque énigmatique: « je l'aiderai » ou bien: « je l'aiderai à se tirer d'affaire.» D'autres fois, Phinuit demandera de lui donner un objet quelconque, de façon à tenir quelque chose qui fixe son attention, et je l'ai vu, au milieu d'une séance, tandis que l'écriture suivait son cours, laisser échapper tout à coup une remarque à propos de cet objet. Dans certains cas, Phinuit peut sûrement être tiré de son silence, en causant à l'oreille, et reprend la conversation, tandis que l'écriture continue imperturbablement sans temps d'arrêt.

Comme on le voit, nous sommes fort loin ici des cas simples signalés par Taine ou par les observateurs qui ne se sont pas donnés la peine de compulser la riche bibliothèque spirite. Nous terminons cette revue écourtée par un cas récent qui résume en quelque sorte tout ce que nous venons de voir dans des observations particulières; il nous paraît nécessiter absolument, pour être compris, l'intervention d'intelligences étrangères au médium .

Le récit de ce curieux phénomène a été communiqué au colonel Malvotti et, par celui-ci,  à M. Cavalli, avec les protestations les plus sérieuses de sincérité. Dans une séance où assistait le narrateur, se présentèrent plusieurs esprits: un frère mort depuis plusieurs siècles, un Français, la mère du narrateur, la grand'mère de sa femme et autres. Comme expérience, ils demandèrent à communiquer en même temps. Le médium narrateur, fonctionnaire de l’Etat, qui pour ce motif même ne peut donner son nom, numérota les feuilles du papier, puis il écrivit; il se trouva que la première communication, commencée à la ligne 1, se continuait à la ligne 5, à la ligne 12, à la ligne 15, etc., toutes les lignes furent écrites dans l’ordre 1,2,3,4, etc. et lorsque l’on voulait lire en suivant cet ordre, on ne trouva aucun sens à la page à la page d’écriture. Mais en suivant l’ordre marqué par les esprits, on trouva de belles communications. Mais  voici  le plus curieux: la première communication était écrite en latin, la seconde en français, la troisième en italien, la quatrième en italien retourné (il fallait lire en sens inverse, de droite à gauche), la cinquième, encore en italien, mais il fallait commencer par la dernière ligne d'en bas et remonter pour la lire. Puis suivit une série de prédictions qui se sont réalisées, entre autres celle d'une maladie grave du médium. Est-ce le subconscient qui a fait ce tour de force? C'est bien douteux et il est plus rationnel de recourir à l'hypothèse spirite, qui d'ailleurs n'exclut pas l'hypothèse du subconscient.

Nous pourrions ajouter à cette liste d'autres récits dans lesquels l'intervention d'intelligences étrangères au médium est évidente; nous les retrouverons dans la suite, lorsque nous étudierons les communications écrites dans des langues inconnues du médium ou par des enfants en bas âge et des illettrés. En ce moment, nous devons chercher tout d'abord si l'écriture automatique peut être obtenue par le médium lui-même par suite d'une certaine disposition psychophysiologique, puis, lorsque nous aurons constaté que cela est possible, il nous faudra discerner les caractères qui séparent l'écriture automatique subconsciente de celle qui provient nécessairement d'une autre source.
Les auteurs français qui ont traité cette question dans leurs études sur l'hypnose et l'hystérie n'ont fait qu'effleurer ces problèmes et se sont contentés d'analogies grossières, sans aller jusqu'au fond du sujet. Nous avons le devoir de ne pas les imiter, c'est pourquoi nous allons passer de suite à l'examen des travaux de MM. Binet et Pierre Janet qui ont conquis une certaine notoriété dans ce genre de recherches.
Il existe une confusion entre les phénomènes automatiques et les véritables communications spirites qu'il importe de ne pas laisser plus longtemps s'accréditer dans la science. On peut certainement constater chez certaines personnes l'existence d'une forme automatique de l'écriture, qui a pu prendre naissance à la suite d'essais tentés dans des séances spirites ou dont on a provoqué la formation par un entraînement graduel avec des hystériques dans les hôpitaux. Mais ces formes frustes du phénomène ne sont pas comparables à la médiumnité, car celle-ci se distingue par des caractères spéciaux qui ne permettent pas de la confondre avec l’automatisme pur et simple. C’est ce que nous allons constater dans les deux chapitres suivants, en signalant les erreurs d’interprétations auxquelles ces curieuses expériences ont donné lieu.
 
CHAPITRE II


Etudes sur la personnalité et l'écriture
des hystériques

Sommaire: Comment les psychologues contemporains envisagent la personnalité. – C'est une synthèse toujours variable des sensations qui arrivent  par les sens. – Ce que l'on appelle l'inconscient. – La vie somnambulique et ses caractères. – Les recherches de   M. Binet. – L'écriture automatique des hystériques. – Faut-il croire à l'existence d'un personnage subconscient? – Tout se comprend aussi bien par une maladie de la mémoire.

La personnalité

Pour élucider le problème de l'écriture mécanique, il est de toute urgence que nous connaissions les faits que l'on a groupés sous les noms divers: d'automatisme psychologique, d'altérations de la personnalité, de désagrégation mentale, etc. En nous initiant aux recherches des psychologues contemporains, nous comprendrons mieux leur argumentation relative au sujet dont nous avons entrepris l'étude.
Après les travaux de MM. Ribot, Charles Richet, Beaunis, Binet, Pierre Janet en France; de MM. Gurney et Myers en Angleterre; de Carl du Prel en Allemagne, il semblerait bien que l'ancienne conception du moi – restant identique pendant toute la durée de l'existence – dût être profondément modifiée. La personnalité ne serait pas une unité, elle résulterait d'une suite de phénomènes successifs, se rattachant les uns aux autres par la mémoire, lesquels, par leur continuité, donneraient l'illusion d'être un tout cohérent, alors qu'ils ne seraient qu'une synthèse d'états de conscience, dont chacun se rattacherait directement à un état physique particulier de l'organisme, et plus particulièrement du cerveau.
De même qu'un charbon enflammé qui tourne très rapidement donne l'illusion d'un cercle de feu, par suite de la persistance des impressions lumineuses que chacun des points qu'il occupe successivement laisse sur la rétine, de même le moi ne serait constitué que de phénomènes séparés, distincts les uns des autres, dont l'agrégation peut varier, et varie en effet suivant l'état du système nerveux, jusqu'à constituer des personnalités secondaires qui succèdent au moi normal, et même qui peuvent co-exister avec lui. Voyons sur quelles observations se fonde cette théorie.
Notre personnalité psychique est constituée d'abord par une réunion, une coordination des innombrables actions nerveuses de la vie organique. Le cerveau est le lieu où convergent finalement ces éléments, et la couche corticale représente toutes les formes de l'activité nerveuse: viscérale, musculaire, tactile, visuelle, auditive, olfactive, gustative, motrice, significative. Toutes ces activités cérébrales ont entre elles des connexions innombrables, les unes innées, les autres créées par l'expérience; elles présentent tous les degrés possibles du très stable au très instable, c'est un enchevêtrement extraordinaire, et si chaque action nerveuse était un son musical, on pourrait dire que la personnalité n'est que la mélodie que l'on perçoit au-dessus de l'accompagnement.
A vrai dire, cette comparaison est en partie défectueuse en ce sens que le moi est autre chose encore que la mélodie. Celle-ci est indépendante de l'accompagnement; elle pourrait exister sans lui; tandis que le moi résulte de la solidarité, de la pénétration mutuelle et de la combinaison de certains de ces éléments.
Les sensations qui nous viennent sans relâche du monde extérieur et que nous percevons suivant la nature spéciale de nos appareils sensoriaux, sont accompagnées d'émotions, et forment par leur comparaison les jugements, par leur association des pensées, que le langage rend de plus en plus abstraites. C'est la seconde source de notre richesse intellectuelle.
Malgré l'afflux incessant des sensations et la multiplicité des états de conscience, il ne faudrait pas croire que notre personnalité est simplement une résultante, incessamment instable, de tous les éléments divers qui concourent à la former. La mémoire a un rôle des plus importants, car c'est elle qui assure la continuité de la vie psychique. Tous les états de conscience déterminés par les perceptions, les émotions, les idées, les volitions, ne sont pas épars dans le cerveau; ils se groupent entre eux pour former des composés complexes, mais tout en s'associant, ils conservent une liaison avec les régions du cerveau qui leur ont donné naissance. Si l'on veut essayer de se représenter une bonne mémoire, on peut se figurer un grand nombre d'éléments nerveux31 chacun modifié d'une manière particulière, chacun faisant partie d'une association, et probablement apte à entrer dans plusieurs, chacune de ces associations renfermant les conditions d'existence des états de conscience. La mémoire a des bases statistiques et des bases dynamiques. Sa puissance est en raison de leur nombre et de leur stabilité.
Mais le moi n'est pas seulement une mémoire, un emmagasinement de souvenirs liés au présent, il est constitué également par un groupe régulier d'instincts, de tendances, de désirs qui proviennent de sa façon propre, spéciale, de réagir et qui forment ce qu'on appelle le caractère. Tant que les conditions physiologiques ne varient pas dans de trop grandes proportions, la stabilité du moi se maintient; mais l'évolution de la naissance à la mort entraîne nécessairement des changements. Suivant l'âge, les divers devoirs de la vie, les événements, les maladies, les excitations du moment, certaines tendances sont renforcées, tel ou tel complexus d'idées domine, le centre de gravité du moi se déplace, la personnalité change et devient autre.

« Les états de conscience, dit M. Ribot , ne sont pas des feux-follets qui s'allument et s'éteignent tour à tour; il y a quelque chose qui les unit et qui est l'expression subjective de leur coordination objective. Là est la raison dernière de leur continuité... C'est l'organisme et le cerveau, sa représentation suprême, qui est la personnalité réelle, contenant en lui les restes de tout ce que nous avons été et les possibilités de tout ce que nous serons. Le caractère individuel est écrit là avec ses aptitudes actives et passives, ses sympathies ou antipathies, son génie, son talent ou sa sottise, ses vertus et ses vices, sa torpeur ou son activité. Ce qui en émerge jusqu'à la conscience est peu au prix de ce qui reste enseveli, quoique agissant. La personnalité consciente n'est jamais qu'une faible partie de la personnalité physique » .

L'Inconscient

La somme des états de conscience est en effet très inférieure à la somme des actions nerveuses – organiques et sensorielles – qui arrivent au cerveau. Pour préciser, pendant une période de cinq minutes, il se produit en nous un défilé de sensations, sentiments, images, idées, actes. La science est en état de les compter, d'en déterminer le nombre avec une exactitude suffisante. Pendant le même laps de temps, chez le même homme, il se sera produit un nombre d'actions nerveuses bien plus considérable. La personnalité consciente ne peut donc être une représentation de tout ce qui se passe dans les centres nerveux: elle n'en est qu'un extrait, qu'une réduction .
Voici donc une première source d'impressions nerveuses arrivées au sensorium sans que la conscience ordinaire en ait été avertie, elles sont d'origine organique; mais il en est qui proviennent de l'extérieur et qui sont enregistrées en nous sans que notre moi prenne la peine de changer ces sensations en perceptions. Chacun sait que si l'on est absorbé par la lecture d'un livre, on n'entendra pas la pendule sonner, on ne prêtera pas d'attention aux variations de la température: en réfléchissant sur ce que l'auteur a voulu dire dans tel ou tel passage, on regardera sans les voir les objets environnants, en un mot, une très grande quantité de sensations passeront inaperçues, mais si elles n'arrivent pas jusqu'à la phase consciente, le phénomène physiologique de l'enregistrement n'en subsiste pas moins, il reste acquis et augmente la réserve d'impressions nerveuses non perçues.
Une autre source vient alimenter aussi ce que l'on a appelé l'inconscient; c'est la rentrée à l'état latent d'une multitude d'états de conscience devenus inutiles et dont le nombre énorme serait une entrave insurmontable au fonctionnement de l'intelligence. Il est certain que toutes les connaissances que nous avons acquises par l'étude, l'observation ou l'expérience, ne  peuvent co-exister avec le même degré d'intensité; elles sont obligées de s'ordonner en séries, de s'associer à d'autres, pour laisser le champ libre à de nouvelles acquisitions. D'autre part si pour atteindre un souvenir lointain il nous fallait remonter la série entière des termes qui nous en séparent, la mémoire serait impossible à cause de la longueur de l'opération. Il est donc nécessaire qu'une très grande quantité d'états de conscience restent à l'état latent, pour que la mémoire conserve toute sa vigueur.
Nous employons à dessein ce mot d'état latent, qui correspond à ce qu'on appelle l'oubli. L'oubli suppose, à tort, l'effacement absolu du souvenir; on sait, par expérience, qu'il est loin d'en être toujours ainsi. Il suffit qu'une personne étrangère nous dépeigne avec précision les détails et les circonstances d'un  fait que l'on supposait effacé, pour que celui-ci revive dans la mémoire: « C'est vrai, s'écrie-t-on, je l'avais oublié! » Le fait était donc simplement entré à l'état latent.
Il existe enfin une dernière cause, et peut-être la plus importante, qui enrichit l'inconscient: c'est le travail de l'esprit pendant le repos du corps. Le souvenir de cette activité de l’âme ne subsistant pas ordinairement pendant la veille, il semble lorsque les résultats de ce labeur nocturne arrivent à la conscience normale, qu'ils soient engendrés par une intelligence étrangère. Les productions scientifiques, artistiques ou littéraires, en offrent de nombreux exemples. Comme ce sujet est des plus importants, nous allons citer quelques cas réunis par le Dr Gyel qui les a empruntés au Dr Chabaneix .
Les exemples d'activité subconsciente pendant le sommeil ou au réveil sont multiples. On peut citer, d'après leurs propres déclarations, comme ayant observé et utilisé le travail psychique pendant le sommeil: Condorcet, Franklin, Michelet, Condillac, Arago.
Voltaire raconte avoir rêvé une nuit un chant complet de la Henriade, autrement qu'il ne l'avait écrit. La Fontaine fit en rêve la fable des deux Pigeons. Cardan dit avoir composé un de ses ouvrages tout entier en rêve, et Maignan aurait ainsi trouvé des théorèmes importants.

« J'ai eu souvent dans mes rêves, rapporte Burdach, des idées scientifiques qui me paraissaient tellement importantes qu'elles m'éveillaient. Dans bien des cas, elles roulaient sur des objets dont je m'occupais à la même époque, mais elles m'étaient entièrement étrangères quant à leur contenu. »

Le cas suivant de Coleridge est fort net.

« Coleridge s'endormit en lisant, et, à son réveil, il sentit qu'il avait composé quelque chose comme deux ou trois cents vers qu'il n'avait qu'à écrire. » Cinquante-quatre furent écrits sans effort et  « aussi vite que la plume pouvait courir »; mais ayant été interrompu par quelqu'un qui resta environ une heure pour une affaire, Coleridge, à sa grande surprise et mortification, trouva que, quoiqu'il eût encore un vague souvenir de l'ensemble général de sa vision, à l'exception de huit ou dix vers épars, tout le reste avait disparu. »

Nous verrons que si l'on avait connu à cette époque les phénomènes du somnambulisme, il aurait peut-être été possible de mettre le poète en sommeil, ce qui lui eût permis de retrouver son poème, resté dans les dessous de sa conscience, à l'état latent.
M. de Rosny déclare qu'il a l'habitude de mettre à côté de son lit un crayon et du papier, et qu'il se réveille parfois en sursaut pour écrire des notes importantes. Dans quelques cas, l'influence subconsciente dans le sommeil se traduit par un rêve hallucinatoire; c'est ce qui eut lieu pour Tartini: rêvant que le diable exécute sur son violon une sonate merveilleuse, il se réveille brusquement et l'écrit de mémoire.
Dans tous ces exemples le souvenir est conservé, mais dans la généralité des cas, l'oubli est la règle, et alors si le souvenir revient brusquement, il se traduit par cette sorte d'irruption soudaine que l'on nomme l'inspiration. On voit donc qu'il existe dans le cerveau, ou plus exactement dans le périsprit, une masse énorme de sensations non perçues et d'états de consciences retombés à l'état latent, c'est-à-dire en dehors du champ de la conscience ordinaire; mais ces matériaux ne sont pas perdus, ils survivent intégralement et l'on peut en fournir des preuves expérimentales par les phénomènes du somnambulisme.

La vie somnambulique

Si l'oubli des rêves est la règle générale dans la vie ordinaire, on peut dire que la même modification de la mémoire accompagne le sommeil produit par les pratiques du magnétisme ou de l'hypnotisme. Il est d'observation courante: 1o que le sujet, pendant son état de veille, ne se rappelle aucun des événements qui se sont produits pendant le somnambulisme; 2° qu'au contraire, mis en somnambulisme, il se souvient non seulement de tout ce qui s'est passé pendant ses sommeils antérieurs, mais encore des événements appartenant à son état normal.

« Le plus souvent, quand on met une personne en somnanbulisme, dit M. Binet  on la laisse dans cet état pendant une heure et plus, et on emploie ce temps à faire sur elle une foule d'expériences; au réveil, le sujet ne se souvient de rien; il est obligé de regarder à la pendule pour savoir combien de temps on l'a laissé en somnambulisme; si on lui présente des personnes pendant son état second, il ne les reconnaît pas au réveil pour les avoir déjà vues; si même on lui montre une lettre qu'on vient de lui faire écrire en somnambulisme, il peut bien reconnaître son écriture, mais il ne se souvient pas d'avoir écrit et il ne peut pas dire un mot du contenu de la lettre. Il peut y avoir des exceptions, surtout chez les sujets dont le somnambulisme est léger, mais l'oubli reste la règle dans l'immense majorité des cas.  Le livre de la vie somnambulique se ferme au réveil et la personne normale ne peut pas le lire. »

Si le somnambulisme durait longtemps, un ou plusieurs jours, et que le sujet eût les yeux ouverts, une personne étrangère ne pourrait savoir qu'il est sous l'influence magnétique ou hypnotique. C'est ce qui a été observé dans les cas de somnambulisme spontané et les exemples de Félida , de Mlle  R. L. , de Louis V  et à un autre point de vue, celui du sergent observé par le Dr Mesnet , sont des cas de personnalités successives qui ont ceci de particulier que la seconde connaît la première, alors que la réciproque n'est pas vraie.
Nous allons assister à présent à deux vies psychologiques différentes, qui semblent exister en même temps chez le sujet, et ce qui nous intéressera particulièrement, c'est que précisément la seconde ne témoignera son existence que par l'écriture automatique. C'est à M. Gurney, psychologue anglais, que cette observation est due . Elle vient la première en date, et nous verrons que ce procédé a été suivi par MM. P. Janet et Binet, en faisant varier les méthodes pour l'obtenir. Suivons pour cette citation l'ouvrage de M. Binet .

Ecriture automatique

Les cas de personnalités alternantes, comme celui de Félida ou de Mlle R.L., montrent la séparation de deux existences psychologiques qui constituent, l’une la vie normale, l’autre le somnambulisme vigil. Lorsque la vie normale reprend son cours, tous les souvenirs du somnambulisme sont effacés. Que devient donc cette seconde vie qui a sa caractéristique spéciale, c’est-à-dire des souvenirs, des émotions, des préoccupations qui lui sont propres? L’expérience va nous révéler qu’elle peut subsister pendant l’état de veille, sans que le sujet normal en ait le moindre soupçon.
M. Gurney a institué l'expérience suivante: on a dit un nom, cité un chiffre, raconté un fait, récité une poésie devant une personne qui est en somnambulisme artificiel; et on ne lui a donné aucune suggestion particulière, relativement aux paroles qu'on a prononcée; on réveille la personne;  elle ne se souvient de rien, comme c'est la règle. Ce n'est pas un oubli de complaisance, c'est un oubli véritable, et si profond, que malgré la promesse d'un souverain – moyen employé par M. Gurney comme critérium de sincérité – le sujet ne peut retrouver un mot de ce que l'on a dit devant lui quelques instants auparavant. Alors, on prend sa main, on place un crayon entre ses doigts ou bien, ce qui revient au même, on lui fait poser la main à plat sur une planchette spéciale (celle usitée par les spirites) munie d'un crayon, et on lui cache sa main et l'instrument au moyen d'un grand écran interposé. En moins d'une minute la main s'agite, elle écrit, et ce qu'elle écrit, ce sont précisément les mots qu'on vient de prononcer devant le sujet en somnambulisme, et que son moi normal de l'état de veille ne connaît pas.
Le résultat de cette expérience est déjà curieux;  les conditions spéciales dans lesquelles on la produit le sont davantage.
La main du sujet écrit et lui-même ne sait pas ce que sa main écrit; alors même que sa main et son bras ne sont pas insensibles et peuvent ressentir pressions et piqûres, le sujet ne perçoit rien; parfois, il arrive, avec un peu d'exercice, à sentir le mouvement et à en deviner la nature; mais c'est une modification du phénomène qui résulte de ce que le sujet y applique son attention; dès les premières expériences, il ne perçoit rien, et il y a des personnes qui, quoi qu'elles fassent, sont toujours inconscientes.
L'expérimentateur anglais s'est attaché à bien montrer que c'est la vie somnambulique qui surgit au sein de la vie normale rétablie, et pour cela il a observé que si l'on remet le sujet en somnanbulisme après l’expérience de l’écriture, il se rappelle non seulement les mots qu’ils a écrits, mais encore il peut dire qu’il s’est servi de la planchette. La mémoire relie les deux états et en démontre l’unité psychologique.
Comment expliquer ce fait? M. Binet croit que c'est une démonstration évidente de l'existence simultanée de deux personnalités chez le sujet, mais dont l'une – le moi normal – ignore la présence de l'autre. Il pense que ce dédoublement est dû à une division de la conscience :

« La personne en expérience, dit-il, est revenue à l'état de veille, elle a repris l'orientation ordinaire de ses idées; en elle survit, sans qu'elle en ait conscience, un reste de la vie somnambulique qu'elle vient de franchir. C'est une collection de phénomènes psychologiques qui restent isolés de la conscience normale, et qui cependant sont doués de conscience; ils forment une petite conscience à côté de la grande, un point lumineux à côté du grand foyer de lumière. »

Nous voici donc une première fois en présence d'un phénomène qui présente des analogies avec l'écriture médianimique. Ici, comme là, il y a automatisme de la main et inconscience du sens des caractères tracés. Mais cette ressemblance est toute superficielle, car dans l'expérience de M. Gurney nous avons affaire à un sujet qui répète servilement ce qu'il a entendu et ceci sous l'influence d'une suggestion tactile. Nous verrons que la caractéristique de la médiumnité consiste en ce que le médium n'est pas hypnotisé à l'avance, et qu'il fait preuve de connaissances qu'il n'a jamais pu acquérir par l'intermédiaire des sens;  mais ce qu'il est intéressant pour nous d'étudier dans ce cas, c'est le mécanisme par lequel une idée latente arrive à se traduire extérieurement par l'écriture, à l'insu de la personnalité normale.

Nous voulons rappeler deux choses: 1o que le mécanisme de l'écriture est dû à une association stable de mouvements coordonnés du système nerveux, lesquels par leur répétition excessivement fréquente sont devenus machinaux; 20 qu'une impulsion volontaire très faible peut le mettre en mouvement; 3° que le souvenir de cette impulsion volontaire peut disparaître lorsque l'attention du sujet est détournée de l'acte qu'il accomplit. Si ces propositions sont exactes, il n'y aurait pas deux consciences co-existantes, mais une seule présentant deux phases successives, séparées par des mémoires différentes. Voici les faits sur lesquels nous nous appuyons.

Mécanisme de l’écriture

Nous savons tous qu'il faut une éducation assez longue pour apprendre à écrire. Tout d'abord il est nécessaire de fixer dans le cerveau le souvenir de la forme des lettres, puis, en même temps, habituer les muscles du bras et de la main à tracer les dessins qui représentent ces lettres. Il y a dans les premiers temps une incoordination générale. La représentation graphique traduit mal la vision mentale. Lorsqu'un enfant apprend à écrire, – dit Lewes – il lui est impossible de remuer sa main toute seule;  il fait mouvoir aussi sa langue, les muscles de sa face et même son pied. Tous, quand nous essayons pour la première fois un acte musculaire, nous dépensons une grande quantité d'énergie superflue, que nous apprenons graduellement à restreindre au nécessaire. Il se forme dans les éléments nerveux correspondant aux organes moteurs, des associations dynamiques secondaires, de plus en plus stables par la répétition du même acte, qui s'ajoutent aux associations automatiques, primitives et permanentes .
Plus un mouvement musculaire est renouvelé, moins il exige d'efforts pour se produire.

« Toute impression (sur ce système nerveux), dit M. Delboeuf, laisse une trace ineffaçable, c'est-à-dire que les moléculles une fois arrangées autrement et forcées de vibrer d'une autre façon, ne se remettront plus exactement dans l'état primitif. Si j'effleure la surface d'une eau tranquille avec une plume, le liquide ne reprendra plus la forme qu'il avait auparavant; il pourra de nouveau présenter une surface tranquille, mais les molécules auront changé de place, et un œil suffisamment pénétrant y découvrirait certainement l'événement du passage de la plume. Des molécules animales dérangées ont donc acquis par là un degré plus ou moins faible d'aptitude à subir ce dérangement. Sans doute, si cette même activité extérieure ne vient plus agir sur ces molécules, elles tendront à reprendre leur mouvement naturel mais les choses se passeront tout autrement si elles subissent à plusieurs reprises cette même action. Dans ce cas elles perdront peu à peu la faculté de revenir à leur mouvement naturel et s'identifieront de plus en plus avec celui qui leur est imprimé, au point qu'il leur deviendra naturel à son tour et que plus tard elles obéiront a la moindre cause qui les mettra en branle . »

Que l'on ne croit pas que ce sont là de simples théories, il existe des observations pathologiques qui montrent que ces explications sont exactes.
Les localisations cérébrales qui correspondent à la connaissance des lettres sont associées, par l'habitude, avec l'ensemble des groupements dynamiques qui président aux mouvements de l'écriture; mais il peut arriver que la maladie détruise cette liaison, et alors on assiste à ce spectacle vraiment fantastique d'un homme qui écrit et qui ne peut pas lire son écriture – c'est la cécité verbale, – ou bien d'un homme qui, sachant fort bien ses lettres, n'est plus capable d'en tracer une seule, alors même qu'il peut dessiner (agraphie).
Il y a véritablement en nous un mécanisme très compliqué qui nous sert à tracer les caractères qui forment l'écriture, sans que nous pensions spécialement à la forme de chacune des lettres. Le mot vient à la pensée et la main l'écrit sans effort, avec l'orthographe nécessaire. C'est ce mécanisme qui opère sous l'influence de la suggestion tactile déterminée par la planchette ou par le crayon mis entre les mains du somnambule.
Normalement, c'est la volonté qui agit: lorsque nous avons l'habitude d'écrire il nous suffit de vouloir pour que la main obéissante traduise graphiquement notre pensée; mais il peut arriver qu'involontairement, la main trace mécaniquement un mot que nous avons pensé. En voici la preuve :

« La personne sur laquelle je fais l'expérience, dit M. Gley ,  prend une plume ou un crayon,  je lui dis de penser à un nom et que je vais, sans qu'elle me dise rien, bien entendu, écrire ce nom; alors je lui saisis la main et, tenant celle-ci, et paraissant la diriger comme lorsqu'on apprend à écrire a un enfant, en réalité je la laisse aller, car c'est la personne même qui écrit le nom en question sans en avoir conscience. (Inversement, on peut tenir soi-même la plume et se faire conduire la main par le sujet en expérience. La pratique toutefois m'a montré qu'on réussit mieux de la première manière. Une précaution utile à prendre consiste à faire fermer les yeux au sujet ou à le prier de regarder droit devant lui ou en l'air, bref, ailleurs que sur le papier. »
« J'ai réussi cette petite expérience sur un grand nombre de personnes d'âges divers et de l'un ou de l'autre sexe, de conditions sociales variées, très bonnes en général. C'est dire qu'il n'y a pas à tenir compte d'un état plus ou moins morbide du système nerveux (hystérie, par exemple.) Dans la plupart des cas, les mouvements graphiques sont absolument inconscients;  dans quelques cas, au bout d'un temps variable, mais toujours très appréciable, le sujet s’aperçoit qu’il exécute des mouvements; ceux-ci cessent conséquemment d’être inconscients pour devenir involontaires. J’ai toujours réussi jusqu’à présent, et du premier coup avec les personnes qui savent un peu dessiner, à plus forte raison avec des peintres ou avec des sculpteurs. »

Nous voyons dans ce cas une idée agir sur le mécanisme de l'écriture, indépendamment de la volonté. L'idée a-t-elle donc en soi une force motrice? C'est ce que pense M. Gley.

« Si les choses se passent ainsi, c'est, je crois, parce qu'il entre dans toute représentation mentale des éléments moteurs; ceux-ci jouent pour la constitution et par suite dans le rappel de l'image, un rôle plus ou moins important suivant les individus. Qu'est-ce en particulier qu'un nom? Il y a déjà longtemps que M. Charcot a montré de la façon la plus claire (voyez en particulier le Progrès médical, 1883)  que le mot est un complexus constitué par l'association de quatre espèces d'images: auditive, visuelle, motrice d'articulation et motrice graphique.
« Mais chaque groupe d'images n'est pas également important chez tous les individus. On sait très bien que les uns sont plutôt des images auditives, les autres sont plutôt des visuels, suivant l'expression usitée aujourd'hui, les autres des moteurs. Penser à un nom pour les uns, c'est donc surtout, et pour quelques-uns même, c'est exclusivement entendre ce nom (image auditive); pour les autres, c'est le voir; pour d'autres encore, c'est le prononcer  (image motrice d'articulation) et pour un dernier groupe c'est l'écrire (image graphique). Que l'on n'oublie pas que pour beaucoup (les indifférents, comme les a appelés M. Charcot), les images des trois catégories peuvent être utilisées. »

Ainsi donc, il est bien exact qu'une pensée peut se traduire par l'écriture sans participation volontaire de la part de l'écrivain; mais n'oublions pas que c'est grâce à une suggestion tactile exercée par l'opérateur qui pose sa main sur celle du scripteur. Sans cela l'expérience ne réussirait pas. J'aurais beau pensé au mot homme et fermer les yeux en laissant ma main inerte sur le papier, elle ne se mettra pas d'elle-même en mouvement sans l'adjuvant d'une suggestion étrangère. Il en est de même dans le cas rapporté par M. Gurney: c'est  sa volonté agissant sur le sujet qui a stimulé la pensée latente, laquelle s'est traduite par les mouvements de la planchette. Nous allons constater que ce sont des phénomènes semblables qui ont lieu dans les expériences instituées par M. Binet.

Les recherches de Dr Binet

Exposons d'abord les faits et les déductions que M. Binet en a tirées, puis nous discuterons ses conclusions, principalement au point de vue de la dualité de conscience .
L'auteur indique en premier lieu quelles sont les conditions les plus fréquentes où il croit que l'on peut observer la coexistence de deux moi distincts. Elles sont au nombre de deux.
La première est l'insensibilité hystérique. Si une partie du corps d'une personne est insensible, elle ignore ce qui s'y passe, et d'autre part les centres nerveux en relation avec cette région insensible peuvent continuer d'agir, comme cela a lieu dans l'hystérie; il en résulte que certains actes, souvent simples, mais parfois très compliqués, s'accomplissent dans le corps d'un hystérique et à son insu; bien plus, ces actes sont souvent de nature psychique et manifestent une intelligence qui sera, par suite, distincte de celle du sujet et constituera – selon M. Binet – un deuxième moi, coexistant avec le premier.
Une seconde condition peut amener la division de conscience: ce n'est pas une altération de la sensibilité, c'est une attitude particulière de l'esprit, la concentration de l'attention sur un point unique; il résulte de cet état de concentration que l'esprit devient distrait pour le reste, et en quelque sorte insensible, ce qui ouvre la carrière aux actions automatiques; ces actions, en se compliquant comme dans le cas précédent, peuvent prendre un caractère psychique et constituer des intelligences parasites vivant côte à côte avec la personnalité normale qui ne les connaît pas.
Voyons donc ces deux conditions de soi-disant division de conscience .

L’insensibilité des hystériques

On trouve chez un grand nombre d'hystériques, étudiés à l'état de veille et en dehors de leurs crises convulsives, un stigmate appelé jadis: La griffe du diable, qui est simplement une partie du corps insensible. Le siège et l'étendue de l'insensibilité hystérique sont très variables;  parfois, elle envahit le corps entier;  plus souvent elle n’occupe qu’une partie du corps, par exemple la moitié gauche, intéressant à des degrés divers la sensibilité générale, le toucher, le sens musculaire et les sens spéciaux de la vue, de l'ouïe, de l'odorat et du goût. Chez d'autres, l'insensibilité, dont la distribution ne s'explique par aucune particularité anatomique ou physiologique connue, se limite dans une petite région du tronc ou des membres et se présente par exemple, sous la forme d'une petite plaque de la peau, qu'on peut piquer, pincer, brûler et exciter de la façon la plus énergique, sans éveiller la moindre sensation de douleur, sans même que le contact soit perçu.
Les signes auxquels on  reconnaît l'anesthésie sont variés. Les principaux sont:
1°  l'abaissement de température des parties non sensibles;
2°  l'absence d'hémorragie après les piqûres;
3° la diminution de la force musculaire volontaire, mesurée au dynamomètre;
4° la forme de la contraction musculaire;
5° l'absence de fatigue;
6° l'allongement du temps de réaction et
7° enfin l'absence de cris de douleur ou de mouvement de surprise lorsqu'on excite brusquement et fortement la région insensible, à l'insu du malade. Aucun de ces phénomènes n'a la valeur d'un signe constant; mais la présence de quelques-uns est une sérieuse garantie pour l'observateur.
Les sujets du Dr Binet ont été choisis parmi ceux qui présentent une insensibilité superficielle et profonde avec perte du sens musculaire. On prend ce sujet dans son état normal, pendant la veille, sans lui faire subir aucune préparation.
Le seul dispositif des expériences consiste à lui cacher la vue de son bras anesthésique, en le ramenant derrière son dos ou en faisant usage d'un écran. Les choses étant ainsi disposées, il est facile – au moins dans certains cas – de provoquer, à l'insu du malade, des mouvements intelligents.
Commençons par l'étude des mouvements de répétition, ce sont les plus faciles à produire. Le bras insensible du sujet lui étant caché par un écran, on fait exécuter à ce bras, avec lenteur ou rapidement, un mouvement régulier, comme un mouvement de va et vient vers la bouche ou bien on fait tourner l'avant-bras autour du coude ou on anime un doigt de mouvements alternatifs de flexion ou d'extension. Si on abandonne alors brusquement le membre au milieu de sa course, on voit continuer le mouvement pendant un certain temps, qui varie avec les sujets; chez les uns, le mouvement communiqué se prolonge très peu;  le poignet qui vient de fléchir plusieurs fois de suite se relève à peine quand on l'abandonne: le mouvement est si léger et si fugitif qu'à moins d'être avertion ne le remarquerait pas. Au contraire, chez d'autres malades, le mouvement communiqué peut être répété plusieurs fois de suite, et même il arrive que la répétition a lieu plus de cent fois de suite sans interruption.
Dès qu'on met un crayon dans la main insensible, en le glissant entre le pouce et l'index, ces deux doigts se rapprochent pour serrer le crayon, et la main prend l'attitude nécessaire peur écrire. A ce moment, si on demande au sujet ce que l'on fait de sa main, il répond presque toujours: « je ne sais pas ». Puis l'expérience commence.
On imprime au crayon un mouvement quelconque, par exemple un mouvement circulaire; la main du malade, pendant cet acte, ne suit pas mollement celle de l’observateur; on éprouve au contraire, une sensation particulière en la tenant: elle résiste un peu à certaines impulsions, surtout à celles qui déterminent un changement de direction; mais, quand il s'agit d'un trait à continuer, c'est-à-dire d'une direction donnée à poursuivre, la main devance en quelque sorte le mouvement, comme si elle le devinait. Bref, le mouvement qu'on réussit à lui communiquer ne peut pas s'appeler un mouvement passif, car la malade y collabore. S'il fallait user d'une comparaison, on dirait que l'expérimentateur dirige la main du malade comme un cavalier dirige un cheval intelligent.
On n'éprouve d'ailleurs cette sensation toute particulière que lorsqu'on a affaire à une malade qui est apte à répéter toute seule les mouvements graphiques communiqués.  Chez les sujets qui ne reproduisent rien, la main reste molle et inerte, une vraie main de mannequin.
Après la communication du mouvement passif, on abandonne la main du malade, en ayant soin de laisser le crayon appuyé sur une feuille blanche. Chez quelques hystériques, la main tombe sur le côté dès qu'on l'abandonne; chez d'autres, elle n'a pas cette flaccidité, elle reste en position, tenant correctement le crayon, comme si elle allait écrire; mais rien ne vient. On perçoit parfois un fin tremblement dans le poignet et dans les doigts;  parfois aussi le crayon trace sur le papier quelques traits légers, indistincts et c'est tout.
Mais il en est d'autres chez lesquels le mouvement subconscient est bien plus manifeste. Les doigts continuent à se serrer autour du crayon, et le mouvement graphique qu'on a imprimé est reproduit, soit tout de suite, soit quelques instants après.
Parmi les sujets, les uns ne savent répéter que des mouvements grossiers, comme des boucles ou des hachures; mais une fois que ce mouvement a été reproduit, il se continue très longtemps, presque indéfiniment;  je l'ai vu, dit M. Binet, se continuer pendant un quart d'heure. D'autres mains se montrent plus intelligentes, ont plus de mémoire; elles sont capables de reproduire dans les mêmes conditions des signes empruntés au langage écrit, des chiffres, des lettres isolées, des mots composés de plusieurs lettres et même des phrases entières. Parfois la répétition a lieu aussitôt que l'expérimentateur cesse de tenir la main sensible; d'autre fois, il s'écoule un temps de repos, puis la main se met en mouvement.
Jusqu'alors, on le voit, la main anesthésique n'a fait preuve que de mémoire; la répétition a été purement machinale et automatique. Il peut se produire quelque chose de plus, une opération mentale plus complexe, quoique toujours subconsciente, lorsqu'on fait écrire à la main un mot connu dont on altère volontairement l'orthographe. Il est intéressant alors de surveiller le phénomène de répétition. Au moment où la main insensible arrive à la lettre inexacte, elle s'arrête, semble hésiter, puis tantôt elle passe outre, reproduisant l'erreur, tantôt, au contraire, elle la corrige et rétablit le mot avec son orthographe exacte.
La reproduction peut se faire non seulement à l’occasion de mouvements graphiques communiqués, mais par un autre procédé plus détourné, qui fait également intervenir des sensations inconscientes. Ainsi, lorsqu’un sujet tient le crayon dans sa main insensible, il suffit souvent de tracer avec une pointe mousse des chiffres, des caractères quelconques sur le dos de la main, pour que bientôt après le crayon écrive tout cela. Il se produit alors quelque chose de plus qu'une répétition de mouvement: c'est une traduction. Les sensations cutanées sont traduites en leurs équivalents  graphiques.
Enfin l'inconscient peut s'affirmer d'une manière encore plus complète par l'écriture automatique spontanée. Nous venons de voir que lorsque l’on fait répéter à la main insensible un mot contenant une faute d'orthographe, elle peut corriger la faute. C'est une première preuve d'initiative. Il y a des malades auxquels il suffit de faire écrire par la main insensible une seule lettre pour qu'un mot entier qui commence par cette lettre soit écrit: on fait tracer la lettre P et le sujet écrit Paris, et ainsi de suite. Parfois, à la suite de ce premier mot, la main en écrit un second sans en avoir conscience; il arrive même que c'est une phrase entière qui apparaît;  et j'ai vu, dit M. Binet, « des sujets hystériques auxquels il suffit de mettre un crayon dans la main insensible pour que des pages entières se couvrent d'écriture, sans que le sujet cesse de parler de toute autre chose;  et il paraît n'avoir pas conscience de ce que fait sa main ».
Il nous paraît que c'est un non-sens inexcusable chez des psychologues d'accoupler les mots de pensée et d'inconscience.
Si le phénomène mental n'est pas perçu par le moi, il n'existe pas comme pensée, il en reste à la phase physiologique.
L'individu qui lit attentivement n'entend pas la conversation que l'on tient autour de lui. Les paroles prononcées sont entrées dans son cerveau sans qu'il le sache; elles sont absolument inconscientes parce qu'elles sont restées des mouvements de la substance nerveuse, sans correspondance psychique. Si l'on veut qu'elles soient connues par le moi, il faudra mettre le sujet dans le somnambulisme afin que ces impressions trop faibles pour être perçues par la conscience normale, soient perceptibles pour le moi somnambulique dont l'attention, suivant Liébault, est plus puissante par la concentration qu'elle acquiert, ou bien, suivant nous, parce que le mouvement vibratoire du périsprit est plus intense. A ce moment les sensations emmagasinées inconsciemment sont perçues et deviennent des phénomènes de conscience. Avant, elles n'existaient psychologiquement pas.

L’explication

Comment interpréter ces faits? M. Binet voit d'abord une suggestion comme cause originelle: « Toutes les expériences précédentes, dit-il, ont ce trait commun que l'expérimentateur force le sujet ou une partie du sujet, à répéter un acte qu'il lui indique; il le force sans exercer sur lui de violence physique; il agit par action morale, donc par suggestion ». Jusqu'ici nous sommes complètement d'accord avec l'auteur; il y a incontestablement une suggestion tactile, mais nous différons pour la suite, car M. Binet ajoute: « érigeons en personnage pour la commodité de notre exposition, l'inconscient qui répète les mouvements; nous dirons que l'expérimentateur, en touchant la main et le bras, donne à ce personnage inconscient l'idée de répéter l'acte, et, en définitive, le suggestionne.»
Si M. Binet se contentait d'ériger l'inconscient en personnage distinct pour la lucidité de la discussion, nous n'aurions rien à redire, mais, en réalité, il en fait positivement une seconde personnalité différente du moi normal, comme cela ressort clairement du paragraphe   suivant .

«Les mouvements de répétition, d'adaptation que nous venons de solliciter dans un membre complètement dépourvu de sensibilité consciente, n'auraient pas pu se produire si rien n'avait été perçu: pour  que la main entoure le crayon glissé entre les doigts, pour qu'elle ouvre une boite d'allumettes, serre un dynamographe ou tout simplement répète fidèlement un mouvement de flexion qui a été imprimé à l'un des doigts, il est de toute nécessité que certaines impressions aient été recueillies par ce tégument soi-disant anesthésique;  il y a donc eu une perception bien réelle quoique ignorée du sujet, une perception inconsciente, et l'anesthésie hystérique apparaissant alors comme une suppression de la conscience, pourrait être appelée une anesthésie par inconscience. »
« Il y a plus: l'hypothèse doit aller plus loin; pour expliquer la production des actes inconscients, il ne faut pas se contenter de supposer des sensations inconscientes; isolées, des sensations ne produiraient rien; or, en analysant les principales observations recueillies, nous avons vu intervenir des phénomènes de mémoire et de raisonnement, de sorte que les mouvements inconscients nous révèlent l'existence d'une intelligence qui est autre que celle du moi du sujet, et qui agit sans son concours, et même à son insu. C'est une conclusion nécessaire, elle s'impose; de quelque manière qu'on conçoive cette intelligence secondaire, accessoire, parasite en quelque sorte, il est certain que chez certains sujets elle existe et elle agit. »

Est-ce bien là la véritable explication de ce qui se passe dans toutes les expériences ?
Il ne nous paraît pas du tout nécessaire de supposer une intelligence parasite pour comprendre les faits. Il suffit que la conscience normale n'ait aucune mémoire de tout ce qui se produit dans le membre insensible, pour que le sujet ignore ce que sa main écrit. Les actes intelligents sont produits par le moi normal du sujet, mais il en perd la mémoire immédiatement, de sorte que de la meilleure foi du monde, il affirme qu'il y est étranger, et ceci est vrai puisqu'il n'a plus aucun souvenir de ce qui vient de se passer.

« On ne saurait croire, dit M. Binet , avec quelle facilité l'attention de ces malades se laisse distraire;  dès qu'elles causent avec une autre personne, elles vous oublient et ne savent plus qu'on est dans la chambre; ces malades ont, comme dit M. P. Janet, un rétrécissement du champ de la conscience ».

Ceci nous semble tout à fait juste; et ce rétrécissement nous paraît dû à une maladie de la mémoire qui supprime, pour la conscience normale, tous les phénomènes physiques et mentaux se rattachant à la partie anesthésiée, au fur et à mesure qu'ils se produisent. En voici un exemple emprunté à M. Binet .

« Il arrive parfois que lorsqu'on vient de piquer la main insensible derrière l'écran, celle-ci se retire brusquement et le sujet s'écrie: Vous m'avez fait mal! » Un observateur non prévenu qui assisterait à cette expérience pour la première fois, serait en droit de conclure que le sujet n'a pas perdu sa sensibilité; mais il faut remarquer que le sujet a prononcé ces mots sans conscience;  quand on lui adresse ensuite la parole pour lui demander si la douleur a été très vive, il répond qu'il n'a rien senti, et il soutient même qu'il n'a pas dit un mot; sans doute son témoignage, pris isolément, semblera suspect; mais si ce sujet présente en outre une anesthésie régulièrement constatée, et s'il a des mouvements inconscients très développés, nous serons disposés à admettre la sincérité de son affirmation ».

Nous constatons là cette altération de la mémoire qui donne l'illusion de deux personnalités co-existantes. La douleur est perçue par le moi qui l'accuse immédiatement par un cri; mais aussitôt le souvenir de cette sensation est oublié, de sorte qu'à la demande de l'expérimentateur si la douleur a été vive, le sujet répond que non seulement il n'a rien senti, mais même qu'il n'a rien dit. Dans beaucoup de cas de suggestion posthypnotiques, on peut observer les mêmes phénomènes. On ordonne à un sujet de prononcer certaines paroles dix minutes après son réveil, et lorsqu'il exécute l'ordre reçu, on lui demande immédiatement pourquoi il vient de dire ces mots, il répond catégoriquement qu'il n'a pas parlé et que certainement on s'est trompé.
Il ne faut nullement mettre en doute la sincérité de son affirmation, et il n'est pas besoin d'attribuer les actes ainsi accomplis ou les paroles ainsi prononcées, à une seconde personnalité imaginaire appelée la subconscience. La personnalité normale suffit à rendre compte de tous les cas, en supposant simplement une maladie de la mémoire qui supprime dans la trame de la vie mentale certaines parties. Ce sont ces trous, ces lacunes causées par la maladie dans la mémoire ordinaire, c'est-à-dire en somme dans une partie essentielle de la conscience qui donnent l'illusion d'une personnalité surnuméraire.

Il ne faut pas oublier que la conscience ne comporte sa plénitude, c'est-à-dire la notion complète de la personnalité et du moi, que si le moi de la seconde actuelle est relié par la mémoire au moi de toutes les secondes qui ont précédé, comme le mot moi que nous écrivons ici, n'a d'intérêts que parce qu'il est relié à la phrase, aux pages et aux chapitres qui le précèdent. Chaque mot est l'image d'une sensation, et il est relié par un souvenir plus ou moins vague à tout ce qui l'a précédé, le souvenir étaint beaucoup plus net pour la page que pour le chapitre .

En tout phénomène psychologique, le facteur temps est un élément indispensable. Il n'y a, sans une certaine durée, ni sensation, ni conscience, et c'est la mémoire seule qui peut fixer dans le temps le souvenir d'une excitation nerveuse qui dure un centième de seconde. Les phénomènes de conscience, de sensation ou d'effort, n'ont de valeur psychologique que par le souvenir qu'ils laissent derrière eux. Si rien ne persiste dans le souvenir, quelle que soit la vivacité de la conscience qui a disparu, c'est absolument, pour le moi normal, comme si cette  conscience fragmentaire n'avait jamais existé.
Ainsi ce qui fait la conscience, ce n'est pas seulement la sensation présente ou l'effort présent, c'est encore le souvenir des efforts passés et des sensations antérieures. Si la connaissance de l'état actuel est précise, si la connaissance des états antérieurs est très nette, alors la conscience sera complète, en pleine possession d'elle-même.
Il y a donc des consciences très parfaites et des consciences très imparfaites, et les degrés de la conscience sont liés bien plus à la puissance de la mémoire qu'à l'intensité de la sensation présente.
Voici un sujet hystérique dont la caractéristique est justement une prodigieuse incapacité de fixer son esprit sur le moment présent. Toutes les sensations sont chez elles très vives, mais de courte durée, et se lient très peu entre elles; il y a même pour tout ce qui est dans la sphère de la sensation normale, un défaut de liaison entre les états psychiques, qui permet de distraire facilement ces malades. Si alors on agit sur eux par suggestion verbale, on en obtient des réponses qui seront totalement oubliées l'instant d'après, et qui paraîtront émaner d'une autre personnalité, de la subconscience qui semble surgir à côté du moi ordinaire et différer de lui.
Nous allons voir cet état curieux bien mis en relief par les recherches de M. P. Janet sur ses sujets.
 
CHAPITRE III

Les expériences de M. P. Janet et l'hypothèse d'un
personnage subconscient

Sommaire: Pauvreté psychologique des hystériques. – Fausse personnalité créée par suggestion. – Fonctions de la subconscience, suivant M. P. Janet. – Discussion de cette hypothèse.  – L'anesthésie et la distraction hystériques. – L'oubli chez les hystériques. – Les suggestions négatives. – Le rapport magnétique. – Il n'existe pas de personnage subconscient. – C'est l'âme qui subit des changements psychiques allotropiques. – Comparaison des hystériques et des médiums. – Il est contraire aux faits de prétendre que les médiums sont nécessairement des hystériques.

Pour bien apprécier les études de M. P. Janet, il faut connaître ses sujets, et savoir jusqu'à quel point ils diffèrent des personnes normales. Nous lui empruntons ses descriptions qui sont démonstratives .

« Quiconque examinera avec attention la conduite de Lucie à l'état de veille, reconnaîtra facilement qu'elle est un « type visuel » extrêmement net. Elle pense, elle parle, elle agit presque uniquement par le sens de la vue. D'abord la pauvre femme ne pourrait guère faire autrement, car elle n'a conservé d'à peu près  intact que le sens de la vue. Elle n'a gardé la sensation tactile sur aucun point du corps; elle n'a aucune sensation musculaire; on peut remuer ses membres, même les attacher derrière elle, arrêter ses mouvements spontanés, le tout, sans qu'elle s'en aperçoive si elle ne regarde pas. »
« Cette anesthésie très profonde lui a enlevé complètement tout souvenir de sensations tactiles, elle prétend que tout le monde est comme elle. Outre cette perte du sens tactile, Lucie a presque complètement perdu le sens de l'ouïe, elle n'entend parler que si la voix est proche et assez forte, elle ne perçoit pas le tic-tac de ma montre, mêrne si je l'applique contre son oreille. La vue, quoique très diminuée (acuité visuelle un tiers, champ visuel restreint à 20°), est encore le meilleur sens qu'elle possède. Aussi s'en sert-elle continuellement; elle ne fait pas un mouvement, ne marche pas sans regarder sans cesse ses bras, ses jambes, le sol, etc. C'est ainsi d'ailleurs qu'un grand nombre d'hystériques peuvent conserver la faculté de coudre, de tricoter, d'écrire, sans avoir aucunement le sens musculaire. On s'y est souvent trompé, c'est pour cela que plusieurs auteurs déclarent l'anesthésie musculaire rare dans l'hystérie, tandis qu'elle est très fréquente. Les images visuelles peuvent même, dans quelques cas, suppléer aux sensations absentes, et leur permettre de faire des mouvements les yeux fermés. Il n'en est pas ainsi chez Lucie. Lui met-on un écran devant les yeux, ce qui la rend furieuse, elle ne peut plus rien faire, ni marcher, ni remuer les bras, ni même remuer les mains, elle vacille et ne tarderait pas à tomber. Si on lui fermait les yeux entièrement, elle ne pourrait même plus parler, et... elle dormirait. »

On voit quel être déprimé est le sujet de M. P. Janet. Aussi n'est-on pas surpris de constater chez elle une maladie de la mémoire qui se traduit par un état de distraction très accentué, lequel lui fait oublier complètement un interlocuteur, aussitôt qu'elle parle à un autre .

« Lucie, qui cesse de voir et d'entendre les gens dès qu'elle ne leur parle plus, oublie également leur présence, ainsi qu'on peut le voir par différents traits de sa conduite. Elle se figure que les gens sont sortis dès qu'elle cesse de leur parler, et, quand on la force à faire de nouveau attention à eux, elle dit: « tiens, vous êtes donc rentrés? » Ce qui est plus frappant, c'est qu'elle ne tient plus compte de leur présence, dit tout haut des secrets, sans être retenue par la pensée de la présence de ces personnes..., Léonie est de même pendant son somnambulisme au moins, car elle n'est pas comme Lucie, suggestible consciemment à l'état de veille. Elle commence par me dire qu'elle ne veut causer qu'avec moi, qu'elle ne me quittera pas. Je la fais causer avec une autre personne et je cesse de lui parler, alors elle m'oublie complètement et, quand cette personne sort, elle veut la suivre comme s'il n'y avait plus qu'elle au monde. »

M. P. Janet décide d'utiliser cette distraction pour étudier le personnage subconscient qui, selon lui, existe en dehors de la personnalité ordinaire. Profitant de son obéissance bien connue, il donne tout bas un ordre au sujet qui ne l'entend pas, mais cet ordre est exécuté par la subconscience qui, elle, n'est pas lourde. Voici le détail de cette expérience curieuse   :

« Léonie, avec cette distraction facile qui est, comme nous l'avons vu, le propre des hystériques, écoutera les autres personnes qui lui parlent, mais ne m'écoutera plus et ne m'entendra pas, même si je lui commande à ce moment quelque chose. Cette femme ne présente pas, comme d'autres sujets, une véritable suggestibilité à l'état de veille. Si je m'adresse directement à elle et lui commande un mouvement, elle s'étonne, discute, et n'obéit pas. Mais quand elle parle à d'autres personnes, je puis réussir à parler bas derrière elle sans qu'elle se retourne. Elle ne m'entend plus, et c'est alors qu'elle exécute bien les commandements, mais sans le savoir. Je lui dis tout bas de tirer sa montre, et les mains le font tout doucement; je la fais marcher, et lui fais mettre ses gants et les retirer, etc., toutes choses qu'elle n’exécuterait pas si je les lui commandais directement quand elle m'entend...
« Les mêmes suggestions par distraction se rencontrent très facilement chez d'autres sujets. C'est chez Lucie que je les avais remarquées pour la première fois pendant le somnambulisme et pendant la veille, sans très bien les comprendre. Au début elle acceptait mes ordres ou bien les refusait, et alors ne les exécutait pas. Pour éviter ces résistances, je lui commandais à voix basse quand elle n'y faisait pas attention, et alors elle exécutait toujours ce que j'avais dit sans protester. Mais, je fus alors tout surpris de voir qu'elle exécutait inconsciemment. Je lui ai dit de faire un pied de nez, et ses mains se placent au bout de son nez. On l'interroge sur ce qu'elle a fait, elle répond toujours qu'elle ne fait rien, et continue à causer pendant longtemps, sans se douter que ses mains s'agitent au bout de son nez. Je la fais marcher au milieu de la chambre, elle continue à parler et croit être assise. Bien plus, j'essayais un jour, sans l'avoir prévenue, une autre expérience :
« Je priai une autre personne, M. M..., de lui commander un acte en mon absence, mais en mon nom. Au milieu de la journée, M. M..., dit derrière elle: « M. Janet veut que tes deux bras se lèvent en l'air. » Ce fut fait immédiatement, les deux bras restèrent contracturés au-dessus de sa tête. Mais Lucie n'en fut aucunement émue, et continua ce qu'elle disait. »

Nous constatons bien ici que l'oubli de l'acte que le sujet vient d'accomplir se produit instantanément. C'est précisément cette amnésie qui fait croire à un second personnage; mais on peut se rendre compte que cette explication n'est pas exacte, car, sans changer d'état, elle accomplit les suggestions et les oublie aussitôt faites. Ce sont des phénomènes qui ne lui restent pas dans la mémoire actuelle, bien que produits par la personnalité normale. En voici encore des preuves  :

« Quand on produisait ainsi une action permanente, comme la contracture du bras, on pouvait la forcer à s'en apercevoir en la contraignant à regarder ses bras, à essayer de les mouvoir. Alors elle s'effrayait, gémissait, et aurait commencé une crise si, par un mot, on ne supprimait tout le mal. Mais, une fois guérie et les larmes encore dans les yeux, elle ne se souvenait plus de rien et reprenait ses occupations au point où elle les avait interrompues.
«  La suggestion inconsciente, chez Lucie, comme chez Léonie d'ailleurs, pouvait s'opposer à sa volonté consciente. Lorsque l'une ou l'autre refusait de faire ou de dire quelque chose, il suffisait de l'interruption. Par exemple, le docteur Powilewicz demande sans le savoir ou disaient brusquement la phrase au milieu d'une conversation qu'elles reprenaient ensuite, sans se rendre compte de l'interruption. Par exemple, le docteur Powilewicz demande à Lucie de chanter quelque chose, elle refuse énergiquement. Je murmure derrière elle: « allons, tu chantes, tu chantes quelque chose.» Elle arrête sa conversation et chante un air de Mignon, puis reprend sa phrase, convaincue qu'elle n'a pas chanté et ne veut pas chanter devant nous.»

Nous avons vu M. Binet faire écrire la main insensible d'une hystérique, mais les résultats se bornaient à peu de chose, tandis que si l'on profite de la distraction du sujet pour lui glisser un crayon dans la main, et qu'on lui pose à voix basse des questions, ce sujet répondra comme il le ferait à l'état normal, mais sans en avoir conscience.

« Je lui mets (à Léonie) un crayon dans la main droite, et la main gauche serre le crayon comme nous le savons;  mais, au lieu de diriger la main et de lui faire tracer une lettre qu'elle répétera indéfiniment, je pose une question. « Quel âge avez-vous? Dans quelle ville sommes-nous ici? Etc. », et voici la main qui s'agite et écrit la réponse sur le papier, sans que, pendant ce temps, Léonie se soit arrêtée de parler d'autre chose. Je lui ai fait faire ainsi des opérations arithmétiques par écrit, qui furent assez correctes; je lui ai fait écrire des réponses assez longues qui manifestaient évidemment une intelligence développée. »

Il est certain que le sujet écrit dans ce cas, comme il causait tout à l'heure, sans conserver de souvenir de ces actions dont la mémoire n'est pas enregistrée dans le moi normal. On peut grouper, par suggestion, tous les actes subconscients d'un sujet, de manière à former une personnalité fictive qui aura l'air d'être tout à fait distincte de la conscience normale, alors  qu'en réalité, elle ne sera formée que par les sensations oubliées de ce sujet. En voici un exemple remarquable emprunté à M. Janet.

« Ayant constaté, non sans quelque étonnement, je l'avoue, l'intelligence secondaire qui se manifestait par l'écriture automatique de Lucie, j'eus un jour avec elle la conversation suivante, pendant que son moi normal causait avec une autre personne: « M'entendez-vous, lui dis-je? – (Elle répond par écrit) Non. – Mais pour répondre, il faut entendre. – Oui, absolument. – Alors, comment faites-vous? – Je ne sais. – Il faut bien qu'il y ait quelqu'un qui m'entende. – Oui. – Qui cela? – Autre que Lucie – Ah bien! Une autre personne. Voulez-vous que nous lui donnions un nom? – Non. – Si, ce sera plus commode. – Eh bien, Adrienne. – Alors, Adrienne m'entendez-vous: – Oui. »

On voit nettement comment le personnage est créé par suggestion; il signera toujours Adrienne. C'est purement et simplement une suggestion de personnalité analogue à celles que M. Richet nous a fait connaître . Lorsque l'éducation de l'hystérique est complète, cette division dans la conscience se maintient pendant assez longtemps et le personnage subconscient peut manifester spontanément son existence par l'écriture automatique, ce qui nous rapproche des communications reçues par les médiums, que nous avions semblé perdre un peu de vue.
Citons encore M. P. Janet, afin d'avoir sous les yeux les faits les plus saillants sur lesquels repose sa théorie  :

« Un autre sujet, Léonie, avait appris à lire et à écrire passablement, et j'avais profité de ses nouvelles cornaissances pour lui faire écrire pendant la veille, quelques mots ou quelques lignes inconsciemment; mais je l'avais renvoyée sans rien lui suggérer de plus.
« Elle avait quitté le Havre depuis plus de deux mois, quand je reçus d'elle la lettre la plus singulière. Sur la première page se trouvait une petite lettre d'un ton sérieux: « Elle était indisposée, disait-elle, plus souffrante un jour que l'autre, etc., et elle signait de son nom véritable Jeanne B. » mais sur le verso commençait une lettre d'un tout autre style, et que l'on me permettra de reproduire à titre de curiosité.
« Mon cher bon monsieur, je viens vous dire que Léonie tout vrai, tout vrai, me fait souffrir beaucoup, elle ne peut pas dormir, elle me fait bien du mal, je vais la démolir, elle m'embête, je suis malade aussi, et bien fatiguée. C'est de la part de votre bien dévouée Léontine. » Quand Léonie fut de retour au Havre, je l'interrogeai naturellement sur cette singulière missive: elle avait conservé un souvenir très exact de la première lettre; elle pouvait m'en dire encore le contenu; elle se souvenait de l'avoir cachetée dans l'enveloppe, et même des détails de l’adresse qu'elle avait écrite avec peine; mais elle n'avait pas le moindre souvenir de la seconde lettre.
«Je m'expliquai d'ailleurs cet oubli: ni la familiarité de la lettre, ni la liberté du style, ni les expressions employées, ni surtout la signature n'appartenaient à Léonie dans son état de veille. Tout cela appartenait au contraire au personnage inconscient qui s'était déjà manifesté à moi par bien d'autres actes. Je crus d'abord qu'il y avait eu une attaque de somnambulisme spontané entre le moment où elle terminait la première lettre, et l'instant où elle cachetait l'enveloppe. Le personnage secondaire du somnambulisme, qui savait l'intérêt que je prenais à Léonie, et la façon dont je la guérissais souvent de ses accidents nerveux, aurait apparu un instant pour m'appeler à son aide, le fait était déjà fort étrange. Mais depuis, ces lettres subconscientes et spontanées se sont multipliées, et j'ai pu mieux étudier leur production.
« Fort heureusement, j'ai pu surprendre Léonie, une fois, au moment où elle accomplissait cette singulière opération. Elle était auprès d'une table et tenait encore le tricot auquel elle venait de travailler. Le visage était fort calme, les yeux regardaient en l'air avec un peu de fixité, mais elle ne semblait pas en attaque cataleptique; elle chantait à demi-voix une ronde campagnarde, la main droite écrivait vivement comme à la dérobée. Je commençai par lui enlever son papier à son insu, et je lui parlai; elle se retourna aussitôt, bien éveillée, mais un peu surprise, car dans son état de distraction, elle ne m'avait pas entendu entrer.  « Elle avait passé, disait-elle la journée à tricoter, et elle chantait parce qu'elle se croyait seule. Elle n'avait aucune connaissance du papier qu'elle écrivait. Tout s'était passé exactement comme pour les actes inconscients par distraction, avec cette différence que rien n'avait été suggéré. »

Formation de la subconscience suivant M. Janet

Il est très important pour nous d'étudier à fond les phénomènes au moyen desquels on prétend établir l'existence chez les hystériques et les névropathes d'une seconde personnalité, vivant en dehors du moi normal, et possédant une vie psychologique indépendante de la conscience du sujet.
Si cette hypothèse était exacte, il y aurait ainsi chez presque tout le monde – car les psychologues étendent facilement aux sujets sains les théories qu'ils ont imaginées pour l'explication des cas morbides – deux êtres différents, dont l'un au moins, le moi ordinaire, ignore l'existence de l'autre. Cette entité subconsciente pourrait agir à sa guise et indépendamment de la conscience, qui serait absolument étrangère à toutes les pensées et tous les actes de cet hôte parasite. Ce seraient même deux ou plusieurs âmes qui cohabiteraient, car il y a plusieurs sous-consciences. Les somnambules seraient toute une collection de personnalités, vivant chacune à sa guise, et se servant toutes du même instrument: le corps physique.
Cette bizarre conception a été employée comme explication des phénomènes médianimiques. Les incrédules et même certains spirites, l'ont acceptée pour rendre compte de tous les phénomènes de double vue, de prémonition; de possession et des innombrables cas où les sensitifs montrent la connaissance de faits qu'ils ignorent dans leur état normal, et qu'ils n'ont pas eu les moyens d'apprendre par les sens ordinaires. Il est absolument nécessaire de scruter attentivement les expériences de MM. Binet et Janet, pour savoir exactement à quoi nous en tenir quant à l'explication de ces anomalies. Nous laissons d'abord la parole à l'auteur de l'Automatisme psychologique, et nous exposerons ensuite notre manière de voir, en discutant ces assertions. M. P. Janet, à la suite de Taine, Renan, Stuart Mill, Ribot, etc., ne croit pas à l'unité persistante du moi. Pour lui et l'école matérialiste, la conscience est formée, à chaque instant, par une synthèse active qui rattache les sensations simultanées les unes aux autres, les agrège, les fusionne en un état unique auquel la perception principale donne sa nuance, mais qui ne ressemble probablement d'une manière complète à aucun des éléments constituants. Ce phénomène est celui de la perception. Comme cette perception se produit a chaque instant, et comme elle contient des souvenirs aussi bien que des sensations, elle engendre la personnalité.
Pour un individu théorique, tous les états de conscience contiendraient toutes les sensations, et il aurait une connaissance très nette de tous les phénomènes qui se passent en lui. Mais chez l'individu le mieux portant, il y a une quantité de sensations qui échappent à la perception directe, et chez les hystériques et les névropathes, le rétrécissement du champ de la con-science laisse en dehors de la personnalité un très grand nombre de phénomènes sensitifs. Que deviennent des sensations inconnues du sujet? Le  plus  souvent elles jouent un rôle bien effacé; leur séparation, leur isolement, fait leur faiblesse.
Chacun de ces faits renferme bien une tendance au mouvement qui se réaliserait s'il était seul mais ils se détruisent réciproquement, et surtout ils sont arrêtés par le groupe plus fort des autres sensations synthétisées sous forme de perception personnelle. Ils ne peuvent produire que ces légers frémissements des muscles, ces tics convulsifs du visage, cette trémulation des doigts qui donnent à beaucoup d'hystériques un cachet particulier, qui font reconnaître une nerveuse.

« Mais il est assez facile de favoriser leur développement, il suffit pour cela de supprimer ou de diminuer l'obstacle qui les arrête. En fermant les yeux, en distrayant le sujet, nous diminuons ou nous détournons dans un autre sens l’activité de la personnalité principale, et nous laissons le champ libre à ces phénomènes subconscients ou non perçus. Il suffit alors d'en évoquer un, de lever le bras ou de le remuer, de mettre un objet dans les mains ou de prononcer une parole, pour que ces sensations amènent, suivant la loi ordinaire, les mouvements qui les caractérisent. Ces mouvements ne sont pas connus par le sujet lui-même, puisqu'ils se produisent tout justement dans cette partie de sa personne qui est pour lui anesthésique. »
« Tantôt ils se font dans les membres dont le sujet a perdu complètement et perpétuellement la sensation, tantôt dans les membres dont le sujet distrait ne s'occupe pas à ce moment; le résultat est toujours le même. On peut faire renverser le bras gauche de Léonie sans autre précaution que de le cacher par un écran, parce qu'il est toujours anesthésique; on  peut faire remuer son bras droit en détournant ailleurs son attention, parce qu'il n'est anesthésique que par accident. Mais, dans les deux cas, le bras remuera sans qu'elle le sache. A parler rigoureusement, ces mouvements déterminés par les sensations non perçues ne sont connus par personne , car ces sensations désagrégées, réduites à l'état de poussière mentale, ne sont synthétisées en aucune personnalité. Ce sont bien des actes cataleptiques déterminés par des sensations subconscientes, mais non personnelles. »

En dépit de l'autorité de Maine de Biran évoquée par l'auteur, signalons en passant la singularité de ces sensations conscientes, mais non personnelles. On admet généralement que le caractère conscient est déterminé par le moi au moment où il perçoit la sensation;  si celle-ci demeure complètement étrangère à ce moi, comment peut-elle être consciente? Mais continuons l'exposition de la théorie de M. Janet.

« Si les choses se passent quelquefois ainsi, il n'est pas difficile de s'apercevoir qu'elles sont bien souvent plus complexes. Les actes subconscients ne manifestent pas toujours de simples sensations impersonnelles;  les voici qui nous montrent évidemment de la mémoire.
Quand on lève pour la première fois le bras d'une hystérique anesthésique pour vérifier la catalepsie partielle, il faut le tenir en l’air quelque temps et préciser la position que l'on désire obtenir; après quelques essais il suffit de soulever un peu le bras pour qu'il prenne de lui-même la position voulue, comme s'il avait compris à demi-mot. Un acte de ce genre a-t-il été fait dans une circonstance déterminée, il se répète de lui-même quand la même circonstance se répète une seconde fois. J'ai montré  un exemple   des  actes   subconscients    de Léonie à M. X. en faisant faire à son bras gauche des pieds de nez qu'elle ne soupçonne pas; un an après, quand Léonie revoit cette même personne, son bras gauche se lève et recommence à faire des pieds de nez. Certains sujets, comme Marie, se contentent,  quand on guide leur main anesthésique, de répéter le même mouvement indéfiniment, d'écrire toujours sur un papier la même lettre;  d'autres complètent le mot qu'on leur a fait commencer; d'autres écrivent sous la dictée le mot que l'on prononce quand ils sont distraits et qu'ils n'entendent pas par une sorte d'anesthésie systématisée, et enfin en voici quelques-uns comme N..., Léonie ou Lucie, qui se mettent à répondre par écrit à la question qu'on leur pose. Cette écriture subconsciente contient des réflexions justes, des récits circonstanciés, des calculs, etc. »
« Les choses ont changé de nature, ce ne sont plus des actes cataleptiques déterminés par de simples sensations brutes, il y a des perceptions et de l'intelligence. Mais cette perception ne fait pas partie de la vie normale du sujet, de la synthèse qui le caractérise et qui est figurée en P' dans notre figure; car le sujet ignore cette conversation tenue par sa main, tout aussi bien qu'il ignorait les catalepsies partielles. Il faut de toute nécessité supposer que les sensations restées en dehors de la perception normale se sont à leur tour synthétisées en une seconde perception P. Cette seconde perception est composée probablement, il faudra le vérifier, des images T' M' tactiles et musculaires dont le sujet ne se sert jamais, et qu'il a définitivement abandonnées, et d'une sensation auditive A" que le sujet peut saisir, puisque, dans certains cas, il peut m'entendre, mais qu'il a momentanément laissée de côté, puisqu'il s'occupe des paroles d'une autre personne. Il s'est formé une seconde existence psychologique, en même temps que l'existence psychologique normale, et avec ces sensations conscientes que la perception normale avait abandonnées en trop gran nombre. »

 

« Quel est en effet, le signe essentiel de l'existence d'une perception? C'est l'unification de ces divers phénomènes et la notion de la personnalité qui s'exprime par le mot: « Je ou Moi. » Or cette écriture subconsciente emploie à chaque instant le mot: « Je », elle est la manifestation d'une personne, exactement comme la parole normale du sujet. Il n'y a pas seulement perception secondaire, il y a personnalité secondaire, « secondary self », comme disaient quelques auteurs anglais, en discutant les expériences sur l'écriture automatique, que j'avais publiées autrefois. »

Nous avons vu comment M. Janet impose le nom d'Adrienne au personnage subconscient de Lucie. Suivant l'auteur, c'est cette seconde personnalité qui a surtout connaissance de ces sensations négligées par le personnage primaire ou normal.

« C'est lui qui me dit que je pince le bras ou que je touche le petit doigt, tandis que Lucie a depuis bien longtemps perdu toute sensation tactile; c'est lui qui voit les objets que la suggestion négative a enlevés à la conscience de Lucie, qui remarque et signale mes chiffres sur les papiers. Il use de ces sensations qu'on lui a abandonnées pour produire ses mouvements. Nous savons, en effet, qu'un même mouvement peut être exécuté au moins par un adulte, de différentes manières, grâce à des images visuelles ou à des images kinesthésiques; par exemple, Lucie ne peut écrire que par des images visuelles, elle se baisse et suit sans cesse des yeux sa plume et son papier; Adrienne, qui est la seconde personne simultanée, écrit sans regarder le papier, c'est qu'elle se sert des images kinesthésiques de l'écriture. Chacune à sa manière d'agir, comme sa manière de penser. »

Quel est donc ce mystérieux personnage qui se dévoile ainsi à l'observateur avec une personnalité si nettement différente de celle du sujet à l'état normal? M. P. Janet va encore nous l'apprendre.

« En étudiant, chez certains sujets, cette seconde personnalité qui s'est révélée à nous au-dessous de la conscience normale, on ne peut se défendre d'une certaine surprise. On ne sait comment s'expliquer le développement rapide, et quelquefois soudain de cette seconde conscience. Si elle résulte, comme nous l'avons supposé, du groupement des images restées en dehors de la perception normale, comment cette systématisation a-t-elle pu se faire aussi vite? La seconde personne a un caractère, des préférences, des caprices, des actes spontanés: comment, en quelques instants, a-telle acquis tout cela? Notre étonnement cessera si nous voulons bien remarquer que cette forme de conscience et de personnalité n'existe pas maintenant pour la première fois. Nous l'avons déjà vue quelque part et nous n’avons pas de peine à reconnaître une ancienne connaissance: elle est tout simplement le personnage du somnambulisme qui se manifeste de cette nouvelle manière pendant l'état de veille. »
« C'est la mémoire qui établit la continuité de la vie psychologique, c'est elle qui nous a permis d'établir l'analogie des divers états somnambuliques, aussi est-ce encore elle qui va rapprocher l'existence subconsciente, qui a lieu pendant la veille du sujet, de l'existence alternante qui caractérise le somnambulisme. »

M. Janet établit, en effet, par des exemples :
1° Que les phénomènes subconscients pendant la veille contiennent les souvenirs acquis pendant les somnambulismes, etc.
2° Que l'on retrouve pendant le somnambulisme le souvenir de tous ces actes et de toutes ces sensations subconscientes.
Mais dans quel somnambulisme récupère-t-on ces souvenirs? Nous savons qu'il y a plusieurs somnambulismes dont chacun a une mémoire spéciale. Pour les distinguer facilement, M. Janet désigne le premier sommeil de Léonie ou de Lucie par le no 1, le second par le n° 2, etc. Cédons lui encore la parole :

« Quand un sujet ne retrouve pas, une fois en somnambulisme, le souvenir de ses actes subconscients de la veille, il faut endormir davantage le sujet, car la persistance des actes subconscients, ainsi que les anesthésies, indiquent qu'il y a des somnambulismes plus profonds. Nous connaissons ces états somnambuliques variés que l'on obtient tantôt par des gradations insensibles, tantôt par des sauts brusques à travers des états léthargiques ou cataleptiques. Chaque état nouveau de somnambulisme amène avec lui le souvenir d’un certain nombre de ces actes subconscients. Léonie 3 est la première à se souvenir de certains actes et se les attribue. « Pendant que l'autre parlait, dit-elle à propos d'un acte inconscient de la veille, vous lui avez dit de tirer sa montre, je l'ai tirée pour elle, mais elle n'a pas voulu regarder l'heure... » Pendant qu'elle causait avec M. un tel, dit-elle à propos d'un acte inconscient du somnambulisme, vous m'avez dit de faire des bouquets, j'en ai fait deux, j'ai fait ceci et cela…… et elle répète tous les gestes que j'ai décrits et qui avaient été tout à fait ignorés pendant les états précédents. Léonie 3 se souvient également des actions qui ont été exécutées pendant la catalepsie complète qui, chez ce sujet, précède le somnambulisme.
« Lucie qui n'avait, dans le premier somnambulisme, absolument aucun souvenir des actes subconscients, ni du personnage d'Adrienne, reprend ces souvenirs de la façon la plus complète dans son second somnambulisme. Il ne faut donc pas nier le rapport entre les existences successives et les existences simultanées, parce que le sujet ne retrouve pas, tout de suite, dans son premier somnambulisme, le souvenir de certains actes subconscients: il suffit souvent de l'endormir davantage pour que sa mémoire soit complète. »

En résumé, M. P. Janet admet :
1° Que par suite du rétrécissement du champ de la conscience chez les hystériques, certaines sensations sont désagrégées et par conséquent inconscientes, parce qu'elles existent à part et ne sont pas synthétisées dans la perception normale du sujet ;
2° Que les sensations peuvent se réunir, s'agréger pour former une seconde existence psychologique, subsistant en dehors de la personnalité ordinaire.
C'est ce personnage qui perçoit ce que le sujet ordinaire ne sent pas; c'est lui qui exécute les suggestions négatives ou post-hypnotiques.

Discussion de l'hypothèse de M. P. Janet

Pour expliquer tous les faits que nous venons de signaler, deux hypothèses sont en présence. M. P. Janet prétend qu'au même instant il existe chez le sujet deux consciences différentes: l'une qui est normale, c'est-à-dire qui conserve les souvenirs de la vie journalière et qui se relie au passé; l'autre, parasitaire, qui s'est développée spontanément, grâce à la maladie. Nous croyons, nous, qu'il n'y a toujours qu'une seule conscience et que les phénomènes qui paraissent inconscients ne sont qu'oubliés, mais qu'ils ont été perçus au moment où ils furent enregistrés par le sujet normal, et que c'est lui qui perd le souvenir des actes, à mesure qu'ils se produisent.
Autrement dit: l'état de la sensibilité détermine une sélection dans la masse des sensations qui parviennent à l'âme. Les unes sont immédiatement oubliées, les autres persistent dans la mémoire. C'est ce que nous allons essayer d'établir par une discussion détaillée des faits.
Nous venons de voir que M. P. Janet parle de sensations conscientes, mais non personnelles, et pour cela il est obligé d'employer des termes incompréhensibles.
Qu'est-ce qu'une poussière mentale? Quelle valeur peut avoir cette expression en dehors d'un sens métaphorique? Comment des sensations arrivent-elles à se chercher, à se réunir? Elles ne vagabondent cependant pas dans le cerveau, car chacune a un territoire bien déterminé.
On sait parfaitement aujourd'hui, après les recherches commencées en 1870 par Fritsch et Hitzig, que les sensations qui arrivent des organes des sens sont localisées dans certaines parties du cerveau. Luys a établi que les couches optiques renferment pour chaque genre de sensation des noyaux de matière grise, dans lesquels passent les impressions optiques, olfactives, acoustiques.
Ferrier, en 1875, a nettement démontré l'existence d’un centre perceptif de l'ouïe, un centre de l'odorat, du goût, enfin un centre perceptif du toucher. Quant au centre moteur du langage articulé, il avait été déterminé avec précision par Broca, en 1861. Il a signalé que tous les aphasiques présentent une lésion de la partie postérieure de la troisième circonvolution frontale, et pour mieux préciser encore, dans le pli sourcilier .
On voit donc qu'on peut constater directement les régions cervicales où s'opère la dissémination des impressions optiques, olfactives, acoustiques, etc .
On conçoit mal comment ces sensations isolées, inconscientes, puisqu'elles sont par hypothèse en dehors du moi normal, arrivent à se rassembler pour former une seconde personnalité. L'étonnement s'accroît encore lorsque l'on assiste à l'éclosion rapide de cet être qui, tout à coup, manifeste des goûts, des caprices, un caractère  bien  spécial.  Comment  tous ces éléments séparés ont-ils pu se chercher, se connaître, s'amalgamer à ce point, et par quel prodige cette personnalité qui surgit si brusquement à l'existence, sait-elle se servir immédiatement – sans aucun apprentissage – des associations dynamiques si compliquées qui constituent le mécanisme de la parole ou de l'écriture ?
Evidemment ceci touche à l'invraisemblable, car cette éclosion spontanée d'une personnalité aussi instruite, aussi avancée psychologiquement, serait un phénomène surnaturel. Aussi nous dit-on que nous avons affaire à une vieille connaissance, que c'est le personnage somnambulique qui se manifeste ainsi pendant l'état de veille. Nous nous en doutions, après l'expérience de M. Gurney au moyen de la planchette  et nous ne demandons pas mieux que de le croire, d'autant plus que ceci nous ramène à notre hypothèse: que le soi-disant personnage subconscient n'est qu'une modification anormale de la personnalité. En effet, si la mémoire sert d'une façon certaine à établir la personnalité, lorsque nous trouverons une mémoire complète de tout ce qui a pu se produire dans la vie du sujet, nous serons en présence de la personnalité entière.
Voici une hystérique à laquelle on donne un ordre en lui murmurant quelques paroles à l'oreille; sa conscience normale ne sait rien, n'entend rien; il faut la plonger dans le somnambulisme pour que son moi retrouve le souvenir de la parole prononcée.
Il peut arriver que l'oubli persiste dans ce premier sommeil, alors il faut continuer les passes, comme si elle ne dormait pas, et l'on fait naître ainsi un second et même un troisième somnambulisme où elle retrouve non seulement le souvenir des actes subconscients, mais tous ceux de la vie normale, depuis son enfance, et même les souvenirs de ses crises, de ses hallucinations et de ses promenades dans la maison en somnambulisme naturel .
Nous voici donc bien en présence de la personnalité totale qui a reconstitué intégralement les souvenirs de la vie tout entière, même ceux ignorés normalement.
En démagnétisant le sujet, on fait rentrer progressivement dans l'oubli tous les souvenirs qu'on avait momentanément ressuscités. Ce sont des couches mentales successives, des sortes de tranches psychiques, qui descendent au-dessous du seuil de la conscience, et, revenue à l'état normal, celle-ci, par suite de cette diminution continue, est maintenant rudimentaire, atrophiée, celle dont nous avons constaté l'existence chez Lucie, Léonie, Rose, etc.
Donc le personnage subconscient n'est pas nécessairement une personnalité distincte; il fait partie de l'individualité totale, il en est une réduction appauvrie, il n'en paraît séparé qu'à cause de la maladie qui oblitère la mémoire de tout ce qui le concerne.
Il doit en être ainsi, car M. P. Janet explique nettement que les existences psychologiques successives ne diffèrent entre elles que par des variations de la mémoire, lesquelles sont déterminées par des changements dans l'état de la sensibilité du sujet.

« L'état somnambulique, dit-il, comme nous l'avons montré au début de ce chapitre, ne présente pas de caractères qui lui soient propres, qui soient en quelque sorte spécifiques. Etant donnée une personne que l'on ne peut examiner que dans une seule période de son existence, il est impossible de déterminer dans quel état elle se trouve .
L'état somnambulique n'a que des caractères relatifs, et ne peut être déterminé que par rapport à un autre moment de la vie du sujet, l'état normal ou l'état de veille . Lorsqu'on a eu l'occasion de les observer (les somnambules), disent les anciens magnétiseurs qui s'y connaissaient, on reste convaincu qu'il y a deux vies bien distinctes ou du moins deux manières d'être dans la vie des somnambules .
Ainsi s'explique cette vérité si souvent répétée qu'il n'y a pas un seul phénomène constaté pendant le somnambulisme: anesthésie ou excitation sensorielle, paralysie, contracture, émotions ou faiblesse intellectuelle (Voir Gureny. Proceedings S. P. R. 1882. p. 285) etc., qui ne se trouve fréquemment chez une autre personne pendant sa vie ordinaire. Seulement, chez celle-ci ce caractère est constant et normal pendant toute la vie, chez celle-là, il est accidentel et n'existe que pendant la seconde vie, mais en réalité, c'est le même caractère. Un sujet qui est idiot ou aveugle ou intelligent en somnambulisme, ne l'est pas autrement que celui qui est idiot, aveugle ou intelligent dans sa vie normale, seulement il ne l'est pas toute sa vie. Rose, dans un de ses somnambulismes profonds, devient hémi-anesthésique gauche, c'est chez elle, actuellement, un état tout à fait anormal, car, depuis 7 mois que je l'ai vue tous les jours, elle a toujours été anesthésique totale. Cet état ne dure pas, car si je la réveille, ou même si je la laisse tranquille sans excitation, elle perd peu à peu cette sensibilité du côté droit et rentre dans sa vie normale pendant laquelle elle ne sent rien. Mais cet état, que nous qualifions de somnambulisme chez Rose, est en ce moment la vie normale de Marie, qui depuis un mois est hémi-anesthésique gauche;  et les caractères de cet état sont exactement les mêmes que chez elle.
Bien plus, Rose elle-même, il y a quelque temps, a passé trois mois, comme nous l'avons vu, en hémi-anesthésique gauche. Elle était donc naturellement pendant ces trois mois dans l'état qui est maintenant un somnambulisme. Mais si vous la réveillez, elle va tout oublier. Sans doute, mais n'a-t-elle pas tout oublié aussi quand, après ces trois mois de demi-santé, elle s'est réveillée anesthésique totale. C'est le changement d'état sensoriel, ce n'est pas le réveil qui fait l'oubli. Et si je trouvais le moyen de donner subitement à mon voisin, qui est peintre et visuel, mon état de conscience à moi qui suis moteur, il ne se souviendrait plus de sa vie passée qui paraissait cependant normale. »

On voit donc que si la subconscience n'est autre chose que le personnage somnambulique, celui-ci n'est pas d'une autre nature que la personnalité ordinaire. Au lieu de succéder à l'état normal, il coïncide avec lui. Autrement dit, il y a une scission dans la mémoire du sujet. Une partie de son existence lui reste connue, tandis que l'autre partie est tout à fait ignorée par suite de l'oubli qui se produit instantanément pour tout ce qui s'y rattache. C'est l'hystérie qui produit ce trouble profond et qui exagère d'une façon morbide un phénomène normal: celui de la distraction.
La mémoire est toujours étroitement liée à l'état de la sensibilité; toute modification de cette dernière amène nécessairement des lacunes dans la faculté de se souvenir. L'épilepsie, par exemple, a pour résultat, pendant la crise, d'abolir toute mémoire.
Trousseau rapporte le cas d'un magistrat qui, siégeant à l'Hôtel de Ville de Paris, comme membre d'une société savante, sortait nu-tête, allait jusqu'au quai et revenait à sa place prendre part aux discussions,  sans aucun souvenir de ce qu'il avait fait .
Voici encore un fait qui montre combien l'amnésie est en corrélation étroite avec les troubles de la sensibilité :

« Le mécanicien d'un navire à vapeur tombe sur le dos; le derrière de sa tête heurte contre un objet dur: il reste quelque temps inconscient. Revenu à lui il recouvre une parfaite santé physique; il conserve le souvenir de toutes les années écoulées jusqu'à son accident, mais à partir de ce moment, la mémoire n'existe plus, même pour les faits strictement personnels. « En arrivant à l'hôpital, il ne peut dire s'il est venu à pied, en voiture ou par le chemin de fer. En sortant de déjeuner il oublie qu'il vient de le faire: il n'a aucune idée de l'heure, ni du jour, ni de la semaine. Il essaye par la réflexion de répondre aux questions qui lui sont posées; il n'y parvient pas. Sa parole est lente, mais précise. Il dit ce qu'il veut dire et lit correctement. » Cette infirmité disparut par suite d'une médication appropriée.

La distraction et l'anesthésie hystériques

Il paraîtra peut-être moins étrange maintenant qu'un phénomène conscient puisse arriver à être oublié si radicalement que le sujet soutienne de bonne foi n'en avoir jamais eu connaissance, puisque nous en avons cité déjà quelques exemples. Lucie s'effraie, gémit, quand on lui montre ses bras contracturés, elle aurait même une crise si on ne faisait, d'un mot, cesser cet état;  mais une fois guérie et les larmes dans les yeux, elle ne se souvient plus de rien. C'est elle qui chante aussi l'air de Mignon et qui n'a pas conscience de le faire .
Pour que la distraction atteigne ce degré, il faut évidemment que les sujets soient profondément différents des personnes normales. Nous avons signalé le triste état de ces malheureuses qui sont privées de la plupart de leurs sens. Leur existence habituelle s'écoule dans une sorte de rétrécissement intellectuel qui leur enlève la libre disposition d'elles-mêmes.

« Léonie se promène seule dans les rues et imprudemment, s’abandonne à ses rêveries; elle est toute surprise, quand elle fait attention à son chemin, de se trouver en un tout autre endroit de la ville.
L'autre (le personnage subconscient) a trouvé spirituel de l'amener à ma porte. La prévient-on par lettre qu'elle peut revenir au Havre elle s'y retrouve sans savoir comment; l'autre, pressée d'arriver, l'a fait partir le plus vite possible et sans  bagages . »

A vrai dire, il est probable que Léonie était en état second en faisant ces actes, puisque le souvenir n'en est pas gardé par la conscience ordinaire. Voici encore un fait qui semble appuyer cette manière de voir :

« Léonie étant venue souvent chez moi, je croyais qu'elle connaissait bien mon adresse; je fus bien étonné, en causant un jour avec elle pendant l'état de veille, de voir qu'elle l'ignorait complètement, bien plus, qu'elle ne connaissait pas du tout le quartier. Le second personnage ayant pris pour lui toutes ces notions, le premier semblait ne plus parvenir à les posséder. »

On conçoit que chez des personnes aussi névrosées, le phénomène de l'écriture automatique puisse prendre des proportions considérables, puisqu'elles accomplissent toute une série d'actes sans en conserver le souvenir. C'est l'exagération de ce qui se produit parfois dans la vie normale, sous l'influence de la distraction. Il arrive souvent même à des personnes en parfaite santé, pendant une visite ennuyeuse ou sous l'empire de graves préoccupations, de causer distraitement, tout en suivant le cours de leurs pensées. Un instant après, il leur serait difficile de se rappeler ce que le visiteur a dit et ce qu'elles ont répondu, D'autres fois on peut, tout en écrivant, suivre une conversation qui se tient à côté de vous et y prendre part, sans interrompre son travail.
Il est vrai que dans ce cas il arrive fréquemment qu'à la fin on ne sait plus trop ce que l'on a écrit et qu'il faut relire pour se le rappeler. Or, chez les hystériques, ce phénomène de l'oubli est constant dans ce que l'on nomme l'écriture automatique. La conscience normale perd tout de suite la mémoire des idées que les caractères graphiques traduisent sur le papier, de sorte qu'elle en parait inconsciente.
La simultanéité et l'indépendance complète de l'écriture automatique et de la parole sont très difficilement obtenues. Ce n'est guère qu'en faisant causer le sujet sur des choses indifférentes que sa main continue à écrire; mais si la rédaction demande du soin, ou si l'on excite vivement l'attention, ou le sujet s'arrête d'écrire, ou il ne répond plus à l'interlocuteur.
C'est pourquoi il ne faudrait pas croire que la séparation entre la conscience normale et le soi-disant personnage subconscient soit toujours aussi parfaite que les citations précédentes semblaient l'établir. On constate parfois pendant l'écriture automatique un mélange entre les idées exprimées par la plume et celles énoncées par la parole :

« Un des sujets dont j'ai parlé, N..., mêlait quelquefois dans son écriture automatique des mots qui n'avaient point de sens, mais qui étaient la reproduction de ceux qu'elle prononçait par la bouche. Si je lui faisais faire une opération arithmétique inconsciemment par l'écriture et si une autre personne lui demandait de prononcer des chiffres consciemment, on constatait dans l'écriture la confusion des deux sortes de chiffres. Ce mélange eut lieu aussi mais très rarement, chez Léonie; je ne me souviens pas de l'avoir constaté avec Lucie . »

Cette division de l'attention est possible pour une personne normale , mais devient très difficile pour une hystérique, non pas qu'il lui soit impossible d'écrire et de parler en même temps puisque nous en avons cité des exemples, mais le souvenir de ce qui se passe dans le membre insensible ne peut être conservé dans la conscience, à cause de la faiblesse de la perception, pour les sensations qui arrivent des parties anesthésiées.
En raison de sa débilité mentale, l'hystérique ne peut guère s'appliquer longtemps à un travail aussi difficile que de suivre une conversation et d'écrire; si l'on développe beaucoup les phénomènes subconscients, le sujet normal se donne tout entier à ces expériences, il ne répond plus à ses interlocuteurs il est tout à fait attentif à la suggestion du magnétiseur, il s'endort.

« J'avais déjà remarqué, dit M. Pierre Janet, que deux sujets surtout Léonie et Lucie, s'endormaient fréquemment malgré moi au milieu d'expériences sur les actes inconscients à l'état de veille, mais j'avais rapporté ce somnambulisme à ma seule présence et à leur habitude du somnambulisme, le fait suivant me fit revenir de mon erreur. M. Binet avait eu l'obligeance de me montrer un de ses sujets sur lesquels il étudiait les actes subconscients par anesthésie, et je lui avais demandé la permission de reproduire sur ce sujet les suggestions par distraction. Les choses se  passèrent tout à fait suivant mon attente. Le sujet (Hab...), bien éveillé, causait avec M. Binet;  placé derrière lui, je lui faisais à son insu remuer la main, répondre à mes questions par signes, etc. Tout à coup, Hab..., cessa de parler à M. Binet et se tournant vers moi les yeux fermés, continua correctement, par la parole consciente, la conversation qu'elle avait commencé avec moi par signes subconscients; d'autre part elle ne parlait plus du tout à M. Binet, elle ne l'entendait plus, en un mot elle était tombée en somnambulisme électif. Il fallut réveiller le sujet qui naturellement avait tout oublié à son réveil. Hab... ne me connaissait en aucune manière; ce n'était donc pas ma présence qui l'avait endormie: le sommeil était donc bien le résultat du développement des phénomènes subconscients, qui avaient envahi, puis effacé la conscience normal . »

M. Janet dit qu'il est étranger au développement de la subconscience, mais nous voyons nettement que ses questions obligeaient le sujet à diviser son attention pour soutenir deux conversations différentes; son influence suggestive l'a emporté sur celle de M. Binet qui n'exerçait aucune action, car Hab… a cessé de lui parler et a continué son entretien avec M. Janet. Il nous paraît difficile de trouver un meilleur exemple pour mettre en évidence ce fait capital que l'attention de l'hystérique était scindée en deux parties, et, comme nous le ferions nous-même, si nous étions dans l'obligation de répondre à deux personnes à la fois, nous choisirions l'une des deux pour continuer notre entretien. La différence, c'est que chez l'hystérique le souvenir du second interlocuteur et de ce qui s'y rattache n'est pas conservé par la conscience normale; c'est ce qui a donné à ces phénomènes leur apparence d'étrangeté. Nous verrons dans un instant le même caractère, plus accentué encore, dans les suggestions négatives.
L'oubli chez les hystériques

Il est de la plus haute importance pour nous de bien montrer que l'oubli chez les hystériques n'est qu'une maladie de la mémoire, car si cette hypothèse est exacte, il n'est nul besoin de recourir à la création d'un personnage subconscient pour comprendre tous les phénomènes psychiques variés qu'ils présentent: états somnambuliques successifs, écriture automatique, etc.
Etablissons par des expériences directes l'oubli immédiat.
Nous allons d'abord citer  M. Janet  :

« S'il est, dit-il, un point admis en psychologie, c'est que la mémoire n'est que la conservation des sensations: toute sensation peut, pour différentes raisons, ne pas devenir un souvenir, mais tout souvenir a été une sensation consciente.
Si nos sujets ne sentent réellement pas les impressions faites sur les parties anesthésiées de leurs corps, ils ne doivent évidemment pas en conserver le souvenir. »

C'est justement ce que nous disons; et nous ajoutons que si le sujet ne se rappelle pas l'action exercée sur lui, ce n'est pas qu'il ne l'ait pas sentie, mais c'est parce que le souvenir de cette sensation est aboli. Rendons la sensibilité au membre et avec elle la mémoire sera rétablie. Voici ce qui semble confirmer notre manière de voir :

« L’œil droit de Marie étant soigneusement fermé, elle prétend, comme nous le savons, être dans une obscurité profonde.
Sans me préoccuper de ce qu'elle dit, je fais passer plusieurs fois devant son oeil gauche un petit dessin que je retire ensuite.
Ce dessin représentait un arbre et un serpent qui grimpait autour du tronc. Je lui laisse alors ouvrir l’œil droit et je l'interroge: elle prétend n'avoir absolument rien vu. Quelques minutes plus tard, je lui applique sur la tempe gauche une plaque de fer qui est son métal de prédilection; les picotements se font sentir dans le côté gauche de la tête, et l’œil, comme on sait, reprend pour quelque temps la sensibilité ordinaire. Je lui demande alors si elle se souvient de ce que je lui ai montré. « Mais oui, fait-elle, c'était un dessin, un arbre avec un serpent qui grimpait autour. » Quelques jours plus tard, je refais l'expérience ainsi: je montre uniquement à l’œil gauche, qui était devenu de nouveau anesthésique, un dessin; c'était une grande étoile dessinée au crayon bleu. Puis quand les deux yeux sont ouverts, je lui montre une dizaine de petits dessins parmi lesquels se trouve l'étoile; elle n'en connaît aucun et prétend les voir tous pour la première fois. J'applique la plaque de fer sur la tempe, la sensibilité revient, et Marie prenant le papier où est l'étoile bleue me dit: « Sauf celui-ci cependant que j'ai déjà vu une fois. »

Constatons que le sujet, qui n'a pas cessé d'être à l'état normal, récupère un souvenir qui s'était perdu aussitôt qu'enregistré, car elle dit: « je l'ai déjà vu une fois ». Ce n'est pas un personnage subconscient qui cause, c'est elle-même avec sa conscience ordinaire; c'est celle-ci qui, comme nous le disons, oublie, parce que la sensation lui venant d'un organe que la maladie rend insensible n'a pas assez d'intensité pour être conservée. Mais si par un moyen physique on augmente cette sensibilité, – ici c'est par la métallothérapie, – immédiatement le souvenir redevient conscient.
On peut généraliser pour les autres sens ce qui vient d'être observé pour le sens visuel. En effet :

« La même expérience peut être faite sur le sens tactile: je mets un jour dans la main complètement anesthésique du même sujet un petit objet (c'était un bouton de rose), et je l'y laisse quelques instants en prenant toutes les précautions pour qu'elle ne puisse le voir. Je lui demande si elle a quelque chose dans la main, elle cherche avec attention et assure qu'elle n'a rien. Je n'insiste pas et retire le bouton de rose sans qu'elle s'en aperçoive. Quelque temps après, par l'application d'une plaque de fer, je rends la sensibilité tactile à cette main; à peine le frisson qui chez elle signale le retour de la sensation est-il terminé qu'elle me dit spontanément: « Ah! Je me suis trompée, vous m'aviez mis dans la main un bouton de rose, où est-il? »

N'est-il pas certain ici qu'on ne voit intervenir aucun personnage somnambulique ou subconscient? Le sujet établit immédiatement la continuité de sa vie psychique, aussitôt qu'on lui rend le souvenir que l'anesthésie avait supprimé. Ce n'est pas un autre moi qui raconte que le sujet avait dans sa main un bouton de rose, c'est la personnalité ordinaire qui affirme immédiatement qu'elle s'est trompée tout à l'heure en disant qu'il n'y avait rien. L'anesthésie avait créé une scission dans le souvenir; quand cette sensibilité disparaît, la mémoire se rétablit. Il en est d'ailleurs toujours ainsi, comme le remarque M. .P. Janet (page 296).

« J'ai refait plusieurs fois cette expérience sur ce sujet et sur trois autres hystériques anesthésiques, et j'ai modifié l'expérience de diverses manières. »
« Quelquefois il suffit, comme pour les anesthésies systématisées, de commander au sujet de se souvenir, pour que la mémoire revienne aussi en ramenant la sensibilité..; j'ai même laissé une fois un intervalle de deux jours entre l'instant où j'avais fait sentir l'objet par la main anesthésique, et l'instant où je rendais la sensibilité: le résultat a toujours été le même. Lorsque la sensibilité redevenait consciente, le souvenir de cette sensation qui, en apparence, n'avait pas existé, réapparaissait complètement. »

Nous avons vu que M. Janet, en parlant des mouvements exécutés par le bras anesthésique de Léonie, dit que des mouvements déterminés par des sensations non perçues, ne sont connus de personne, qu'ils forment une poussière mentale; mettons en regard l'expérience suivante exécutée avec Rose, et nous constaterons que bien loin d'être rigoureusement inconnues, ces sensations sont au contraire enregistrées dans la conscience normale :

« Enfin j'ai songé, poursuit M. Janet, à faire la même expérience avec Rose, sur le sens musculaire ou kinesthésique. Je donne à son bras qui est anesthésique une position quelconque, je lui mets deux doigts en l'air et les autres fermés ou je lui fais faire un geste menaçant: Rose n'en sait rien, car j'ai bien caché le bras par un écran. Je baisse maintenant le bras et le remets sur mes genoux, puis par un courant électrique faible (la suggestion ne peut pas rétablir la sensibilité de ce sujet), je rends à Rose la sensibilité cutanée et musculaire de son bras; elle peut maintenant m'indiquer les positions que son bras avait précédemment et répéter les gestes avec conscience. »

On constate donc que les sensations ont été perçues par le moi, puis oubliées à cause de leur faible intensité.
M. P. Janet a bien senti que l'on pourrait expliquer les phénomènes que nous venons de décrire au moyen, non de l'inconscience, mais de l'oubli des sensations, oubli provenant de leur faible intensité;  il dit en effet :

« Ne pourrait-on pas expliquer l'anesthésie ou la subconscience par la faiblesse de certaines images, de même que l'on a voulu expliquer la suggestion consciente par la force de certaines autres. Ne pourrait-on pas dire, par exemple, que l'image visuelle du dessin montré à l'œil gauche de Marie est très faible, et que les applications métalliques ont pour résultat d'en augmenter la force et de les rendre perceptibles ?... »
«Je ne vois aucune raison pour admettre que la sensation produite sur des organes anesthésiques, soit une sensation faible. Cette sensation est précise, elle permet au sujet de reconnaître des détails forts petits de l'objet qu'on lui montre et de les reconnaître plus tard par le souvenir ou immédiatement par l'écriture automatique. »
« Quand peut-on dire qu'une personne ait une sensation vive et forte, en admettant que ce mot ait un sens quelconque, si ce n'est quand elle apprécie les détails minimes de l'impression causée sur ces sens? On mesure l'acuité visuelle en faisant lire des lettres petites, on mesure l'acuité du sens tactile en faisant distinguer des sensations tactiles rapprochées, c'est-à-dire presque semblables. Il ne peut rien y avoir de plus dans une sensibilité forte si ce n'est un mélange de phénomènes douloureux, étrangers à la sensation elle-même, qui sont des modifications de nature et non de la quantité de la sensation. Or, ces organes anesthésiques apprécient des choses fort délicates. L’oeil gauche de Marie, ainsi que je l'ai vérifié, reconnaît mon dessin, même quand il est petit et placé assez loin; la main de Lucie reconnaît l'écartement des points de l’œthésiomètre à une distance où bien des gens, qui ont une sensibilité soi-disant forte, ne l'apprécient pas; les actes inconscients de Léonie montrent qu'elle reconnaît ma main au simple contact, ce qui n'est pas la marque d'une sensation faible. Nous savons cependant qu'un   sujet peut être anesthésiqued'un sens, et en avoir un autre très délicat; Rose, qui ne sent pas les piqûres faites sur ses membres, se fâche parce que loin d'elle, dans la cour, elle entend quelqu'un qui chante faux. Ce n'est donc pas la petitesse ou la faiblesse de ces sensations qui empêche le sujet d'en avoir conscience. »

Nous pensons précisément le contraire, et voici pourquoi :
Bien que le siège anatomique des fonctions psychiques n'ait pu être encore déterminé avec précision, on peut supposer  avec assez d'exactitude que les fonctions intellectuelles siègent dans   le  cerveau   en   général,   et  en  particulier  à  la  périphérie, dans  les   circonvolutions corticales . Les maladies de la mémoire, chez les hystériques, sont évidemment d'origine psychique. Il nous faut donc chercher la raison des troubles constatés chez ces malades dans des modifications du cerveau.
Voici Marie qui voit avec l’œil droit et qui est aveugle de l’œil gauche. Cette cécité ne tient pas à une malformation de l’œil, ni à une paralysie du nerf optique puisque, plus tard, on peut lui rendre le souvenir de ce que cet œil a vu. C'est donc une maladie de la mémoire qui fait qu'elle ne conserve pas le souvenir des sensations qui lui arrivent par l’œil gauche. Ceci met en évidence le bien fondé des remarques de M. Richet sur la mémoire.
Il dit en effet  qu'il faut distinguer dans le phénomène mémoire deux choses distinctes :
1° Une mémoire de fixation qui s'opère fatalement, automatiquement, et qui est indépendante de nous, puis :
2° Une mémoire de rappel et d'évocation des images fixées déjà.
Dans les exemples rapportés par M. Janet, c'est cette mémoire d'évocation qui est absente normalement. Peut-on savoir pourquoi, bien que les sensations aient été enregistrées, le sujet n'en a pas gardé le souvenir? Nous croyons que la raison en est fournie par une diminution de la sensibilité des cellules où s'opèrent les localisations cérébrales auxquelles aboutissent les sensations provenant des sens.
Nous savons qu'une sensation, pour être consciente, c'est-à-dire pour rester dans la mémoire et se  relier  au  passé,  doit  satisfaire  à deux conditions:
1° Elle doit avoir une certaine intensité ;
2° Une durée, dont la longueur est variable suivant la nature du sujet .
On ne peut guère contester que l'intensité soit une condition primordiale, car nous savons par la loi de Weber, auquel Fechner a donné une forme mathématique, que la sensation croît comme le logarithme de l'excitation . Ici, dans le cas de Marie, l'excitation est constante, mais l'intensité de la sensation ou la connaissance qu'en a la conscience est liée à l'état de la sensibilité dans les couches corticales qui correspondent à l’œil. Or, il est démontré par les recherches de M. Binet , que le temps physiologique de réaction augmente pour un membre anesthésié, naturellement ou par suggestion, donc la localisation cérébrale correspondant à ce membre a subi une diminution de son activité, et comme M. Janet est d'accord pour constater que l'état de la mémoire est lié intimement à celui de la sensibilité, toute diminution de cette dernière entraîne nécessairement celle du souvenir.

« Il ne faut jamais oublier que l'état de conscience est un événement qui suppose un état particulier du système nerveux; que cette action nerveuse n'est pas un accessoire, mais une partie intégrante de l'événement; qu'il en est la base, la condition fondamentale; que, dès qu'il se produit, l'événement existe en lui-même; que, dès que la conscience s'y ajoute, l'événement existe pour lui-même; que la conscience le complète, l'achève, mais il ne le constitue pas. Si l'une des conditions du phénomène conscience manque, soit l'intensité, soit la durée, soit d'autres que nous ignorons, une partie de ce tout complexe – la conscience – disparaît: une autre partie – le processus nerveux – subsiste. Rien d'étonnant donc, si plus tard les résultats de ce travail cérébral se retrouvent: il a eu lieu en fait, quoique rien ne l'ait constaté . »

Nous comprenons bien maintenant que l'inconscience apparente des hystériques n'implique pas une diminution de la netteté des sensations. L’œil anesthésique n'est pas physiologiquement différent de l’œil normal . Il emmagasine les images avec la même acuité qu'un œil ordinaire, car l'anesthésie, nous le savons, est d'ordre psychique. C'est donc seulement dans le souvenir de la perception qu'il existe une différence, et nous ne sommes pas étonnés de voir Marie, Lucie ou Léonie, retrouver leurs souvenirs, quand on rend aux sensations l'intensité nécessaire pour qu'elles franchissent à nouveau le seuil de la conscience. Ce qui rend si bizarres, si invraisemblables les expériences faites sur les hystériques, c'est cet oubli immédiat des actes qui viennent d'être exécutés, des paroles qui vibrent encore dans l'air et que le sujet ne se rappelle plus. Nous assistons là à une exagération morbide des phénomènes qui ont lieu naturellement pour chacun de nous. Que de paroles ne prononce-t-on pas sans y attacher d'importance, et dont le souvenir ne reste pas en nous! Ces propos oiseux que l'on échange par politesse dans un salon, sont presque des réflexes psychiques auxquels personne ne se donne la peine d'attacher son attention. A qui n'arrive-t-il pas de se dire en voyant une personne: il me semble que je connais cette figure, ou bien « Ai-je rêvé cela? » en songeant à un événement qu'on ne peut localiser, et dont il est impossible de ressaisir les détails. La maladie ou la vieillesse amènent naturellement des résultats semblables.

«  A la fin de sa vie, Linné prenait plaisir à lire ses propres oeuvres, et quand il était lancé dans cette lecture, oubliant qu'il en était l'auteur, il s'écriait: « Que c'est beau! Que je voudrais avoir écrit cela! » On raconte un fait analogue au sujet de Newton et de la découverte du calcul différentiel. Walter Scott vieillissant, était sujet à ces sortes d'oublis. On récita un jour devant lui un poème qui lui plut;  il demanda le nom de l'auteur; c'était un chant de son pirate. Ballantyne qui lui a servi de secrétaire et a écrit sa vie, expose avec les détails les plus précis, comment Ivanhoë lui fut, en grande partie, dicté pendant une maladie aiguë. Le livre était achevé et imprimé avant que l'auteur pût quitter le lit. Il n'en avait gardé aucun souvenir, sauf de l'idée mère du roman qui était antérieure à la maladie . »

On peut créer artificiellement des insensibilités passagères, qui ont pour le sujet la même réalité que ses anesthésies naturelles. Nous allons en voir immédiatement un exemple.

Les suggestions négatives

L'école de Nancy appelle ainsi les suggestions qui suppriment pour un sujet les sensations provenant de certains objets ou des personnes présentes.
C'est surtout lorsqu'on assiste à des expériences de ce genre que la suggestion apparaît avec une puissance fantastique.
Elle semble ressusciter le pouvoir magique des enchanteurs, et, comme la lampe d'Aladin, faire disparaître les personnes ou les choses que le magnétiseur veut soustraire à la vue du sujet. M. Binet a donné à ce phénomène le nom d'anesthésie systématique .

« La suggestion qu'on adresse au sujet hypnotisé ou pris à l'état de veille, mais docile, consiste à lui défendre de percevoir un objet en particulier. Cette interdiction ne lui enlève que la perception de l'objet dont on lui parle, et il continue à percevoir les autres. De là le nom d'anesthésie systématique que l'on donne au phénomène; l'anesthésie est systématique parce qu'elle supprime un système de sensations et d'images, qui sont afférentes à un objet particulier. »

Nous allons voir dans l'expérience suivante, imaginée par M. Bernheim, les résultats extraordinaires que produit ce genre de suggestion .

« Elise B..., âgée de 18 ans, domestique, est affectée de sciatique. C'est une jeune fille honnête, de conduite régulière, d'intelligence moyenne, ne présentant, en dehors de la sciatique, aucune manifestation, aucun accident névropathique.
Elle a été, dès la première séance, très facile à mettre en somnambulisme, avec halucinabilité hypnotique et post-hypnotique et amnésie (perte de souvenir) au réveil. Je lui dis, pendant son sommeil: « A votre réveil vous ne me verrez plus, je serai parti. » A son réveil, elle me cherche des yeux et ne parait pas me voir. J'ai beau lui parler, lui crier dans l'oreille, lui introduire une épingle dans la peau, dans les narines, sous les ongles, appliquer la pointe de l'épingle sur la muqueuse oculaire, elle ne sourcille pas, je n'existe plus pour elle, et toutes les impressions acoustiques, visuelles, tactiles, etc., émanant de moi, la laissent impassible; elle ignore tout. Aussitôt qu'une autre personne la touche, à son insu, avec une épingle, elle perçoit vivement et retire le membre piqué.
J'ajoute, en passant, que cette expérience ne réussit pas avec la même perfection chez tous les somnambules. Beaucoup ne réalisent pas les suggestions sensorielles négatives, d'autres ne les réalisent qu'en partie. Certains, par exemple, quand j'ai affirmé qu'ils ne me verront pas à leur réveil, ne me voient pas, mais ils entendent ma voix, ils sentent mes impressions tactiles. Les uns sont étonnés de m'entendre et de se sentir piqués, sans me voir; les autres ne cherchent pas à se rendre compte; d'autres enfin croient que cette sensation émane d'une autre personne présente. Ils récriminent violemment contre elle; cette personne a beau protester que ce n'est pas elle et chercher à le leur démontrer, ils restent convaincus que c'est elle.
On arrive parfois à rendre l'hallucination complète pour toutes les sensations en faisant la suggestion ainsi: « A votre réveil, si je vous touche, si je vous pique, vous ne le sentirez pas; si je vous parle, vous ne m'entendrez pas. D'ailleurs, vous ne me verrez pas; je serai parti. » Quelques sujets arrivent ainsi, à la suite de cette suggestion détaillée, à neutraliser toutes leurs sensations; d'autres n'arrivent à neutraliser que la sensation visuelle, toutes les autres suggestions sensorielles négatives restant inefficaces.
La somnambule dont je parle réalisait tout à la perfection. Logique dans sa conception hallucinatoire, elle ne me percevait en apparence par aucun sens. On avait beau lui dire que j'étais là, que je lui parlais, elle était convaincue qu'on se moquait d'elle. Je la fixe avec obstination et je lui dis « Vous me voyez bien, mais vous faites comme si vous ne me voyiez pas! Vous êtes une farceuse, vous jouez la comédie! » Elle ne bronche pas et continue à parler aux autres personnes. J'ajoute, d'un air convaincu: « D'ailleurs je sais tout! Je ne suis pas votre dupe! Vous êtes une mauvaise fille. Il y a deux ans déjà vous avez eu un enfant et vous l'avez fait disparaître! Est-ce vrai? On me la dit! » Elle ne sourcille pas; sa physionomie reste placide. Désirant voir, dans un intérêt médico-légal, si un abus grave peut être commis à la faveur d'une hallucination négative, je soulève brusquement sa robe et sa chemise; cette jeune fille est de sa nature très pudibonde. Elle se laisse faire sans la moindre rougeur à la face. Je lui pince le mollet et la cuisse: elle ne manifeste absolument rien. Je suis convaincu que le viol pourrait être commis sur elle dans cet état, sans qu'elle oppose la moindre résistance.
« Cela posé, je prie mon chef de clinique de l'endormir et de lui suggérer que je serai de nouveau là, au réveil. Ce qui a lieu, en effet. Elle me voit de nouveau et ne se souvient de rien. Je lui dis: « Vous m'avez vu tout à l'heure! Je vous ai parlé. » Etonnée, elle me répond: « Mais non, vous n'étiez pas là! – J'y étais; je vous ai parlé. Demandez à ces messieurs. – M. P. voulait me soutenir que vous étiez là! Mais c'était pour rire! Vous n'y étiez pas? – Eh bien! lui dis-je, vous allez vous rappeler tout ce qui s'est passé quand je n'y étais pas, tout ce que je vous ai dit, tout ce que je vous ai fait! – Mais vous n'avez rien pu me dire, ni faire, puisque vous n'étiez pas là! » J'insiste d'un ton sérieux et, la regardant en face, j'appuie sur chaque parole: « Je n'y étais pas, c'est vrai! Vous allez vous rappeler tout de même. » Je mets ma main sur son front et j'affirme: « Vous vous rappelez tout absolument tout! Là! Dites vite! Qu'est-ce que je vous ai dit! » Après un instant de concentration, elle rougit et dit: « Mais non, ce n'est pas possible; vous n'étiez pas là! Je dois avoir rêvé. – Eh bien! Qu'est-ce que je vous ai dit dans ce rêve? » Elle ne veut pas le dire, honteuse! J'insiste, elle finit par me dire: « Vous m'avez dit que j'avais eu un enfant! – Et qu'est-ce que je vous ai fait? – Vous m'avez piquée avec une épingle! – Et puis? » Après quelques instants « Mais non, je ne me serais pas laissé faire! C’est un rêve! – Qu'est-ce que vous avez rêvé? – Que vous m'avez découverte, etc. »
J'arrive ainsi à évoquer le souvenir de tout ce qui a été dit et fait par moi pendant qu'elle était censée ne pas me voir! Donc, elle m'a vu en réalité, elle m'a entendu malgré son inertie apparente. Seulement, convaincue par la suggestion que je ne devais pas être là, sa conscience restait fermée aux impressions venant de moi, ou bien son esprit neutralisait, au fur et à mesure qu'elles se produisaient, les impressions sensorielle; il les effaçait, et cela si complètement que je pouvais torturer le sujet physiquement et moralement; elle ne me voyait pas, elle ne m'entendait pas! Elle me voyait avec les yeux du corps, elle ne me voyait pas avec les yeux de l'esprit. Elle était frappée de cécité, de surdité, d'anesthésie psychique pour moi; toutes les impressions sensorielles émanant de moi étaient bien perçues, mais restaient inconscientes pour elle. C'est bien une hallucination négative, illusion de l'esprit sur les phénomènes sensoriels.
« Cette expérience, je l'ai répétée chez plusieurs sujets susceptibles d'hallucinations négatives. Chez tous j’ai pu constater que le souvenir de tout ce que les sens ont perçu pendant que l'esprit effaçait, a pu être reconstitué . »

Les partisans de l'existence d'un personnage subconscient diraient que c'est lui qui, sous l'influence de la suggestion, a monopolisé, confisqué toutes les sensations provenant de la personne qui ne doit pas être vue, entendue ou sentie, de manière que la conscience normale n'a pas connaissance de ces sensations et que son ignorance de tout ce qui a rapport au personnage frappé d'interdit est absolue. Mais qui ne voit dans notre exemple que cette explication est manifestement erronée ?
La jeune fille qui sert de sujet n'est pas hystérique; jamais elle n'a eu d'antécédents névropathiques, donc elle jouit normalement de l'intégrité de sa mémoire, ce qui est prouvé chez elle par l'absence de toute anesthésie. Or, le personnage subconscient de M. P. Janet ne se forme qu'avec les sensations qui sont restées en dehors de la perception consciente; comme ici il n'y en a pas, il en résulte que ce personnage subconscient n'a pas pu prendre naissance. L'amnésie pour toute la série des sensations qui émanent de M. Bernheim (visuelles, auditives, tactiles) est due à la volonté de l'hypnotiseur qui a paralysé dans le cerveau du sujet l'ensemble des images mentales qui se rapportent à lui. Nous retrouvons ici cette loi de l'association des idées par laquelle tous les souvenirs relatifs à une personne sont en contiguïté les uns avec les autres et forment un tout, une unité de groupe, qui conserve son autonomie au milieu de milliers d'autres de la même nature.
La suggestion négative a pour résultat de diminuer l'intensité des sensations, de sorte qu'à peine perçues, elles sont immédiatement oubliées.
Si l'on admet que tous nos souvenirs ont leurs conditions d'existence dans des cellules nerveuses et dans des groupes de cellules (et il est difficile de ne pas en venir là) on pourrait dire qu'on paralyse par suggestion telle ou telle cellule, ou tel ou tel groupe cellulaire, comme on paralyse un muscle ou un membre .
Mais le même pouvoir qui pouvait amoindrir les sensations peut aussi les rétablir avec leur intensité normale, et nous voyons que la jeune fille se rappelle successivement, et dans  l'ordre, tous les évènements survenus pendant que la suggestion exerçait sur elle son empire.
Ce qui établit sans conteste que l'emmagasinement des sensations dans le cerveau a suivi son cours normal, c'est que celles qui proviennent des assistants, et dont le sujet se souvient, ne sont pas séparées de celles qui émanent de M. Bernheim: elles sont,  pour ainsi dire, enregistrées chronologiquement à leur place;  elles ne font pas bande à part; elles n'appartiennent pas à un personnage distinct; elles apparaissent au milieu des autres, précisément à la place qu'elles doivent logiquement occuper suivant leur ordre d’arrivée; en un mot, elles font partie de la mémoire ordinaire, dont elles ne diffèrent que par une intensité moindre.
Nous constatons que M. Bernheim n'a pas recours, pour expliquer ces faits, à un hypothétique personnage subconscient;  il voit nettement « que l'esprit du sujet neutralise, au fur et à mesure qu'elles se produisent, les perceptions sensorielles » qui se rapportent à celui qui a donné la suggestion.
Ce pouvoir de ressusciter des souvenirs qui semblaient n'avoir jamais été perçus, montre que le moi subsiste intégralement dans l'état hypnotique, mais que la suggestion, comme l'anesthésie naturelle, y découpe des territoires qui deviennent inconnus pour le moi lorsqu'il se retrouve à l'état normal: en somme, ce n'est pas de l'inconscience, c'est de l'oubli.
Si les résultats ultimes sont les mêmes, les causes en sont bien différentes. Ce point si important a été vu aussi par M. de Rochas, il dit .

« Si l'on touche le sujet sur sa peau ou ses vêtements, soit dans cet état (léthargie qui précède le somnambulisme), soit dans l'une des léthargies consécutives, il suffit, pour qu’il se rappelle au réveil le contact qu’il a subi, soit de lui prescrire, soit même, pour la plupart d’entre eux, de déterminer par la pression d’un point au milieu du front la mémoire que j'appellerai somnambulique, parce qu'elle embrasse tous les états de l'hypnose. Ainsi le moi persiste malgré ses modifications apparentes... »

Et plus loin :

« Il faut remarquer que tous mes sujets se rappellent à l'état de veille ce qui s'est passé dans les états où persiste la suggestibilité, quand je leur prescris dans cet état, même si cette suggestion est donnée dans un état où ils ne semblent pas entendre, comme dans la léthargie et la catalepsie. Il suffit même, pour certains d'entre eux, de presser avec le doigt le milieu du front à l'état de veille pour ramener la mémoire de tous les faits passés pendant l'état somnambulique. Cette observation, qui a une très grande importance au point de vue médico-légal, avait déjà été faite par les anciens magnétiseurs. »

Avec les sujets de M. P. Janet, on peut observer également que les actes qu'ils accomplissent sont normalement oubliés, alors même qu'ils ont été conscients. Rappelons que lorsqu'on obligeait Lucie « à s'apercevoir de la contracture de ses bras et qu'on la contraignait à les faire mouvoir, elle s'effrayait, gémissait et aurait commencé une crise, si par un mot on n'avait supprimé le mal. Mais une fois guérie et les larmes encore dans les yeux, elle ne se souvenait plus de rien. » Ici on voit nettement que ce n'est pas par inconscience que ce souvenir est aboli, mais que l'amnésie tient réellement à l'état de maladie du sujet. L'expérimentateur joue un rôle de premier ordre dans l'écriture subconsciente, car elle ne pourrait être obtenue par une autre personne. C'est grâce à sa suggestion que cette personnalité factice a été organisée, aussi elle ne connaît que lui, de même que les somnambules ne sont généralement en rapport qu'avec leur magnétiseur.

« La  grande différence, dit M. P. Janet, (p. 359) entre les hystériques qui ont été déjà étudiées et hypnotisées et les hystériques qui ne l'ont jamais été, c'est que, chez les premières, le groupe des phénomènes désagrégés séparés de la conscience normale a été plus ou moins réorganisé en une personnalité qui connaît l'opérateur et lui obéit, tandis que, chez les secondes, ce groupe de phénomènes qui existe aussi bien, ainsi que le prouvent leurs anesthésies et leurs paralysies, est incohérent, incapable le plus souvent de comprendre et d'obéir. »

C'est une constatation très importante pour nous, car elle ajoute encore une différence entre les médiums et les hystériques. Étudions donc sommairement cette influence du rapport, que           M. Janet reconnaît lui-même.

Le rapport magnétique

Tous les magnétiseurs, depuis Mesmer et Puységur, ont constaté que la plupart des sujets ne ressentent pas indifféremment toutes les sensations, mais qu'ils semblent faire un choix parmi les différentes impressions qui arrivent à leurs sens, pour percevoir celles-ci et non point  celles-là. Le plus grand nombre de somnambules, une fois endormis, entendent très bien leur magnétiseur et causent avec lui, mais paraissent n'entendre aucune autre personne, aucun autre bruit, pas même celui d'un pistolet que l'on tire auprès d'eux, comme dans les expériences de Du Potet .

« Ce lien entre le sujet et certaines personnes ou certains objets qui lui permet de le sentir à l'exclusion des autres, a reçu le nom de Rapport magnétique, et l'on met une personne en rapport avec le sujet quand on force le sujet à la voir ou à l'entendre. Ce fait du rapport magnétique est très intéressant et très facile à constater: il existait à un degré plus ou moins élevé chez la plupart des sujets que j'ai étudiés. Léonie au premier somnambulisme, ne présente guère ce caractère, elle entend et voit tout le monde; elle le présente beaucoup plus fortement en second somnambulisme, car alors elle n'entend que moi et encore quand je la touche. Elle a une électivité plus grande dans tous les états pour ce qui concerne les suggestions, car elle n'obéit jamais qu'à moi. Marie et Rose sont en général plus électives que Léonie;  dès l'instant où elles s'endorment, elles semblent perdre la notion du monde extérieur pour ne plus voir, entendre ou sentir que celui qui les a endormies. Marie garde seulement pour les autres personnes un peu de sensibilité tactile, si on peut l'appeler ainsi, car elle éprouve un sentiment de souffrance et de répugnance très marqué quand elle est touchée par une autre personne étrangère, non en rapport avec elle. Rose ne sent jamais rien de semblable. Je ne parle pas ici de Lucie qui était très peu élective et ne me distinguait des autres personnes que pour m'obéir. »

Lucie, c'est M. Janet qui nous l'a appris, avait presque complètement perdu le sens de l'ouïe et il fallait lui parler très fort pour qu'elle entendît;  cependant, lorsque M. Janet veut lui faire une suggestion par distraction, il lui suffit de murmurer son ordre et elle l'entend   parfaitement , ce qui prouve qu'elle est très sensible à toutes les sensations qui viennent de lui, autrement dit qu'elle est en rapport magnétique avec l'opérateur. Il y a plus encore, la personnalité subconsciente qui a été baptisée Adrienne n'existe pas pour les autres expérimentateurs;  en voici la preuve .

« Un des premiers caractères que manifeste ce « moi secondaire » et qui est visible pour l'opérateur, c'est une préférence marquée pour certaines personnes. Adrienne qui m'obéit fort bien et qui cause volontiers avec moi, ne se donne pas la peine (?) de répondre à tout le monde. Qu'une autre personne examine en mon absence ce même sujet, comme cela est arrivé, elle ne constatera ni catalepsie partielle, ni actes subconscients par distraction, ni écriture automatique, et viendra me dire que, Lucie est une personne normale très distraite et très anesthésique. Voilà un observateur qui n'a vu que le premier moi avec ses lacunes et qui n'est pas entré en relation avec le second. »

Ne pourrait-on pas dire aussi justement: voilà un observateur qui n'a pas fait à Lucie la suggestion qu'elle a une seconde personnalité et qui, naturellement, ne la trouve pas chez elle, quand M. Janet, au contraire, l'y rencontre parce qu'il en est le créateur; mais poursuivons :

« D'après les observations de MM Binet et Ferré, il ne suffit pas qu'une hystérique soit anesthésique pour qu'elle présente de la catalepsie partielle. Sans aucun doute, il faut, pour ce phénomène, une condition de plus que l'anesthésie, une sorte de mise en rapport de l'expérimentateur avec les phénomènes subconscients. Si ces phénomènes sont très isolés, ils sont provoqués par tout expérimentateur, mais s'ils sont groupés en personnalité (ce qui arrive très fréquemment chez les hystériques fortement malades), ils manifestent des préférences et n'obéissent pas à tout le monde. »
« Non seulement le moi secondaire n'obéit pas, mais il résiste à l'étranger. Quand j'ai soulevé et mis en position cataleptique le bras de Lucie ou de Léonie qui présente le même phénomène, personne ne peut le déplacer... Quand je touche le bras de nouveau, il devient subitement léger et obéit à toutes les impulsions. »

On ne peut pas mieux démontrer la très grande influence du magnétiseur, et cette observation peut être complétée par celle du Dr Ochorowicz, qui dit .

« Lorsque le sujet ne sent pas du tout l'attouchement d'une personne étrangère, on peut faire l'expérience suivante: au lieu de toucher directement, on touche avec un crayon, par exemple: si en touchant directement on peut supposer des différences de température, qui indiqueraient au sujet celui qui le touche – ici cette supposition n'a plus de valeur – Eh bien! Malgré cela, le sujet sentira le crayon du magnétiseur et ne sentira pas le même crayon tenu par une autre personne. On peut varier cette expérience de différentes manières; le sujet ne sent pas le crayon, mais si le magnétiseur touche la main de la personne qui tient le crayon, celui-ci deviendra sensible de nouveau. »
« Prenons une longue tige à la place du crayon et que le magnétiseur la tienne d'abord à 10, puis à 20, puis à 50 centimètres. La pression de la tige et son contact avec la peau du sujet deviendront de plus en plus confus, de plus en plus incertains, enfin, à quelques mètres, suivant la force de l'action physique individuelle et de la sensibilité du sujet, ce dernier ne sentira plus rien. Et pourtant la pression mécanique reste toujours la même.
« Est-ce l'imagination qui fait cela, est-ce la foi? Qu'on m'explique cette expérience, sans une action physique, et je renoncerai au magnétisme, mais pas avant. Elle démontre que les différences dynamiques moléculaires dépassent la surface du corps; qu'un certain mouvement tonique vibratoire, propre à un organisme donné, se propage en dehors de sa périphérie, et peut influencer le sujet d'une façon assez nette, assez palpable, pour admettre une action réelle. »

Si nous avons insisté sur ce point, c'est qu'il est à noter pour établir une différence de plus entre les sujets hystériques et les médiums.

Résumé

1° Il n'existe pas de personnage subconscient

Nous avons pu constater, par une analyse soigneuse des exemples cités par M. Janet, que l'existence simultanée de deux personnalités chez le même sujet n'est nullement démontrée, et comme c'est un principe de logique qu'il ne faut pas multiplier les causes sans nécessité, nous repoussons l'hypothèse d'un personnage subconscient coexistant avec la conscience normale.
Ici, afin d'éviter toute confusion, nous croyons utile de bien spécifier notre manière de voir.
Il existe certainement chez les sujets sains des phénomènes psychiques qui deviennent inconscients :
1° Ce sont ceux, par exemple, qui ont lieu en rêve ou pendant le dégagement de l'âme et que l'on oublie au réveil ;
2° Les états de conscience de tous les jours, dont quelques-uns seulement sont conservés ;
3° Tous les souvenirs des vies antérieures qui sont le fondement même de l'individualité.
Et chez les hystériques, les alcooliques, les épileptiques, les somnambules, etc. ;
4°Des fractions entières de la vie psychique de tous les jours qui disparaissent pour la conscience normale.
Mais ces souvenirs, de sources si diverses, ne s'organisent pas en personnalités distinctes, autonomes, ayant une existence propre, au-dessous et en même temps que la conscience ordinaire.
Ce que l'on observe seulement, c'est que la personnalité des hystériques varie suivant l'état dynamique du système nerveux.
M.M. Azam , Dufay , Mesnet , Bourru et Burot , etc., ont bien montré comment à une modification déterminée de la sensibilité correspondait une personnalité spéciale, caractérisée par une mémoire particulière, mais ce sont là des variations de l'individualité totale, des sortes de métamorphoses de la conscience, des composés psychiques allotropiques, qui ne portent aucune atteinte à l'unité du moi. Celui-ci subsiste à travers toutes ces transformations par les formes les plus stables, les moins conscientes de la mémoire, c'est-à-dire par les habitudes. Que Lucie ou Léonie soient dans les états 1, 2 ou 3, elles ont toujours le sentiment de vivre;  elles savent encore parler, écrire, coudre, chanter, etc. C'est sur ce fond commun que les sensations qui ne sont pas annihilées, brodent des arabesques qui donnent à ces états leurs caractéristiques spéciales.
Nous croyons donc qu'à quelque moment que l'on considère l'hystérique, il n'existe toujours en elle qu'une seule individualité, qui peut présenter des caractères divers, suivant l'étendue du champ de la conscience, mais qui reste elle-même, en dépit de ses variations.
Pour essayer de rendre plus claire notre pensée, nous pourrions figurer schématiquement les différents états de la personnalité des hystériques par des cercles concentriques.

 

A, serait l'état normal, c'est-à-dire le plus pauvre, pour les sujets ayant des anesthésies profondes qui leur ont fait perdre la perception des sensations musculaires, auditives, tactiles: il ne reste de conscientes que les sensations visuelles, olfactives et gustatives, avec les souvenirs qui s'y rattachent. C'est la personnalité ordinaire A, avec ses infirmités.
Lorsqu'il se produit un changement dans l'état nerveux, c'est-à-dire dans la sensibilité, sous l'action d'un excitant quelconque: suggestion, électricité, magnétisme, métaux, etc., un certain nombre de sensations latentes redeviennent actives, ramenant avec elles d'anciens souvenirs; la conscience s'étend à tout le cercle B, et forme une seconde personnalité: A + B déjà plus développé. Mais, et ceci est très important, A n'existe plus;  il est devenu A+B, c'est le moi qui a récupéré toutes les sensations de B. Enfin si l'excitant a assez de puissance pour rétablir intégralement la sensibilité, toutes les sensations reparaissant, le passé est entièrement ressuscité; le champ s'élargit et comprend l'espace C; la conscience totale pour la personnalité no 3 embrasse les états A + B + C, et individuellement, A et B ont disparu.
Aussi longtemps que se maintiendra cet équilibre, la santé sera normale; mais si, pour une cause quelconque, l'action dynamogénique qui agissait sur le système nerveux diminue, c'est d'abord le champ C qui repasse à l'état latent et qui emporte avec lui les souvenirs qui s'y rattachent;  il y a un rétrécissement du champ total de la conscience, qui n'est plus représenté que par A + B, et si le sujet retourne à ce qui était son état normal avant qu'on agît sur lui, il en est réduit à l'état A, ayant perdu toute souvenance de ses personnalités  A  + B et  A + B + C.
Il est évident qu'il peut y avoir un plus grand nombre d'états différents de la sensibilité que ceux qui sont grossièrement figurés ici, et que les relations réciproques entre ces états peuvent varier; il est possible, par exemple, qu'il y ait pénétration partielle de l'une des zones par l'autre;  mais nous croyons que ce schéma représente le cas le plus général, car à mesure qu'on approfondit le sommeil, chaque état spécial nouveau connaît tous ceux qui le précèdent, sans en être connu.
Il existe donc des états de la personnalité ignorés du moi normal parce qu'ils en sont oubliés; ce sont d'abord les souvenirs des vies antérieures, ensuite, la plupart des phénomènes de la vie du rêve, ou bien les événements qui se déroulent dans le somnambulisme naturel ou provoqué;  mais c'est toujours le moi qui les a perçus, quitte à en perdre le souvenir en revenant à la vie ordinaire. On ne peut donc, dans aucun cas, soit pour les hystériques, soit pour les médiums, admettre la réalité d'un second personnage existant en même temps que la conscience ordinaire, et qui jouirait d'une indépendance complète vis-à-vis de la personnalité normale.

2° Nécessité de la suggestion pour obtenir l'écriture

Nous avons pu observer, aussi bien chez les sujets de M. Binet que chez ceux de M. P. Janet, qu'ils ne se mettent jamais à écrire spontanément. Il faut que les expérimentateurs agissent sur eux par des suggestions tactiles ou verbales pour faire agir le mécanisme automatique de l'écriture. Lorsque l'éducation de l'hystérique n'est pas faite, les phénomènes inconscients sont tout à fait rudimentaires; mais peu à peu, sous l'influence de la répétition, la suggestion se transforme en autosuggestion; il se crée une habitude idéo-organique et le moi du sujet peut écrire des lettres, comme nous l'avons vu pour Lucie ou Léonie, sans en avoir conscience immédiatement après, par suite de l'oubli qui se produit instantanément pour toutes les perceptions qui sont comprises dans la zone psycho-nerveuse anesthésiée.

3° Nécessité d'un rapport magnétique pour obtenir l'écriture suggérée

Nous savons que le sujet hystérique ne peut être suggéré que par l'opérateur habituel, car si un autre expérimentateur veut obtenir de l'écriture subconsciente, il n'y parvient pas. Il y a là un caractère électif très significatif, que les recherches des magnétiseurs ont mis depuis longtemps en évidence.

Conclusion

Il résulte des recherches de M. Janet que l'écriture automatique et inconsciente des hystériques n'est pas spontanée: elle ne se produit qu'après une éducation du sujet, au moyen de suggestions qui ont créé une division dans la conscience normale. L'écriture peut employer pour se produire des sensations musculaires et tactiles qui sont en dehors de la perception consciente et qui, en agissant sur le mécanisme nerveux, produisent ces messages qui répondent aux questions posées.

Comparaison des hystériques et des médiums

M. Janet a fait, dans son livre, un historique du Spiritisme qui ne brille ni par l'exactitude ni par l'aménité. En commençant, il déclare  « qu'on s'est montré injuste envers les Spirites comme envers les magnétiseurs ». On s'attend donc à lui voir étudier impartialement les faits et à réhabiliter ces honnêtes chercheurs, victimes de l'ignorance et des préjugés de leurs contemporains. Mais il faudrait une forte dose de naïveté pour attendre des écrivains qui aspirent à prendre place dans le Tchin académique, une appréciation indépendante et sincère des phénomènes qui n'ont pas reçu encore la consécration officielle; aussi M. Janet traite Allan Kardec, qui fut professeur comme lui, de vendeur de contremarques et déclare que le Spiritisme « est devenu peu à peu cette industrie que M. Gilles de la Tourette a dévoilée, et qui n'a plus guère d'autre but que d'exploiter les naïfs . »  Des expériences de Crookes, citées cependant par lui, M. Janet ne dit presque rien, et pour cause. Là on ne peut accuser l'observateur de grossier charlatanisme, aussi on passe sous silence ses recherches, aussi bien que celles de Wallace, de Zollner, de Gibier et autres savants. Constatons que pour un psychologue qui veut être avisé, M. Janet s'est lourdement trompé, tant sur l'avenir du Spiritisme qu'en ce qui concerne ses adeptes. Depuis que son livre est paru (1889), des recherches aussi nombreuses que précises et intéressantes ont eu lieu dans toutes les parties du monde, et des hommes comme F. W. H. Myers,  O. Lodge, membre  de la Société  Royale, Hodgson, Lombroso, Schiapparelli, Ch. Richet, Dr Ségard, de Rochas, etc., n'ont pas craint de s'engager dans les sentiers défendus, confirmant de leur haute autorité la matérialité des faits signalés par ces Spirites si diffamés.
M. P. Janet espère établir que les médiums écrivains sont des hystériques et que les phénomènes de l'écriture automatique sont dus simplement au personnage subconscient, qui joue le rôle de l'esprit. Il est donc obligé de faire la preuve que ses assertions sont bien fondées.
Pour que l'hypothèse de M. P. Janet eût quelque valeur il faudrait qu'elle fût appuyée sur des faits nombreux et bien observés, montrant chez les médiums les caractères cliniques par lesquels on reconnaît cette névrose. Mais c'est en vain que l'on chercherait dans l'Automatisme psychologique, même un commencement de preuve de cette nature. On ne nous montre nulle part chez les médiums cette anesthésie générale ou partielle, superficielle ou profonde qui est si souvent observée chez les hystériques. Dans aucune observation, on ne nous signale de rétrécissement des champs visuels, d'abolition du réflexe pharyngien, de zones spasmogènes ou frénatrices, de paralysies ou de contractures, ni enfin de ces crises caractérisées par des évolutions régulières de phénomènes, que l'École de la Salpêtrière a si bien définis . Ces lacunes montrent combien l'hypothèse de M. Janet est hasardée, et bien qu'il ait essayé d'assimiler les médiums écrivains aux somnambules, on demeure surpris de la légèreté avec laquelle cet auteur, réputé sérieux, n'hésite pas à réunir dans une même catégorie les médiums et les névropathes.
Nous sommes en présence d'un parti pris évident qui se manifeste pour tout ce qui a trait au Spiritisme. Il est facile de l'établir par l'analyse de son travail.
Il cherche à démontrer d'abord que les phénomènes de la table ne commencent que lorsque des femmes ou des enfants, c'est-à-dire des personnes prédisposées aux accidents nerveux, viennent y prendre place. Ce premier point est totalement faux, puisque l'on obtient des phénomènes, alors qu'aucune femme ou enfant n'est présent: témoins les faits constatés par les membres de la Société dialectique de Londres . Ces graves savants étaient-ils donc aussi des hystériques? Les médiums à effets physiques tels que Home, Eglinton, Slade, les frères Davenport, etc., n'ont jamais été classés parmi les névropathes et même ils n'obtenaient jamais de manifestations, lorsque leur santé n'était pas normale . D'ailleurs, c'est le plus souvent à la suite d'expériences faites dans l'intérieur des familles que le Spiritisme a recruté ses adeptes, et il est inadmissible de supposer que, sur les quelques millions d'expérimentateurs qui ont obtenu des communications, tous soient des malades. Les rapports des médecins sur la fréquence de l'hystérie démentent cette hypothèse. Un semblable phénomène aurait vite attiré l'attention et signalé le danger de ces pratiques, s'il eût réellement existé.
Nous ne voulons pas dire qu'il n'a jamais pu se rencontrer d'hystériques qui fussent médiums, ce serait une conclusion trop absolue que nous ne sommes pas autorisés à formuler  ;  mais ce que nous maintenons, c'est que la médiumnité n'est pas une névrose et qu'elle ne peut pas être considérée comme un symptôme clinique de l'hystérie.
A vrai dire, M. Janet prétend que ces exercices conduisent à la folie, mais les statistiques publiées dans tous les pays démontrent qu'il y a infiniment moins, proportions gardées, de fous spirites que de fous religieux. M. Janet aurait pu s'en assurer en lisant l'article de la Revue Spirite qu'il indique en renvoi .
L'auteur raconte une expérience qu'il fit en compagnie d'une jeune fille anglaise qui n'a pu, en sa présence, obtenir que quelques mots insignifiants. Immédiatement il en conclut qu'elle est élective et que c'est un caractère qui la rapproche de ses sujets, Lucie ou Léonie. N'est-il pas étonnant qu'un auteur sérieux se contente d'un seul essai pour se prononcer sur un sujet aussi important? Peut être juge-t-il qu'il est dispensé de suivre une méthode scientifique avec des Spirites ?
Pour établir que les médiums sont des hystériques, M. Janet se réfère presque exclusivement aux écrits des magnétiseurs, au lieu d'emprunter ses exemples aux écrivains spirites, aussi n'est-il pas surprenant qu'il puisse ainsi faire quelques citations qui ne s'appliquent pas, pour la plupart, à l'écriture mécanique mais aux phénomènes d'incarnations qui sont fort différents. Nous avons, depuis vingt années que nous étudions ces phénomènes, eu l'occasion d'observer très souvent des médiums écrivains, et nous devons déclarer que nous n'en avons jamais vu écrire autrement qu'à l'état normal: nous savons que cela est possible, témoin le cas de      Mme Piper signalé par le Dr Hodgson. Supposons cependant que tous les médiums soient des somnambules naturels, cela suffit-il pour dire que ce sont des hystériques? M. Janet semble l'admettre car, pour lui, le somnambulisme ne saurait exister chez des individus en parfaite santé .
Pour savoir ce qu'il faut penser à cet égard, nous préférons laisser la parole à des médecins, beaucoup mieux qualifiés que nous, pour traiter cette question.   
M. Beaunis, professeur à la faculté de médecine de Nancy, dit .

« Contrairement à l'opinion répandue, les sujets (somnambuliques) ne sont pas rares, et ici je dois combattre un préjugé qui a cours non seulement dans le public, mais encore chez beaucoup de médecins; c'est qu'on ne peut guère provoquer le somnambulisme que chez les hystériques. En réalité, il n'en est rien. Le somnambulisme artificiel s'obtient avec la plus grande facilité chez un grand nombre de sujets chez lesquels l'hystérie ne peut être invoquée, enfants, vieillards, hommes de toute constitution et de tout tempérament. »
« Bien souvent même, l'hystérie, le nervosisme, sont des conditions défavorables à la production du somnambulisme, probablement à cause de la mobilité d'esprit qui les accompagne et qui empêche le sujet que l'on veut endormir de fixer son attention assez fortement sur une seule idée, celle du sommeil; au contraire, les paysans, les soldats, les ouvriers à constitution athlétique, les hommes peu habitués à laisser vagabonder leur imagination, et chez lesquels la pensée se cristallise facilement, si j'ose m'exprimer ainsi, tombent souvent avec la plus grande facilité dans le somnambulisme et cela quelquefois dès la première séance. »

M. Beaunis admet, d'après le Dr Liébault, que la proportion des sujets somnambules est d'environ 18 sur 100 personnes prises au hasard. Lorsque l'on étudie l'influence de la suggestion par rapport au sexe, on constate un fait très inattendu: c'est que les proportions sont à peu près les mêmes chez les hommes et chez les femmes, et qu'en particulier, contrairement à l'opinion courante, la proportion est presque identique pour ce qui concerne le somnambulisme, 18,8 pour 100 chez les hommes, 19,4  pour 100 chez les femmes.

« Il est bien souvent évident qu'on ne peut invoquer là l'hystérie chez l'homme, à moins d'admettre, ce qui serait absurde, qu'on trouve chez l'homme 18 hystériques sur 100 sujets, et encore, comme on le verra plus loin, cette hystérie de l'homme se montrerait à tous les âges. »

Le professeur Bernheim écrit également :

« Dire que l'on ne peut hypnotiser que les hystériques ou des personnes ayant une tare névropathique, c'est dire une chose absolument erronée, contre laquelle protestent tous les médecins qui ont assisté à nos expériences et font comme nous. C'est la plus grande erreur qui ait été formulée sur l'hypnose. J'affirme qu'il n'y a aucun rapport entre l'hypnotisme et l'hystérie. Le sommeil hypnotique est identique au sommeil naturel; ce n'est pas une névrose hypnotique. »
« Il est rationnel d'admettre, dit M. Paul Richer, que les phénomènes d'hypnotisme qui dépendent toujours, d'un trouble de fonctionnement régulier de l'organisme, demandent pour leur développement une prédisposition spéciale que, d'un accord unanime, les auteurs placent dans la diathèse hystérique  ». C'est vrai qu’il y a un accord presque unanime là-dessus. Mais je crois que les auteurs se trompent. Ce n'est pas l'hystérie qui constitue un terrain favorable à l'hypnotisme, mais c'est la sensibilité hypnotique qui constitue un terrain favorable pour l'hystérie. L'hystérie est une maladie qui se développe à un certain âge, et qui peut ou disparaître ou se modifier de beaucoup, tandis que la sensibilité hypnotique est une propriété innée à peu près constante, et qui, habituellement, se conserve toute la vie. C'est une question de tempérament, de constitution physiologique. Si c'est une névrose, on peut ne pas s'en douter toute sa vie . »

On voit donc qu'en admettant que les médiums soient tous des somnambules – ce qui est bien loin d'être démontré – cela ne suffirait pas pour les assimiler aux hystériques, comme l'a fait M. Janet.
En résumant toutes les remarques précédentes, voici les différences profondes qui séparent les médiums des hystériques.

Différences entre les hystériques et les médiums

Chez les hystériques :
1° La santé générale est gravement troublée et les anesthésies profondes qui atteignent un ou plusieurs sens, déterminent des lacunes dans la vie mentale, la perte complète de certains souvenirs, et un rétrécissement considérable du champ de la conscience,
2°Les phénomènes subconscients ne se développent sous la forme de  l'écriture   qu'après une éducation assez longue,
3° Et sous l'influence de suggestions tactiles ou verbales faites pendant l'état de distraction qui est continuel ,
4° L'écriture automatique ne peut être suggérée par quiconque: elle ne se produit que dans l'état de rapport, et si c'est le magnétiseur habituel qui fait la suggestion,
5° Cette écriture ne relate que des faits connus du sujet, et le contenu n'est pas sensiblement supérieur à sa capacité intellectuelle,
6° Jamais l'hystérique ne sait qu'elle écrit. C'est une opération involontaire et inconsciente,
7° Enfin, on n'a jamais pu obtenir ces phénomènes avec des hommes.

Chez les médiums:
1° La santé est normale. On ne constate généralement aucune anesthésie ni aucune perte de souvenirs; l'intelligence n'est nullement atteinte, et même la faculté cesse pendant la maladie, ce qui est l'inverse de ce qui se présente chez les hystériques ,
2° et 3° Les phénomènes de l'écriture se produisent spontanément et sans suggestions verbales ou tactiles,
4° Il n'y a généralement aucune influence élective de la part des assistants, ni aucune nécessité d'un rapport magnétique quelconque,
5° Le médium sait qu'il écrit, son mouvement est involontaire mais conscient,
6° On obtient indifféremment des messages écrits avec des femmes ou avec des hommes, nous l'avons vu par l'exemple du Dr Cyriax,
7° Fréquemment, les médiums, au moyen de l'écriture, donnent des renseignements qui leur sont inconnus ainsi qu'aux assistants, et que l'on vérifie ensuite être exacts.
 

 

 

 

 


DEUXIÈME PARTIE

 

 

 

 


Animisme

 

 

L'AUTOMATISME  GRAPHIQUE  NATUREL -  INFLUENCE DE LA CLAIRVOYANCE, DE LA PRÉMONITION, DE LA TRANSMISSION DE PENSÉE, DE LA TÉLÉPATHIE, DE L'AME DES VIVANTS,   SUR LE CONTENU DES ÉCRITS.
 
CHAPITRE I

L'Automatisme naturel

Sommaire: Vrais et faux médiums. – Dès l'origine du spiritisme, des distinctions ont été faites par tous les écrivains qui ont étudié ce sujet. – Allan Kardec, Jackson Davis, Hudson Tuttle, Metzger. – L'automatisme étudié par MM. Salomons et Stein. – Exemples: Clélia. – Incohérence de ces messages. – Affirmations mensongères de l'automatisme. – Le mécanisme de l'écriture automatique est produit par le pouvoir moteur des idées. – L'inconscience tient à une inhibition de la mémoire, déterminée par la distraction ou un état hypnoïde. -- Celui-ci est produit par auto suggestion. – Démonstration de chacun de ces points. – D'où proviennent les renseignements qui semblent étrangers à l'écrivain? – Travail de l'âme pendant le sommeil. – Etats demi somnambuliques pendant la veille. – Mémoire latente. – Exemples d'automatismes graphiques simulant parfaitement les communications spirites. – Les observations de M. Flournoy. – Personnalités fictives créées par auto suggestion.

Vrais et faux médiums

Nous avons vu dans les chapitres précédents que les savants qui cherchent à classer dans une même catégorie les médiums et les hystériques, ne peuvent le faire qu'en forçant les analogies au-delà de toutes les limites permises. Il nous a été possible de constater aussi que ce n'est qu'en négligeant systématiquement tous les faits qui ne cadrent pas avec leurs théories, qu'ils se flattent d'avoir donné une explication scientifique de la médiumnité. Mais si l'insuffisance de ces démonstrations est évidente, il n'en résulte pas moins que nous avons assisté à des expériences intéressantes en ce qui concerne l'écriture automatique, et qui pourront peut-être nous servir pour comprendre les phénomènes de pseudo-médiumnité, comme il s'en rencontre parfois dans les séances spirites.
Nous avons constaté qu'un sujet qui paraît parfaitement réveillé, qui cause avec les assistants, écrit cependant sans s'en douter et témoigne par cette opération qu'une partie de son intelligence est devenue étrangère au moi normal. Nous savons bien qu'il n'y a là que l'effet d'une suggestion post-hypnotique, ou faite pendant l'état de distraction, mais avec la répétition des mêmes exercices, nous avons vu naître une association idéo-organique produisant ensuite, spontanément, des actes d'automatisme graphique. C'est ici que le rapprochement avec, ce qui se passe dans les séances spirites devient possible. Il s'agit de savoir si un individu normal peut arriver, sous l'empire d'une émotion vive, d'une idée fixe ou d'un ardent désir, à produire en lui un changement analogue. Il ne faut pas nous laisser arrêter par la crainte de paraître donner des armes à nos adversaires ou de porter le trouble chez les investigateurs peu habitués à ces recherches; ce qui importe avant tout, c'est la vérité, et rien ne doit nous coûter pour la trouver. Hâtons-nous d'ajouter que le vrai phénomène spirite n'a rien à redouter de cet examen attentif, qui nous est recommandé par les plus autorisés des auteurs qui ont écrit sur ces matières.
Depuis que le spiritisme s'est répandu dans le monde entier, il a fait des recrues dans toutes les classes de la société;  mais, malgré leur diversité, il est facile cependant de diviser ses adeptes en deux catégories bien distinctes: d'un côté, ceux qui, tout en étant persuadés de sa réalité, continuent à étudier les phénomènes pour en découvrir les lois;  et de l'autre, les croyants qui acceptent aveuglément tous les faits. – parce qu'ils ont été convaincus de la réalité de quelques-uns, – sans se demander si quelquefois les médiums n'en seraient pas, inconsciemment et par conséquent de bonne foi, les auteurs. Nous regrettons que dans beaucoup de cercles où on se livre aux évocations spirites le sens critique ne soit pas plus développé, car il n'est pas rare de constater que toutes les communications mécaniques sont invariablement attribuées à l'action des Esprits, alors même qu'elles ne révèlent aucune trace de leur provenance supra-normale. Ce manque de discernement a été une cause de discrédit pour notre doctrine et a nui à la propagation du spiritisme dans les milieux instruits. Trop souvent les plus banales, les plus plates élucubrations sont signées de noms illustres, qu'accepte sans sourciller le béotisme de ceux qui croient indistinctement à l'authenticité de tout ce qui est écrit par les pseudo-médiums.
Ce n'est qu'en nous assurant, par une minutieuse analyse de leur contenu, de la réalité des communications, que nous éviterons l'invasion des théories fantaisistes écloses dans l'imagination des automatistes et qui ne correspondent à rien de réel. On ne peut douter qu'une sévère investigation ne nous débarasse d'une énorme quantité de documents équivoques et de soi-disant preuves, qui ne font que surcharger inutilement le bagage spirite, et noient des renseignements précieux dans un déluge de bavardages sans valeur. Beaucoup de prétendues révélations méritent d'être jetées au panier, car elles ne sont que de pauvres et insipides niaiseries. Parfois même ces productions témoignent d'une ignorance scientifique absolue et contiennent des affirmations mensongères que l'on découvre aussitôt qu'on se donne la peine de les vérifier. Tous ces faits, signalés dès l'origine des manifestations spirites, ont été attribués à des esprits farceurs s'amusant à mystifier leurs candides correspondants. Il est certain que cette explication est parfois exacte, car l'humanité supra-terrestre n'étant en grande partie que la nôtre, moins le corps, renferme encore bon nombre d'ignorants et de sots qui ne reculent devant aucune mauvaise plaisanterie; mais il est des circonstances où l'on peut reconnaître l'influence du médium lui-même, et où l'intervention d'une cause étrangère est superflue pour expliquer les faits.
Ce que nous affirmons ici est en concordance absolue avec l'enseignement spirite dans tous les pays; si l'on a négligé d'en tenir compte, la faute n'en incombe pas à nos instructeurs, mais bien aux adeptes qui ne lisent pas assez leurs maîtres.

Les Enseignements Spirites

Voici en effet, comment Allan Kardec traite ce point spécial dans son «Livre des        Médiums  »:

« D. – Le médium, au moment où il exerce sa faculté, est-il dans un état parfaitement normal ?
R. – Il est quelquefois dans un état de crise plus ou moins prononcé, c'est ce qui le fatigue, et c'est pourquoi il a besoin de repos; mais le plus souvent, son état ne diffère pas sensiblement de l'état normal, surtout chez le médium écrivain. »

Il est sûr que pour ce genre de manifestation la dépense nerveuse est peu considérable, lorsque l'habitude d'écrire est établie. Il n'en est pas de même pour les effets physiques, qui sont toujours accompagnés d'une forte consommation d'énergie nerveuse.

« D. – Les communications écrites ou verbales peuvent-elles émaner de l'esprit même du médium ?
R.  – L'âme du médium peut se communiquer comme celle de tout autre; si elle jouit d'un certain degré de liberté, si elle recouvre ses qualités d'Esprit. Vous en avez la preuve dans l'âme des personnes vivantes qui viennent vous visiter et se communiquer à vous par l'écriture, souvent sans que vous les appeliez. Car, sachez bien que parmi les Esprits que vous évoquez, il y en a qui sont incarnés sur la terre, alors ils vous parlent comme Esprits et non pas comme hommes. Pourquoi voudriez-vous qu'il n'en fût pas de même pour les médiums ?
D. – Cette explication ne semble-t-elle pas confirmer l'opinion de ceux qui croient que toutes les communications émanent de l'esprit du médium, et non d'esprits étrangers ?
R. – Ils n'ont tort que parce qu'ils sont absolus, car il est certain que l'esprit du médium peut, agir par lui-même; mais ce n'est pas une raison pour que d'autres n'agissent pas également par son intermédiaire.
D. –  Comment distinguer si l'Esprit qui répond est celui du médium ou un Esprit étranger ?
R. – A la nature des communications. Etudiez les circonstances et le langage, et vous distinguerez. C'est surtout dans l'état de somnambulisme ou d'extase que l'Esprit du médium se manifeste, parce qu'alors il est plus libre;  mais dans l'état normal c'est plus difficile. Il y a d'ailleurs des réponses qu'il est impossible de lui attribuer, c'est pourquoi je vous  dis d'étudier et d'observer. »

Nous avons dans cette dernière phrase le critérium nécessaire pour faire, parmi ceux qui écrivent mécaniquement, la différence entre le vrai médium et celui qui ne l'est pas. Le vrai médium fournit des preuves de connaissances qu'il n'a pu acquérir normalement. Par exemple, il donne des renseignements exacts sur des morts dont il ignore totalement l'existence; il écrit dans des langues étrangères qu'il n'a jamais apprises; son style est parfois si au-dessus de ses facultés que l'on est obligé de reconnaître l'intervention d'une autre individualité; il disserte aussi sur des sujets scientifiques qui lui sont absolument inconnus. L'automatiste, au contraire, n'obtient que des communications ordinaires qui ne dépassent guère, comme style et comme intelligence, ce qu'il pourrait écrire normalement et ne révèle jamais de faits inconnus, relatifs à des personnes étrangères avec lesquelles il n'a eu aucun rapport.
Cette distinction est encore indiquée par Allan Kardec dans la Revue Spirite de 1865 .

« Il ne faut jamais attribuer aux Esprits – dit une communication – j'entends aux Esprits élevés, ces dictées sans fond ni forme qui ajoutent à leur nullité le ridicule d'être signées par des noms illustres. La médiumnité sérieuse n'investit que les cerveaux pourvus d'une instruction suffisante ou tout au moins éprouvés par les luttes passionnelles. Les meilleurs médiums reçoivent seuls l'afflux spirituel; les autres subissent simplement l'impulsion fluidique matérielle qui entraîne leurs mains, sans faire produire à leur intelligence autre chose que ce qu'elle contenait à l’état latent: il faut les encourager à travailler, mais non initier le public à leurs élucubrations.
Les manifestations spirites doivent être faites avec la plus grande réserve; et s'il est indispensable, pour la dignité personnelle, d'accumuler toutes les preuves d'une parfaite bonne foi autour des expériences physiques, il importe au moins autant de préserver les communications spirituelles du ridicule qui s'attache trop aisément aux idées et aux systèmes signés dérisoirement de noms célèbres, qui sont et demeureront toujours étrangers à ces productions. Je ne mets pas en cause la loyauté des personnes qui, recevant le choc électrique, le confondent avec l'impulsion médianimique. La science a ses faux savants, la médiumnité a ses faux médiums, dans l'ordre spirituel s'entend.
J'essaye d'établir ici la différence qui existe entre les médiums inspirés par les fluides spirituels et ceux qui n'agissent que sous l'influence fluidique corporelle; c'est-à-dire ceux qui vibrent intellectuellement et ceux dont la résonance physique n'aboutit qu'à la production confuse et inconsciente de leurs propres idées ou d'idées vulgaires et sans portée.
Il existe donc une ligne de démarcation parfaitement tranchée entre les médiums écrivains: Les uns obéissant à l'influence spirituelle qui ne leur fait écrire que des choses utiles et élevées; et les autres subissant l'influence fluidique matérielle qui agit sur leurs organes cérébraux, comme les fluides physiques agissent sur la matière inerte. Cette première classification est absolue, mais elle admet une foule de variétés intermédiaires. »

Allan Kardec commentant cette communication, dit: « Quoique l'étude de cette partie intégrante du spiritisme (la médiumnité) soit loin d'être complète, nous sommes loin déjà du temps où l’on croyait qu'il suffisait de recevoir une impulsion mécanique pour se dire médium et se croire apte à recevoir les communications de tous les esprits. Le progrès de la science spirite, qui s'enrichit chaque jour de nouvelles observations, nous montre à combien de causes différentes et d'influences délicates qu'on ne soupçonnait pas, sont soumis les rapports intelligents avec le monde spirituel ».
En Amérique, Jackson Davis disait déjà en 1855 : « L'esprit humain est si merveilleusement doué et dispose de moyens si variés d'activité et de manifestation, qu'un homme peut inconsciemment laisser réagir sur lui-même et en lui-même ses forces organiques et ses facultés cérébro-dynamiques. Dans certaines dispositions d'esprit, les forces conscientes concentrées dans le cerveau entrent en action involontairement et continuent à fonctionner sans la moindre intervention de la volonté et sans être soutenues par elle ».
Aksakof, dans son ouvrage si documenté , non seulement attribue beaucoup de phénomènes spirites à la conscience somnambulique du médium, mais il prouve que, dans bien des cas, cette origine est évidente. Hudson Tuttle, célèbre médium américain et écrivain intuitif, a, lui aussi, insisté sur la provenance humaine de beaucoup de messages spiritiques; enfin              M. Metzger  appelle également notre attention sur les causes d'erreurs qui peuvent vicier les communications, et il exhorte les spirites à étudier les phénomènes du magnétisme, de la clairvoyance et de la télépathie avant de croire aveuglément que tout ce qui nous arrive par le canal de ceux qu'on appelle médiums, vient nécessairement des Esprits désincarnés.
On voit donc que les savants qui nous accusent de manquer de discernement, portent sur nous des jugements téméraires; et lorsqu'ils nous enseignent doctoralement que l'esprit de l'automatiste est le seul auteur de ses élucubrations, ils s'exposent un peu au ridicule de découvrir l'Amérique après Christophe Colomb.
Cependant il faut avouer que les auteurs spirites en sont restés à ces indications générales, tandis que les psychologues, depuis quelques années, ont soumis ces faits à l'expérimentation. Aussi sont-ils arrivés à des résultats qu'il est intéressant de connaître pour se faire une idée claire du phénomène complexe de l'écriture automatique.

L'automatisme graphique

Il existe un malentendu entre les spirites et les savants qui résulte de ce que les uns et les autres ne veulent envisager qu'une partie du problème. Pour les savants, l'automatisme, avec son caractère d'inconscience, est parfaitement compréhensible par le seul jeu du mécanisme cérébral, soumis à certaines influences anormales. Ceci est vrai dans beaucoup de cas, mais il existe aussi des faits que cette théorie ne suffit pas à expliquer; le tort de ces savants est de passer sous silence ces témoignages embarrassants et de raisonner comme s'ils n'existaient pas. D'autre part, beaucoup de spirites refusent absolument d'admettre la possibilité de l'automatisme pur et simple, qui leur paraît invraisemblable, ce en quoi ils se montrent également trop absolus.
Il est difficile de faire comprendre à quelqu'un qui sent sa main obéir à une force contraire à sa volonté, que c'est cependant lui qui est l'auteur de ce mouvement. Lorsque cette main trace des caractères dont il n'a pas conscience, dont il ne peut prendre connaissance que lorsque l'impulsion mécanique ne se fait plus sentir, et que cette écriture énonce des idées qui lui semblent nouvelles, des raisonnements qu'il n'a pas l'habitude de formuler, il lui paraît absurde qu'on les lui attribue. Aussi il repousse les explications « officielles » et accuse les savants d'orgueil et de parti-pris, tandis que ceux-ci le taxent d'ignorance et de crédulité.
Dans les cas douteux, il faut avoir recours à l'expérience, au fait, qui est le souverain juge et qui prononce en dernier ressort. En dépit des apparences, malgré le témoignage du sens intime, il faut admettre que l'automatisme graphique est une réalité indiscutable, même chez des sujets normaux, parfaitement sains de corps et d'esprit.
Nous avons vu que les hystériques présentent fréquemment des exemples de cette écriture inconsciente, mais c'est lorsqu'ils sont sous l'empire de suggestions à réalisation post-hypnotique, ou de suggestions faites pendant l'état de distraction, ou enfin à la suite d'incitations tactiles. Nous laisserons maintenant de côté toutes des études d'hôpital pour nous placer dans les conditions de la vie courante. Il nous faut observer des personnes ordinaires, ni malades, ni suggestionnées, ni hypnotisées, en un mot jouissant entièrement de toute leur liberté d'esprit et comprendre pourquoi :
1° Elles écrivent sans le vouloir ;
2° Sans savoir ce qui est écrit ;
3° D'où viennent les raisonnements, les renseignements qui leur sont inconnus ;
4° Pourquoi ces idées écrites semblent émaner d'une personnalité étrangère à l'écrivain, et pourquoi elles sont presque toujours signées d'un nom connu.
Lorsque l'on veut étudier un phénomène complexe, il faut d'abord rechercher ses modalités les plus simples. L'expérimentateur ne doit pas s'attendre à trouver d'emblée des sujets qui écrivent des pages entières sans avoir conscience de ce qu'ils font.
Il est clair que la manifestation graphique de l'automatisme ne peut pas être obtenue avec tout le monde; il est nécessaire de faire un choix parmi les personnes qui veulent bien se prêter                      à l'expérience. Voici la méthode préconisée par M. Binet; elle est lente et exige un peu de patience, c'est son seul inconvénient .

« On s'assied à côté du sujet, devant une table, on le prie de s'abstraire dans une lecture intéressante ou dans un calcul mental compliqué et surtout de distraire son attention, d'abandonner sa main, et de ne pas s'occuper de ce que l'on va faire avec cette main. La main tient un crayon, elle est cachée au sujet par un écran. On s'empare donc de cette main, sans brusquerie, par des mouvements doux, et l'on imprime à la main et au crayon un mouvement quelconque, par exemple, on fait dessiner des barres, des boucles, marquer de petits points. Au premier essai, l'expérimentateur avisé s'aperçoit à qui il a affaire; certains sujets raidissent la main, elle est comme en bois, elle résiste à tous les efforts; et quoiqu'on recommande au sujet de se laisser aller, de ne pas penser à sa main, celle-ci n'obéit pas au mouvement qu'on lui imprime. D'ordinaire, ces sujets-là sont peu éducables. Un autre obstacle vient s'opposer fréquemment à la continuation de l'expérience; il y a des personnes qui, lorsqu’on prend leur main, ne peuvent pas continuer à lire; malgré elles, leur attention quitte le livre, se porte sur ce qu'elles ressentent dans la main. Les meilleurs sujets sont ceux dont la main docile exécute avec intelligence tous les mouvements qu'on lui imprime.
Il y a là une sensation particulière qui apprend à l'opérateur que l’expérience aura du succès. De plus, pour empêcher le sujet de trop s'occuper de sa main, j'use souvent d'un artifice très simple, qui produit une distraction plus forte qu'une conversation avec un tiers, une lecture intéressante ou un calcul compliqué. Cet artifice consiste à faire croire au sujet que la main restera pendant toute l'expérience, continuellement morte et passive, et que c'est l'expérimentateur qui, de temps en temps, pour les besoins d'une expérience qu'on n'explique pas, imprime à la main un mouvement. Cela suffit pour tranquilliser le sujet qui, dès lors, abandonne sa main sans résistance, s'en désintéresse et se trouve dans des conditions mentales excellentes pour que la conscience se divise.
Au bout de quelque temps, la distraction devient plus continue et plus profonde. Voici les signes qu'on peut relever :
C'est d'abord l'anesthésie par distraction. La personne distraite n'est pas devenue absolument insensible comme une hystérique distraite, dont on peut traverser la peau ou lever le bras sans qu'elle s'en aperçoive; sa sensibilité n'est pas détruite, mais la finesse de certaines de ses perceptions est bien diminuée. Il est difficile, du reste, d'explorer cette sensibilité à un degré aussi faible de distraction.
Ce qui est le plus facile à provoquer, ce sont les mouvements passifs de répétition. Le crayon étant placé entre les doigts du sujet, qui est prié de se tenir comme s'il voulait écrire, on dirige la main et on lui fait exécuter un mouvement uniforme, choisissant celui qu'elle exécute avec le plus de facilité, des hachures, des boucles, des petits points. Après avoir communiqué ce mouvement pendant quelques minutes, on abandonne doucement la main à elle-même, ou on reste en contact avec elle, pour que la personne ne s'aperçoive de rien; mais on cesse d'exercer une action directrice sur les mouvements. La main abandonnée à elle-même, fait quelques légers mouvements. On reprend l'expérience d'entraînement, on la répète avec patience pendant plusieurs minutes; le mouvement de répétition se perfectionne; au bout de quatre séances, j’ai vu chez une jeune fille la répétition si nette, que la main ne traça pas moins de quatre-vingts boucles sans s'arrêter; puis la personne eut un mouvement brusque et secoua ses épaules en disant: « Il me semble que j'allais m'endormir... »

Ce sont là tout à fait les débuts de cette éducation que l'on perfectionne par l'habitude. Nous avons constaté que M. le Dr Gley fait écrire à une personne, sans qu'elle s'en doute, le mot auquel elle a pensé . Nous allons maintenant assister à des essais plus compliqués faits par deux savants américains: Salomons et Stein  sur l'automatisme graphique. Suivons le compte-rendu très net qui en a été publié par le Dr Binet dans les Annales Psychiques de     Mai-Juin 1900.

Les recherches de Salomons et Stein

« Le but des auteurs a été de chercher à développer l'automatisme de la vie normale jusqu'à son maximum de complexité.
Ils se sont pris comme sujets; ils se disent d'excellente santé. Leurs expériences se groupent sous quatre chefs :
1° Tendance générale au mouvement, sans impulsion motrice consciente ;
2°  Tendance d'une idée à se dépenser en mouvement, involontairement et inconsciemment ;
3°  Tendance d'un courant sensoriel à se dépenser en réaction motrice inconsciente ;
4° Travail inconscient de la mémoire et de l'invention.
1° La main est mise sur une planchette analogue à celle des spirites (c'est une planchette glissant sur des billes de métal et armée d'un crayon); on met la planchette sur une table, sur du papier, et le crayon inscrit tous ses mouvements. L'esprit du sujet est occupé à lire une histoire intéressante. Dans ces conditions, il se produit facilement, quand le sujet a pris l'habitude de ne pas surveiller sa main, des mouvements spontanés, qui dérivent d'ordinaire du stimulus produit par une position fatigante; en outre, des excitations extérieures (par exemple si on remue la planchette) produisent dans la main des mouvements de divers sens, dont on peut provoquer la répétition et qui alors se continuent assez longtemps. La distraction de l'attention est une condition importante; mais il ne faut pas que l'histoire lue pour distraire soit trop émouvante, car cette émotion peut produire des mouvements réflexes ou une tension musculaire qui nuisent aux mouvements inconscients ;
2° Le sujet lit à haute voix en tenant un crayon à la main; parfois il écrit un mot qu'il lit, surtout lorsque ce mot est court, les mots longs sont seulement commencés; cette écriture se fait souvent sans que le sujet le sache ;
3°  Le sujet lit à haute voix et écrit les mots que pendant sa lecture une personne lui dicte à voix basse. A ces expériences on n'arrive qu'après beaucoup d'entraînement. Au début, c'est très pénible; on s'arrête de lire dès qu'on entend un mot. Il faut apprendre à retenir son attention sur la lecture. On arrive bientôt à continuer la lecture sans l'interrompre, même quand il y a des dictées de 15 à 20 secondes, l'écriture devient inconsciente ;
4°  Ici les expériences sont plus difficiles et n'ont réussi que parce que les sujets étaient bien exercés par les expériences précédentes. D'abord, ils ont fait de l'écriture automatique spontanée; par exemple, en lisant, leur main écrivait; puis ils ont même pu se dispenser de lire pour détourner l'attention; chez l'un des sujets, Miss Stein, la distraction était suffisante quand elle lisait les mots que sa main venait d'écrire quelque temps auparavant, l'écriture spontanée de la main était involontaire et inconsciente; les paroles écrites étaient parfois dénuées de sens; il y avait surtout des répétitions de mots et de phrases. Les auteurs ont pu par la même méthode, reproduire inconsciemment des passages qu'ils savaient par coeur, mais n'avaient jamais écrits. »

Notons ici une remarque de ces observateurs qui appuie très fortement ce que nous avons déjà dit, à savoir: que c'est bien la même personnalité qui suit simultanément deux séries d'idées: 1° celle de la lecture à haute voix; 2° celle de l'écriture, cette dernière étant oubliée aussitôt que produite, car si l'attention est trop fortement excitée par la lecture, l'action automatique s'arrête. Il n'y a donc pas en jeu à ce moment un second personnage subconscient, car s'il possédait réellement une existence distincte, il prendrait d'autant plus d'importance que le moi normal lui laisserait plus de liberté, tandis qu'au contraire il disparaît. Voici la remarque de MM. Salomons et Stein.

« La condition essentielle de toute cette activité automatique est une distraction de l'attention obtenue volontairement; il ne faut pas cependant que l'attention directe soit sollicitée avec trop de force; si par exemple, on relit un passage d'une histoire qu'on n'avait pas compris tout d'abord, et qui est nécessaire pour l'intelligence du reste, alors, sous l'influence de ce surcroît d'attention toute l'activité automatique est suspendue. »

Aussi bien chez les personnes normales que chez les hystériques, il est parfaitement inutile d'imaginer une autre conscience, formée avec les éléments dissociés de la première, puisque celle-ci suffit à expliquer toutes les anomalies, en supposant simplement une modification de la mémoire produite précisément par la distraction. Cette attitude de l'esprit est une sorte d'anesthésie psychique qui retranche de la mémoire des séries d'idées enchaînées; celles-ci, nous l'avons vu, ont un pouvoir moteur avec lequel elles actionnent le mécanisme psycho-physiologique de l'écriture; l'oubli immédiat de cette action donne à l'écriture son caractère d'automatisme, mais celui-ci n'est qu'apparent puisqu'il ne correspond pas à une réalité. En fait, l'écriture est toujours consciente; seul le souvenir de ces idées est aboli, et c'est ce qui donne au phénomène son caractère d'étrangeté.
M. F. W. H. Myers  paraît partager cette opinion, car il dit: « Il y a des cas fréquents dans lesquels la personne qui écrit affirme être ignorante des caractères qu'elle trace pendant qu'elle écrit, ou quelquefois jusqu'à ce qu'ils soient écrits. Dans ces cas, le processus nerveux qui cause cette écriture semble être inconscient, quoique l'acte mental requis pour produire la formation des lettres est si simple et si rapide qu'il est difficile d'être sûr qu'il n'y a pas une demi-conscience de le faire, presque immédiatement oubliée... »
Le plus curieux, c'est que M. Binet est passé à côté de cette explication sans en comprendre la valeur, tandis qu'il signalait soigneusement tous les faits sur lesquels elle s'appuie. Il note en effet les points suivants qu'il relève dans les observations de Salomons et Stein :
   
« Quand l'histoire qu'on lit pour se distraire devient très émouvante, 1° les mouvements subconscients cessent; 2° ils cessent également s'il faut faire un effort intellectuel considérable pour comprendre ce qu'on lit;  3° dans le cas où l'on écrit automatiquement sous la dictée, si la dictée se fait à voix très basse, exigeant un effort pour comprendre, la conscience reparaît. »

On ne saurait mieux choisir les arguments pour démontrer que l'écriture automatique n'est due qu'à la distraction à laquelle est en proie le moi normal, et non à une seconde individualité fantastique qui n'a jamais existé que dans l'imagination des psychologues.   
Nous venons d'assister à une progression continue des manifestations automatiques de l'état de veille, depuis les simples mouvements de répétition décrits par M. Binet, jusqu'à l'écriture mécanique semi-spontanée de miss Stein. Toutes ces expériences ont exigé un apprentissage, une éducation du sujet. Il est intéressant d'observer maintenant les cas naturels, puisque ce sont ceux qui se rapprochent le plus des manifestations spirites. Le sujet n'étant plus soumis à des suggestions orales, ce seront ses propres pensées qui s'extérioriseront par l'écriture et nous feront connaître des idées que lui-même n'a pas conscience de posséder.

L'Automatisme graphique naturel

Les expériences de MM. Binet, Salomons et Stein, Gley, etc. ne peuvent plus laisser de doute sur la possibilité d'écrire sans conscience. Ils n'ont fait que reproduire artificiellement ce qui a lieu spontanément pour les personnes qui ont des dispositions à l'automatisme. Le mécanisme de cette action n'offre plus rien d'obscur, de sorte que les affirmations des spirites et des savants sur ce point sont confirmées expérimentalement, ce qui leur donne une certitude complète. Ce qu'il est nécessaire maintenant de comprendre, c'est pourquoi les pensées qui sont reproduites par l'écrivain lui semblent si étrangères qu'il les attribue à une autre intelligence.
Deux raisons concourent à donner aux idées écrites ainsi un caractère insolite, nouveau, inattendu:  c'est d’abord qu'elles semblent surgir spontanément sans que rien les rattache à nos conceptions ordinaires; et ensuite qu'elles sont personnifiées, qu'elles paraissent et qu'elles disent appartenir à une autre individualité. Ces phénomènes psychologiques ne sont anormaux qu'en apparence. Chacun de nous a été à même de les observer, peut-être pas pendant la veille, mais sûrement  pendant le rêve. Or, nous l'avons constaté, l'automatisme se produit pendant que le sujet est distrait, c'est-à-dire dans une sorte de rêverie qui le rapproche du sommeil. L'état de distraction de l'écrivain laisse à l'imagination toute latitude. Celle-ci n'étant plus contrôlée s'abandonne aux hasards de sa fantaisie;  comme dans le rêve, elle en suit les capricieux méandres. Les auteurs qui ont étudié le sommeil nous signalent les singuliers résultats auxquels peut arriver la folle du logis, lorsqu'elle est livrée à elle-même, et tous nous avons ressenti l'étonnement que produit cette incohérence. Mais toujours un fil léger relie ces conceptions désordonnées, Le plus souvent, ce lien nous échappe;  quelquefois  il peut être remarqué. En voici plusieurs exemples .

« Il m'arrive souvent, à mon réveil, de recueillir mes souvenirs et de chercher par la réflexion à reconstruire les songes qui ont occupé ma nuit; non pas, bien entendu, pour en tirer des règles de conduite et des révélations sur l'avenir, ainsi que le faisaient les anciens Egyptiens, les papyrus trouvés en Egypte nous le montrent, mais afin de soulever le voile qui couvre la mystérieuse production du rêve. Un matin que je me livrais à un travail de ce genre, je me rappelais que j'avais eu un rêve qui avait commencé par un pélerinage à Jérusalem ou à la Mecque; je ne sais pas au juste si j'étais alors chrétien ou musulman. A la suite d'une foule d'aventures que j'ai oubliées, je me trouvai rue Jacob, chez M. Pelletier le chimiste, et dans une conversation que j'eus avec lui, il me donna une pelle de zinc, qui fut mon grand cheval de bataille dans un rêve subséquent, plus fugace que les précédents, et que je n'ai pu me rappeler.
Voilà trois idées, trois scènes principales qui sont visiblement liées entre elles par les mots: Pélerinage, Pelletier, Pelle, c'est-à-dire par trois mots qui commencent de même et s'étaient évidemment associés par l'assonance; ils étaient devenus les liens d'un rêve en apparence fort incohérent. Je fis un jour part de cette observation à une personne de ma connaissance, qui me répondit qu'elle avait le souvenir très présent d'un rêve de la sorte. Les mots Jardin, Chardin, et Janin s'étaient si bien associés dans son esprit, qu'elle vit tour à tour en rêve le jardin des plantes, où elle rencontra le voyageur en Perse, Chardin, qui lui donna, à son grand étonnement, je ne sais si c'est à cause de l'anachronisme, le roman de M. Jules Janin de l'Ane mort et la femme guillotinée.
Je cite un nouvel exemple encore emprunté à mes propres observations, et qui dénote encore une association d'une nature également vicieuse. Je pensais au mot kilomètre, et j'y pensais si bien, que j'étais occupé en rêve à marcher sur une route où je lisais les bornes qui marquent la distance d'un point donné, évaluée avec cette mesure itinéraire. Tout à coup, je me trouve sur une de ces grandes balances dont on fait usage chez les épiciers, sur l'un des plateaux de laquelle un homme accumulait des kilos, afin de connaître mon poids, puis, je ne sais trop comment, cet épicier me dit que nous ne sommes pas à Paris, mais dans l’ile Gilole, à laquelle je confesse avoir très peu pensé pendant ma vie;  alors mon esprit se porta sur l'autre syllabe de ce nom, et, changeant en quelque sorte de pied, je quittai le premier et me mis à glisser sur le second; j'eus successivement plusieurs rêves dans lesquels je voyais la fleur nommée lobélia, le général Lopez, dont je venais de lire la déplorable fin à Cuba; enfin; je me réveillai en faisant une partie de Loto. Je passe, il est vrai, quelques circonstances intermédiaires dont le souvenir ne m'est pas assez présent, et qui vraisemblablement avaient aussi des assonances semblables pour étiquette. Quoi qu'il en soit, le mode d'association n'en est pas moins ici manifeste. Ces mots, dont l'emploi n'est certes pas journalier, avaient enchaîné des idées fort disparates.
Les rêves, de même que les idées du fou, sont donc après tout moins incohérents qu'ils ne le paraissent de prime abord; seulement la liaison des idées s'opère par des associations qui n'ont rien de rationnel, par des analogies qui nous échappent généralement au réveil, que nous saisissons d'ailleurs d'autant moins que les idées sont devenues des images, et que nous ne sommes pas habitués à voir des images se souder les unes aux autres comme les diverses parties de la toile d'un panorama mouvant. »

Lorsque l'automatiste abandonne sa main, l'imagination peut donc développer sa fantaisie puisque la distraction a eu pour résultat, en supprimant l'attention, de réduire le pouvoir que nous possédons de diriger nos pensées. Celles-ci se suivent, s'appellent, se suscitent et peuvent présenter une telle originalité qu'elles semblent véritablement étrangères au moi normal. Nous verrons plus loin quelles ressources immenses possède la mémoire et jusqu'à quel point il est difficile de connaître exactement ce qu'elle recèle dans ses profondeurs.
On ne doit donc pas être trop surpris de l'imprévu des idées dont fait montre parfois l'écriture automatique. Ce qui semble plus difficile à comprendre, c'est que ces idées s'organisent de manière à simuler une individualité indépendante, un être en dehors de l'écrivain.
Pour nous renseigner sur la genèse de ces personnages imaginaires, il est utile d'examiner                   les cas pathologiques qui ne sont que l'exagération des faits nouveaux, comme le faisait          justement observer Claude Bernard . En pleine santé, nous pouvons parfaitement concevoir    quelles seraient les  pensées de telle ou telle personne placée dans une situation donnée. Les romanciers, les poètes, les auteurs dramatiques composent des types qui ont des sentiments,              des pensées, des actes conformes à leur âge, leur sexe, leur tempérament, leur nationalité, etc.      Mais s'ils s'identifient avec ces  personnages pour les faire agir et parler, ils ne perdent                  jamais le sentiment de leur existence personnelle. Ils ont beau être emportés par la flamme de l'inspiration, ils savent qu'ils ne sont qu'écrivains; il leur reste le souvenir d'eux-mêmes parce  que leur moi est normal. Chez l'aliéné, au contraire, il se produit une illusion morbide qui  le  porte à personnifier les produits de son imagination, à en faire des êtres réels.

« Le fou, dit Maury , attribue à des interlocuteurs différents, parfois même à toute une assemblée qui siège dans sa tête, les pensées qui lui viennent à l'esprit, les paroles qu'il prononce. Un aliéné que j'ai connu se disait incommoder par la dispute de plusieurs démons qui l'entouraient. Il m'a cité les invectives, qu'à son grand scandale, s'adressaient entre eux ces esprits malins. Or, ce colloque diabolique n'était autre que les paroles que l'aliéné prononçait lui-même, mentalement ou vocalement, paroles qu'il rapportait tantôt à un démon, tantôt à un autre. Une folle que j'ai eu l'occasion de voir à plusieurs reprises aux environs de Paris, et à laquelle la dévotion et les procès avaient tourné la tête, madame de P. se croyait sans cesse en discussion avec un juge qui lui avait fait perdre, disait-elle, son procès. Elle avait étudié, chose remarquable, tout exprès pour lui répondre, le code et la procédure; mais, de son aveu, le juge était encore plus fort qu'elle, et il lui poussait des arguments, lui jetait à la tête des termes du palais qu'elle ne pouvait ni retorquer, ni même comprendre. »

Cette dernière phrase pourrait faire croire à certains spirites que ces mots nouveaux, qu'elle ne connaissait pas, devaient être prononcés  par un esprit obsesseur; mais nous verrons plus loin que cette femme ayant lu beaucoup d'ouvrages juridiques et ayant fréquenté assidûment le palais, pouvait parfaitement avoir conservé la mémoire latente de ces termes, sans que sa conscience actuelle en fut avertie. Continuons :

« Il n'est guère d'ouvrages sur l'aliénation mentale où ne se trouvent rapportés des faits analogues. Ce fractionnement de la personnalité qui s'opère dans l'imagination du fou, tient généralement aux ordres différents d'idées dont il est agité. Il est assailli par des pensées contraires, entraîné ou retenu tour à tour par des motifs différents, et il suppose que ces idées et ces motifs contradictoires ne procèdent pas tous également de son esprit. Lui vient-il une idée, puis une objection s'y présente-t-elle, il rapporte l'idée ou l'objection à une personne différente de lui-même. Tantôt il croit simplement obéir à des inspirations émanées d'êtres antagonistes, par exemple, de Dieu ou des démons, des prêtres et des impies, tantôt il admet que ce sont des êtres ennemis qui parlent par sa bouche et agissent à sa place. »

Cette tendance à la personnification des idées que l’on remarque chez l’enfant qui fait parler sa poupée, chez les personnes qui causent tout haut en marchant et entretiennent des dialogues dans lesquels elles font les demandes et les réponses, est générale; chacun de nous l’éprouve pendant le rêve. Comme le sujet est important, nous allons citer quelques faits caractéristiques qui réunissent ces deux caractères: 1° de paraître inconnus et 2° d’être personnifiés.

« Nous attribuons en songe, – dit toujours Maury, – à des personnages différents des pensées, des paroles qui ne sont autres que les nôtres. Dans un des rêves les plus clairs, les plus nets et les plus raisonnables que j'aie jamais eus, je soutenais, avec un interlocuteur, une discussion sur l'immortalité de l'âme, et tous deux nous faisions valoir des arguments opposés, qui n'étaient autres que les objections que je me faisais à moi-même. Cette scission qui s'opère dans l'esprit et où le Dr Wigan voit une preuve de sa thèse paradoxale The duality of the mind (la dualité de l'esprit), n'est la plupart du temps qu'un phénomène de mémoire; nous nous rappelons le pour et le contre d'une question, et, en rêve, nous rapportons à deux êtres distincts les deux ordres opposés d'idées.
Jadis, le mot de Mussidan me vint soudain à l'esprit; je savais bien alors que c'était le nom d'une ville de France, mais où était-elle située, je l'ignorais; pour mieux dire, je l'avais oublié. Quelque temps après, je vis en songe un certain personnage qui me dit qu'il arrivait de Mussidan; je lui demandai où se trouvait cette ville. Il me répondit que c'est un chef-lieu du département de la Dordogne. Je me réveille à l'issue de ce rêve: c'était le matin; le songe me restait parfaitement présent, mais j'étais dans le doute sur l'exactitude de ce qu'avait avancé mon personnage. Le nom de Mussidan s'offrait encore à mon esprit dans les conditions des jours précédents, c'est-à-dire sans que je susse où est placée la ville ainsi dénommée. Je me hâte de consulter un dictionnaire géographique, et, à mon grand étonnement, je constate que l'interlocuteur de mon rêve savait mieux la géographie que moi, c'est-à-dire, bien entendu, que je m'étais rappelé en rêve un renseignement oublié à l’état de veille, et que j'avais mis dans la bouche d'autrui ce qui n'était qu'une mienne réminiscence.
Il y a bien des années, à une époque où j'étudiais l'anglais, et où je m'attachais surtout à connaître le sens des verbes suivis de prépositions, j'eus le rêve que voici: je parlais l'anglais, et voulant dire à une personne que je lui avais rendu visite la veille, j'employai cette expression: « I called for you yesterday. » Vous vous exprimez mal, me fut-il répondu, il faut dire: « I called on you yesterday. » Le lendemain, à mon réveil, le souvenir de cette circonstance de mon rêve m'était très présent. Je pris une grammaire placée sur une table voisine de mon lit, je fis la vérification; la personne imaginaire avait raison. »

Il est parfaitement inutile de supposer des causes occultes quand les causes naturelles suffisent amplement à expliquer les faits. La mémoire conserve d’une façon indélébile toutes les empreintes qu’elle a reçues; si nous n’avons pas conscience de tout ce qu’elle recèle dans ses profondeurs, c’est parce que l’oubli est précisément une des conditions d’une bonne mémoire. Pouvoir oublier est indispensable pour acquérir de nouvelles connaissances. Cette question se relie si intimement au contenu des messages écrits automatiquement que nous ne craignons pas d’y revenir encore en donnant deux autres exemples tout aussi démonstratifs que les précédents toujours empruntés au même auteur .

« J'ai passé, dit-il, mes premières années à Meaux, et je me rendais souvent dans un village voisin, nommé Trilport, situé sur la Marne, où mon père construisait un pont. Une nuit, je me trouve en rêve transporté aux jours de mon enfance et jouant dans ce village de Trilport; j'aperçois, vêtu d’une sorte d'uniforme, un homme auquel j'adresse la parole, en lui demandant son nom. Il m'apprend qu'il s'appelle C. qu'il est garde du port, puis disparaît pour laisser la place à d'autres personnages. Je me réveille en sursaut avec le nom de C.? Je l'ignorais, n'ayant aucun souvenir d'un pareil nom. J'interroge, quelque temps après, une vieille domestique, jadis au service de mon père et qui me conduisit souvent à Trilport. Je lui demande si elle se rappelle un individu du nom de C..., et elle me répond aussitôt que c'était un garde de port de la Marne, quand mon père construisait son pont. Très certainement je l'avais su comme elle, mais le souvenir s'en était effacé. Le rêve, en l'évoquant, m'avait comme révélé ce que j'ignorais.
Je rapportais un jour cette dernière remarque à un ami M. F..., qui a fait quelques observations sur ses rêves. Il me fournit un exemple encore plus frappant. Dans son enfance, il avait visité les environs de Montbrison, où il avait été élevé. Vingt-cinq ans après, il fait un voyage en Forez, dans le but de parcourir le théâtre de ses premiers jeux et de revoir de vieux amis de son père qu'il n'avait pas rencontrés depuis. La veille de son départ, il rêve qu'il est arrivé au terme de son voyage; il est près de Montbrison dans un certain lieu qu'il n'a jamais vu, et où il aperçoit un monsieur dont les traits lui sont inconnus, et qui lui apprend qu'il est M. T...;  c'était un ami de son père, qu'il avait vu en effet dans son enfance, mais dont il se rappelait seulement le nom. Quelques jours après, M. F. arrive réellement à Montbrison. Quel n'est pas son étonnement de retrouver la localité vue par lui en songe, et de rencontrer le même M. T..., qu'il reconnut avant qu'il se nommât pour la personne qui lui était apparue en rêve! Les traits seulement étaient  un peu vieillis. »

Nous reviendrons plus longuement sur la mémoire latente et sur la perception inconsciente qui fait entrer en nous des images que nous n’avons même pas perçues consciemment. Ce qui est dit jusqu’alors suffit à nous faire comprendre que le caractère bizarre, spontané, des pensées retracées par l’écriture automatique, se comprend parfaitement lorsqu’on a quelque peu étudié le jeu si prodigieux de l’association des idées;  celle-ci rassemble les éléments les plus hétéroclites par des liens que, très souvent, nous ne pouvons plus discerner. Nous admettons aussi cette personnification mensongère de nos propres pensées, s’individualisant parfois dans des créatures de fantaisie, qui sont de purs produits de l’imagination livrée à elle-même.
L’automatisme peut exprimer aussi des pensées que nous refoulons d’habitude par la volonté, mais qui se libèrent de cette entrave lorsque cette volonté est défaillante de sorte qu’il arrive quelquefois que ce sont des plaisanteries vulgaires, des licences, des grossièretés même que l’écrivain voit avec stupéfaction sortir de sa plume, et dont il refuse énergiquement d’endosser la paternité, préférant mettre le tout sur le compte d’un esprit mal élevé.
Que l’on ne s’y trompe pas! Toutes ces remarques s’adressent aux automatistes, proprement dits, et non aux médiums. Comme les uns et les autres existent, c’est à nous de savoir les distinguer, et nous ne le pourrons qu’en connaissant bien toutes les causes qui peuvent simuler la médiumnité véritable.
En général, la bizarrerie, le décousu des messages, leurs contradictions sont des signes évidents qu’il n’y a pas d’autres facteurs en jeu que l’imagination débridée de celui qui expérimente. Voici un exemple, emprunté à M. Myers, qui est comme un modèle de cette absurdité capricieuse que les croyants aveugles n’hésitent pas à attribuer aux esprits farceurs, tandis que les spiritualistes sérieux y voient tout autre chose. L’auteur de ce rapport est connu de M. Myers qui affirme son absolue bonne foi .
J’ai voulu essayer, dit M. A., si je pouvais écrire automatiquement, si j’étais médium écrivain; je fis cette expérience à Pâques, en 1883. Après un intervalle d’une semaine, je continuai encore trois jours; le premier jour je fus sincèrement intéressé; le second jour je fus intrigué; le troisième, il me sembla que j’entrais dans des expériences tout à fait nouvelles, à la fois redoutables et romanesques; le quatrième jour, le sublime finissait tristement dans le ridicule.

Histoire de Clélia

Premier jour

D. – Sous quelles conditions puis-je entrer en rapport avec l'invisible ?
R.   
(La main remua aussitôt pour tracer cette ligne. Le résultat n'était guère satisfaisant; mais comme l'auteur avait dans la pensée que la condition requise pour communiquer avec l'invisible était une rectitude parfaite, il considéra que la réponse s'appliquait à ce qu'il attendait).
D. – Qui est-ce qui fait mouvoir ma plume en ce moment ?
R. – La religion.
D. – Qui a fait écrire ce mot en réponse à ma demande ?
R. – La conscience.
D. – Qu'est-ce que la Religion ?
R. – Adoration.
Ici s'éleva une difficulté. Bien que l'auteur n'attendit aucune de ces trois réponses, aussitôt que les premières furent écrites, il prévit le reste du mot. Cela pouvait vicier le résultat. Cons, par exemple, pouvait se terminer en conciousness, au lieu de conscience. Alors, comme pour aller au devant de cette difficulté, et comme si une intelligence avait lu dans sa pensée et désiré donner une réponse indépendante, à la  question suivante il reçut cette réponse singulière :
D. – Adoration de quoi ?
R. – Wh Wb Wb.
D. – Que signifie Wb ?
R. – Win (gagner). Buy (acheter).
D. – Quoi ?
R. – Know (ledge) conn (aissance).
L'auteur eut ici la perception des lettres qui allaient terminer le mot et la plume fit un écart subit, comme pour dire qu'il était inutile de continuer.
D. – Comment ?
R.   
C'était la première réponse qui revenait. Quoique fortement étonné par les premières réponses qui, à première vue, semblaient dénoter une intelligence et une volonté indépendantes, l'auteur remarque, qu'en somme il n'avait rien appris de nouveau et pensa que le tout était dû à la cérébration inconsciente, d'autant mieux qu'ayant fait quelques interrogations sur des faits inconnus de lui, mais faciles à contrôler, il n'obtint que des réponses inintelligibles ou erronées, il ne poussa pas plus loin ses recherches.

Deuxième jour.

D. – Qu'est-ce que l'homme ?
R. –  Flise.
La plume en traçant cette réponse fut violemment agitée, ce qui n'avait pas eu lieu le premier jour. L'auteur trouvant une analogie avec Wb. continue :
D. – Que signifie F ?
R. – Fési.
D. – L ?
R. – Le.
D. –  I ?
R. – Ivy.
D.– S  ?
R. – Sir. (en français, Monsieur)
D. – E ?
R. – Eye (en français, oeil)
Fesi le ivy sir eye.
D. – Est-ce une anagramme ?
R. – Oui.
D. – Combien de mots dans cette réponse ?
R. – Quatre.
L'auteur essaye pendant quelques minutes de trouver la solution. N'y parvenant pas et ne voulant pas perdre trop de temps pour une chose qui ne signifiait peut-être rien, il abandonne l'expérience.

Troisième jour.
D. – Qu'est-ce que l'homme ?
R. – Tefi hast esble lies.
D. – Est-ce une anagramme ?
R. – Oui.
D. – Combien de mots dans la réponse ?
R. – V. (cinq).
D. – Quel est le premier mot ?
R. – See (en français, voyez).
D. – Quel est le second ?
R. – Eeeeee.
D. – See? (Voyez) Dois-je interpréter moi-même ?
R. – Essayez.
M. A. trouva d'abord comme solution;  « Life is less able », c'est-à-dire, la vie est le moins capable. Il reprit alors l'anagramme du jour précédent et trouva: « Every life is yes. » c'est-à-dire: Toute vie, oui, est. Etonné par la production de ces anagrammes qui lui semblaient prouver l'existence d'une intelligence étrangère à la sienne, car la plume en pointant les lettres acceptait les unes et rejetait les autres, M. R. voulut en savoir davantage et interrogea cette intelligence.
D. – Qui es-tu ?
R. – Clélia! ! !
D. – Tu es une femme ?
R.  – Oui.
D. – As-tu jamais vécu sur la terre ?
R. – Non.
D. – Le feras-tu ?
R. – Oui.
D. – Quand ?
R. – Dans six ans.
D. – Pourquoi viens-tu me parler ?
R. – E if Clélia e l.
L'auteur interprète ainsi: « Clelia feel » ce qui veut dire: moi, Clelia, je sens.
M. A demande si c'est bien la solution:
R. – E if Clelia e l. 20.
D. – Est-ce 20 ans votre âge ?
R. – 8 (elle est éternelle).
L'expérience s'arrête là. A ce moment, l'auteur croit qu'il est en relation avec un esprit au nom romanesque, qui viendra habiter la terre dans six ans. Il est agité et dort mal.

Quatrième jour.

L'interrogatoire est repris avec exaltation, mais les résultats sont bien différents.
D. – Pourquoi me parles-tu ?
R. – Une ligne ondulée.
M. A. sans se laisser déconcerter, considère cette ligne comme une grave et sérieuse réponse. II s'examine afin de bien purifier sa pensée de tout alliage terrestre et pose la question :
D. – Pourquoi me réponds-tu ?
R. – Ligne ondulée.
D. – Dois-je répondre moi-même ?
R. – Oui.
D. – Clélia est-elle ici ?
R. – Non.
D. – Qui est là présent, maintenant ?
R. – Personne.
D. – Clélia existe-t-elle ?
R. – Non.
D. – Avec qui  ai-je parlé hier ?
R. – Avec personne.
D. – Pourquoi avez-vous menti ?
R. – Ligne ondulée. Pourquoi avez-vous menti ?
D. – Les âmes existent-elles dans un autre monde ?
R. – M b.
D. – Qu'est-ce que cela signifie ?
R. – Peut-être. (May-be).
A partir de ce moment, l'écriture tantôt affirme l'existence de Clélia, tantôt la nie.

Examinons froidement ce cas, afin de chercher où se trouve la probabilité la plus forte. M.A. avoue qu’il ne connaissait pas le nom de Clélia et qu’il ne s’amuse pas à faire des anagrammes, bien qu’il s’en soit occupé pendant sa jeunesse. Cette remarque nous montre qu’il existe dans l’esprit de l’écrivain une tendance à combiner les lettres des mots dans des ordres différents. Nous savons qu’il ne faut pas affirmer l’existence d’une cause étrangère que lorsque sa nécessité est parfaitement démontrée. Or, ici, le soi-disant esprit ne dit que des choses insignifiantes qui, de l’aveu de l’expérimentateur, se rapportent à peu près à ses lectures pour la phrase: Toute vie, oui, est. Quant aux renseignements sur Clélia, ils sont absolument puérils et ce nom de fantaisie ne s’applique à aucune réalité. Seul le caractère de l’automatisme, encore peu accentué, peut sembler une intervention occulte, mais nous le savons déjà, ce n’est pas un critérium puisqu’on l’observe chez des sujets comme miss Stein, qui ne sont médiums ni de près ni de loin. Un spirite quelque peu au courant des travaux contemporains, n’aurait pas hésité à voir dans ces réponses autre chose qu’un jeu de son imagination. Les contradictions, les réticences, le peu de suite des réponses indiquaient manifestement une pauvreté intellectuelle que les anagrammes, d’ailleurs peu compliquées, ne pouvaient pas contredire.
Enfin il manque la vraie preuve d’une intervention de l’au delà: la révélation d’évènements réellement inconnus, signalés par l’écriture. Dans ces conditions, nous n’hésitons pas à ranger M. A. parmi les automatistes qui peuvent intéresser les psychologues, mais qui laissent les spirites indifférents.

Affirmations mensongères inconscientes

Voici encore un autre exemple dû au professeur Sidgwickt reproduit par M. Myers dans son étude sur l'écriture automatique :

« Le professeur avait pour ami intime un Monsieur doué de la faculté d'écrire automatiquement, et tous deux essayèrent souvent d'avoir des informations correctes sur des faits inconnus d'eux, sans jamais y parvenir. « Parfois, dit-il, le résultat était curieux comme montrant une apparente tentative de l'inconscient de mon ami, pour tromper le moi conscient. Je me rappelle qu'un soir nous obtînmes ce que l'on nous dit être la première phrase du principal article du Times qui devait paraître le lendemain matin. La phrase était bien dans le style habituel du Printring hose square; mais le lendemain matin, en ouvrant le journal, nous ne l'y trouvâmes pas. Mon ami prit immédiatement le crayon, posa la main sur une feuille de papier et obtint alors de la façon habituelle un véritable amphigouri, tendant à expliquer comment la phrase donnée la veille devait réellement paraître dans l'article, mais avait été, au moment d'être imprimée, biffée par l'éditeur, en conséquence d'exigences politiques imprévues et qu'un autre article avait été substitué, à la hâte. Et dans d'autres cas, lorsque des communications écrites, involontairement étaient prouvées fausses, on nous en donnait des explications exhibant cette sorte d'ingénuité que possède un mystificateur avéré lorsqu'on le pousse dans ses derniers retranchement.
Si je n'avais pas connu mon ami et sa bonne foi absolue, j'aurai supposé qu'il me mystifiait;  sa curiosité du résultat était plus excité que la mienne, et il n'avait nul désir conscient de me faire croire que le phénomène était dû à autre chose que le résultat de inconsciente cérébration. »

Cette assurance imperturbable que rien ne peut troubler, ce besoin maladif d'affirmer des choses qui seront démenties le lendemain, prouve une absence de sens moral d'un caractère infantile et ne peut provenir que d'un stade inférieur de la conscience qui est, dans ce cas, privée de ses éléments supérieurs et par conséquent purement impulsive, sans discernement. Nous en  verrons  encore  d'autres  exemples  qui  suffisent  à  caractériser  nettement  ce  genre d'automatisme.
Jusqu'alors, nous avons constaté que la distraction suffit, chez les natures prédisposées, à déterminer l'écriture subconsciente; il faut signaler maintenant que celle-ci peut être amenée aussi par une autre cause: une sorte de somnambulisme léger, qui interrompt à peine la vie normale, qui passe inaperçu du sujet et des assistants, mais qui produit également la perte de la mémoire des phénomènes psycho-physiologiques de l'écriture automatique. Ici encore, nous n'aurons pas besoin d'avoir recours à l'existence d'un personnage inconscient, subconscient, etc, les phénomènes résultant simplement de cette faculté que possède l'esprit de suivre simultanément deux séries d'idées, dont l'une est oubliée aussitôt que produite, tandis que l'autre reste consciente.
Pour que cette seconde hypothèse soit vraisemblable, il faut établir: 1° qu'un état hypnoïde        léger peut parfaitement exister pendant la veille et demeurer inconnu du sujet; 2° que cet état est produit par auto suggestion; 3° qu'il est favorable au développement de l'automatisme graphique; 4o que la mémoire d'une catégorie de phénomènes psychiques – celle de l'écriture – est pratiquement nulle au moment même où ils se produisent.

Le demi-somnambulisme de l'état de veille

Rappelons tout d'abord que le somnambulisme n'est nullement un symptôme de la névrose hystérique. Il existe un très grand nombre de personnes nerveuses qui peuvent parfaitement être hypnotisées, suggestionnées, magnétisées tout en possédant une excellente santé. Nous avons observé  que c'est l'opinion motivée des docteurs Bernheim, Beaunis, Ochorowicz, et du professeur Liégeois. Les docteurs Brémaud et Bottey sont du même avis  et M. Myers ne craint pas d'écrire :

« Je proteste contre l'assertion que l'hypnotisme lui-même et ses phénomènes sont nécessairement morbides. L'hypnotisme a de graves dangers, incidents que l'on peut observer à un haut degré chez les sujets malades, mais appeler l'hypnotisme une névrose me semble aussi raisonnable que de traiter de névrose le rêve ordinaire ou l'habitude du travail assidu...
Plus loin, il dit encore :
Je propose de ranger l'hystérie (et beaucoup de troubles d'un genre voisin) dans le chapitre de l'hypnotisme, plutôt que l'hypnotisme dans celui de l'hystérie. Ces troubles auto-suggestifs montrent le dérangement de l'activité d'une couche du moi qui est par elle-même normale et aussi essentielle qu'une autre pour compléter notre être, et qui a une grande supériorité sur la couche superficielle au point de vue du pouvoir qu'elle peut exercer sur l'organisme. »

M. Bernheim dit également .

« Constater que la très grande majorité des sujets est suggestible, c'est éliminer l'idée de névrose! A moins d'admettre que la névrose est universelle, que le mot d'hystérie est synonyme d'impressionnabilité nerveuse quelconque! Et comme nous avons tous des nerfs et que c'est une propriété des nerfs d'être impressionnés, nous serions tous des hystériques. »

Entraînés par leurs systèmes préconçus, MM. Binet, Janet et quelques autres ont été conduits à ranger les automatistes et les médiums dans la catégorie des malades;  il est donc utile de signaler encore cette appréciation de M. Myers, qui était bon juge en ces matières ayant longuement expérimenté  :

« Je n'ai jamais vu que l'écriture automatique fût liée à une maladie de l'esprit ou du corps, ou à une tendance mauvaise quelconque, excepté dans les cas de trop grande crédulité de l'écrivain, crédulité que des discussions comme celle-ci rendront plus rares, je l'espère. »

Maintenant que nous sommes rassurés sur l'état de santé de tous les genres d'automatistes, nous pouvons les étudier indistinctement, et s'ils présentent des symptômes de somnambulisme à l'état normal, nous ne les classerons pas pour cela parmi les névropathes.
Généralement on se figure que l'état hypnotique s'accompagne toujours du sommeil. Si un sujet n'a pas les yeux fermés, s'il cause avec les assistants, des expérimentateurs novices peuvent croire qu'il est toujours à l'état normal, alors qu'en réalité il a subi un changement assez profond pour qu'on puisse non seulement lui donner toutes les suggestions classiques, mais aussi s'assurer qu'il présente les phénomènes physiologiques de contractures, de paralysie, d'insensibilité, etc. Nous avons été témoin de ces effets chez M. Bouvier, magnétiseur lyonnais, et très fréquemment aussi en assistant aux expériences faites par  M. le Dr Moutin sur des sujets pris au hasard dans le public; les résultats qu'ils obtiennent confirment ceux observés antérieurement, que nous allons résumer d'après le travail du professeur Beaunis .

« Sans remonter jusqu'aux procédés de l'abbé Faria , un nommé Grimes, vers 1848, produisait chez des personnes éveillées toute la série des effets nerveux que Braid obtenait par l'hypnotisme .
Le procédé de Grimes ou électro-biologie fut propagé en Angleterre par un M. Stone, qui convertit le Dr Carpenter, et sur le continent par le Dr Durand (de Gros), dont nous donnerons tout à l'heure l'opinion. Les biologisés (biologised subjects) doivent être considérés comme éveillés; mais cependant on trouve toutes les gradations entre cette condition et l'état du vrai somnambulisme.
Voici ce que le Dr Bernheim écrit sur cet état : « Beaucoup de sujets qui ont été hypnotisés antérieurement peuvent, sans être hypnotisés de nouveau, pour peu qu'ils aient été dressés par un petit nombre d'hypnotisations antérieures (une, deux, ou trois suffisent chez quelques-uns) présenter à l'état de veille l'aptitude à manifester les mêmes phénomènes suggestifs », et il mentionne les contractures, les mouvements automatiques, des modifications de la sensibilité, etc. que l'on observe chez eux. Il n'est même pas besoin, dit-il plus loin, que le sujet arrive à un sommeil profond, et il est des individus chez lesquels les suggestions faites à l'état de veille réussissent, tandis que celles qui sont faites pendant le sommeil sont inefficaces. »

M. Liégeois  définit très bien l'état des personnes auxquelles on peut donner des suggestions sans qu'elles dorment le moins du monde :

« Ce qui est surtout singulier, dit-il, dans les expériences dont je viens parler, c'est l'état du sujet mis en expérience. Il ne présente pas la moindre apparence de sommeil; il a les yeux ouverts, les mouvements aisés;  il parle, il marche, agit comme tout le monde;  il prend part à la conversation, répond aux objections, les discute, a souvent des réparties heureuses; il semble être dans un état absolument normal, excepté sur un seul point où porte la prohibition de l’expérimentateur. »

Le Dr  Liébault,  sous le nom de Charme, décrit un état du sujet qui est plus profond que celui dont   nous parlons ici, mais qui n'est pas encore le somnambulisme ordinaire;  il dit  :

« Parmi les sujets que l'on peut endormir, on en trouve qui arrivent seulement dans un engourdissement très curieux et désigné sous le nom de charme, ceux-ci pensent encore activement et ont une conscience assez nette du monde extérieur; mais si on leur affirme, par exemple, l'impossibilité de parler, de faire certains mouvements, voire même de sentir ou si on leur suggère l'idée d'actes absurdes, leur attention, déjà sans ressort, s'immobilise complètement sur les idées imposées, leur esprit les adopte et l'organisme obéit; ce sont de vrais automates placés sur la limite de la veille et du sommeil. »

Le Dr Ch. Richet a observé quelque chose d'analogue sur deux femmes qu'il étudiait. Voici ce                  qu'il en dit .

« Chez ces deux femmes il n'y a pas, entre l'état de sommeil magnétique et l'état normal, cette différence nette et formelle qu'on voit dans les livres classiques. Chez elles, on peut provoquer presque tous les phénomènes d'hallucinations sans qu'il y ait de clôture des paupières, et alors qu'est conservée exacte et complète la notion de la personnalité. »

En résumé, il résulte des faits qui viennent d'être exposés qu'on peut déterminer chez certains sujets un état particulier qui n'est ni le sommeil hypnotique ni la veille. Cet état se distmgue du sommeil hypnotique par plusieurs points: le sujet est conscient, il a les yeux ouverts; il est en rapport avec le monde extérieur;  il se rappelle parfaitement tout ce qui se dit ou se fait autour de lui, tout ce qu'il a dit ou exécuté lui-même. Mais, c'est ici un caractère des plus importants sur lequel nous appelons spécialement l'attention du lecteur, le souvenir n'est pas conservé pour les suggestions qui lui sont données; c'est par cet oubli et par la docilité que cet état se rapproche du somnambulisme. Ces deux caractères sont les seuls qui le distinguent de l'état de veille.
Il est certain que les personnes qui sont assez sensibles pour qu'une influence très faible, de courte durée, produise cependant un état hypnoïde caractérisé par une telle suggestibilité, doivent être prédisposées à subir presque passivement toutes les influences morales qui s'imposeront à elles avec force. C'est ce qu'a bien vu le Dr  Durand de Gros lorsqu'il écrit :

« Les électro-biologistes s'attachent dans leurs expériences, et réussissent à démontrer ce fait énorme, un fait gros des plus grosses conséquences, que l'état hypotaxique ou de suggestionnabilité peut se cacher entièrement sous les apparences d'un état de veille parfait, au point de ne se trahir par aucun signe appréciable à l’œil nu. »
« De ce fait, j'ai depuis longtemps induit cette vue, que je soumets de rechef à l'attention de qui de droit, que la Société renferme une multitude de gens allant et venant et nous coudoyant dans la rue comme le commun des citoyens, et qui n'en sont pas moins atteints d'un état hypotaxique inné ou accidentellement contracté, dont ils ne se doutent aucunement, et leurs voisins, parents, amis et connaissances, pas davantage, et qui à leur insu et à l’insu de tout le monde, peuvent à tout bout de champ subir toutes sortes d'impressions suggestives de rencontre, la plupart insoupçonnées et étrangères à toute intention, mais non moins pernicieuses souvent et dont l'existence de ces êtres est l'infortuné jouet. C'est à  « l'électrobiologie » yankee, à l'hypnotisme vigilant de Grimes, que sont dues les premières indications révélatrices nettement accusées de ce fait humain de la plus grave importance médicale morale et sociale. »

Un des caractères les plus remarquables de cet état, de ce demi-somnambulisme que nous avons souvent observé, c'est que celui qui en est l'objet n'a pas conscience du changement qui s'est produit en lui. Vous lui donnez la suggestion qu'il ne peut plus dire son nom, il en rit, il hausse les  épaules, il dit que c'est absurde, et cependant excité, poussé à bout, lorsqu'il veut prononcer ce mot il doit reconnaître que cela lui est impossible. Sa volonté, qu'il a toujours l'illusion de croire libre, est en réalité dominée par la suggestion irrésistible qui le paralyse. De tout ce qui précède, nous pouvons conclure qu'il existe un assez grand nombre d'individus qui, sous des influences extérieures très faibles, sont aptes à entrer dans un état hypnoïde léger  dont ils ne s'aperçoivent pas eux-mêmes, qui n'est pas apparent pour ceux qui n'en sont pas prévenus, et qui cependant les prédispose à  subir passivement les suggestions qui leur seront faites, ou qu'ils pourront se donner eux-mêmes. C'est dans cette catégorie que l'on trouvera des automatistes, et l'on comprendra d'autant mieux ce qui se passe en eux que l'on connaîtra toute la puissance de l'auto suggestion.

Suggestion et auto suggestion pendant le sommeil  provoqué

Pour embrasser dans son ensemble le tableau si divers et si compliqué des phénomènes que peut  produire l'auto-suggestion, il est indispensable de rappeler d'abord ce que la suggestion ordinaire est capable de faire.
L'hypnotisme a rendu à la psychologie des services inestimables en lui permettant de pénétrer dans le mécanisme intime de l'esprit. Ce que l'observation ne nous montrait que dans des cas exceptionnels, nous pouvons maintenant le reproduire à volonté en plaçant un sujet dans les conditions spéciales que nous avons besoin de connaître. C'est un automate vivant et docile dont nous faisons mouvoir les rouages intellectuels dans toutes les directions, afin d'en découvrir les lois. Tous les sujets hypnotisables ne sont pas également dociles à la suggestion, il en est même qui s'y refusent  absolument;  d'autres n'acceptent qu'un genre particulier de suggestion; les faits que nous décrivons sont donc tirés de la généralité des observations et non de tel cas particulier.
Les anciens magnétiseurs connaissaient déjà ces phénomènes, comme on peut s'en assurer par la lecture des ouvrages de Puységur, Deleuze, l'abbé Faria, Du Potet, Charpignon, Teste etc.; nos modernes hypnotiseurs n'ont rien découvert de nouveau, mais pour être juste, il faut reconnaître que c'est depuis les travaux de Braid, de Charcot, de Ch. Richet, de Binet et Ferré, et surtout de l'école de Nancy, que la suggestion n'est plus niée, malgré l'étrangeté parfois déconcertante des résultats qu'elle permet d'obtenir.
On peut grouper sommairement tous les faits en trois catégories:
1° ceux qui ont trait à la suppression de la douleur dans des conditions d'états nerveux et musculaires qui entraînent inévitablement la souffrance dans les circonstances normales;
2° ceux qui montrent que le pouvoir de l'âme s'étend sur des fonctions organiques que l'homme ordinaire est incapable d'influencer;
3° ceux qui se rapportent aux opérations intellectuelles.
Notre objet n'est pas de faire une étude de la suggestion, mais de montrer principalement le pouvoir de dissociation de l'hypnotisme dans toutes ses manifestations. La suppression de la douleur est un des plus merveilleux résultats auxquels on soit parvenu. Depuis longtemps on connaissait l'insensibilité des sujets magnétisés, mais on n'y çroyait guère; aujourd'hui, il suffit d'aller à la Salpetrière ou à l'hôpital de Nancy, pour voir quantité de malades qui traversent les phases de leurs différentes maladies organiques sans éprouver guère plus qu'un malaise, et se débarrassent de leurs souffrances nerveuses dans la chambre de consultation, aussi facilement que de leur  paletot ou de leur chapeau.
Tel est le cas,  par exemple, de cette femme citée par le professeur Delbœuf et le Dr Fraipont qui riait et plaisantait pendant des couches laborieuses . Dernièrement, M. P. Janet signala aussi l'insensibilité complète d'une femme pendant une opération qui nécessitait la dilatation du col et le curetage de l'utérus .
La suppression de la douleur obtenue par l'hypnotisme n'est pas comparable à celle produite par les narcotiques, qui amènent une disparition absolue de la conscience. Il y a une sorte de choix parmi les sensations, de manière à supprimer celles qui  seront désagréables, et celles-là seulement.

« Ce n'est pas la pure insensibilisation de quelques portions particulières d'extrémités nerveuses (comme en produit par exemple la cocaïne) mais aussi une suppression de beaucoup de sentiments concomitants, comme la nausée, l'épuisement, l'anxiété, qui ne dépendent pas toujours de la souffrance principale, mais qui ont besoin, pour ainsi dire, d'être reconnus objectivement désagréables, avant d'être choisis pour l'inhibition . »

D'ordinaire, presque toutes les fonctions de la vie organique de notre corps nous sont aussi étrangères que si elles avaient lieu dans un autre organisme. Cependant, pendant l'hypnose, on peut atteindre ce territoire inaccessible habituellement et y produire des changements variés. Le professeur Beaunis et le Dr  Krafft-Ebing ont ralenti les pulsations du coeur par suggestion . D'autres, comme le professeur Bernheim et M. Focachon, ont obtenu de la rougeur et des ampoules par le même procédé. Les Docteurs Ramadier, Mabille, Bourru et Burot ont produit de la congestion localisée, des saignements de nez et de l'ecchymose . Le Dr  Forel  et d'autres ont pu ramener des sécrétions arrêtées en fixant l'heure à l'avance . Voici un curieux exemple de cette vésication  par  suggestion  :

« L'expérience suivante a été faite par le docteur J. Rybalkin, en présence de ses collègues, à l'hôpital Marie à Saint-Pétersbourg. Le Dr  Rybalkin avait déjà expérimenté dans ce sens avec le même sujet. C'était un peintre en bâtiment, nommé Macarck, âgé de seize ans, hystérique et presque entièrement anesthésique. Il fut hypnotisé à 8 h.30 du matin et on lui dit: quand vous vous réveillerez, vous aurez froid, vous irez vous chauffer au poêle et vous vous brûlerez le bras sur une ligne que j'ai tracée. Cela vous fera du mal, une rougeur apparaîtra sur votre bras;  il enflera, il y aura des ampoules. »
Réveillé, le sujet obéit. Il poussa même un cri de douleur au moment où il toucha la porte du poêle, qui n'était pas allumé !
Quelques minutes après, une rougeur sans gonflement pouvait être vue à la place indiquée, et le sujet se plaignit d'une vive douleur lorsqu'on le touchait. On lui mit un bandage au bras, et il alla se coucher sous nos yeux.
A la fin de notre visite, à 11 h.30, nous constatâmes une enflure considérable accompagnée de rougeur et d'érythème à papules à l'endroit de la brûlure. Un simple contact dans un cercle de 4 centimètres causait une sérieuse douleur; le médecin, le Dr Pratine, entoura l'avant-bras d'un bandage qui montait jusqu'au tiers supérieur du bras.
Le lendemain matin à 10 heures, quand le pansement fut enlevé, nous vîmes, à l'endroit de la brûlure, deux ampoules, l'une de la grandeur d'une noix, l'autre de celle d'un pois et une quantité de petites ampoules. Autour, la peau était rouge et sensible. Avant l'expérience, cette région avait été anesthésique. A trois heures, les ampoules s'étaient réunies en une seule grande ampoule. Le soir, l'ampoule qui était pleine d'un liquide jaune à moitié transparent, se creva et il y eut une plaque ulcérée. Une semaine plus tard, la sensibilité ordinaire revint sur la cicatrice et au bout de quinze jours il ne restait plus qu'une marque rouge à l’endroit de la brûlure. »

Le troisième genre de suggestion s'adresse aux facultés intellectuelles. Il n'existe pas un seul acte de notre vie mentale qui ne puisse être reproduit et exagéré par ce moyen. Signalons ici encore ce pouvoir de dissociation que nous avons vu s'exercer au sujet des hallucinations systématisées, autrement dit celles qui suppriment toutes les sensations et tous les souvenirs relatifs à une personne présente, en laissant les autres intacts . On produit avec la même facilité l'opération inverse, c'est-à-dire la création d'un personnage imaginaire qui aura toutes les apparences de la réalité. Les hallucinations suggérées portent sur toutes les sensations. On peut faire entendre au sujet le bruit du vent, le son des cloches ou un air d'opéra. Son goût et son odorat sont pervertis ou illusionnés; ses sensations musculaires troublées à ce point qu'il ne pourra soulever l'objet le plus léger;  la mémoire sera tour à tour abolie ou exaltée et le mécanisme de l'intelligence, les associations d'idées seront mises à nu par ce procédé;  la suggestion hypnotique peut porter non seulement sur les sensations et sur les actes, elle a une influence plus haute: elle agit sur les passions, les sentiments, le caractère. On rend à volonté un sujet triste, gai, colère, etc.; on peut modifier à son gré et instantanément son caractère moral. Un fait encore plus important, c'est qu'on peut obtenir aussi par suggestion non seulement des modifications temporaires, mais des modifications permanentes du caractère et créer ainsi la médecine mentale qui donne déjà de si beaux résultats .
Comment se produisent ces transformations qui tiennent du prodige et dont les apparences merveilleuses ont si longtemps effarouché le monde médical? Pour le savoir, il faut se rendre compte de l'état particulier du sujet pendant que se font les suggestions et bien connaître la véritable nature de nos idées.
La première constatation, c'est que l'hypnose crée un état nerveux qui a pour résultat d'amener une totale inertie psychique. Quand on demande à un sujet endormi à quoi il pense, il répond toujours qu'il ne pense à rien . Ceci est littéralement vrai;  son intelligence est vide. Mais qu'on vienne à prononcer un mot qui éveille une idée, celle-ci étant seule, ne rencontrant ni état antagoniste, ni pouvoir d'arrêt, va se développer démesurément et envahir l'imagination entière.
Elle prendra une intensité prodigieuse et se réalisera complètement. C'est pourquoi les ordres suggérés sont si soigneusement accomplis et les hallucinations si complètes et si absolues.
Les images mentales  – qu'elles soient visuelles, auditives, tactiles, olfactives, gustatives, musculaires, etc., – nous le savons aujourd'hui d'une manière certaine , ont un siège                   dans le cerveau. Le souvenir n'est qu'une sensation qui renaît, une image, une représentation qui se revivifie. En général, elle est plus faible que l'impression primitive, mais lorsque l'attention se fixe sur une pensée particulière, celle-ci est capable de produire la même sensation que la réalité. Pendant le sommeil il est facile d'observer le même phénomène. L'esprit n'étant plus distrait par les mille stimulations du milieu extérieur, se concentre sur les tableaux que son imagination lui présente, et ils ont pour lui la même réalité que ceux de l'état de veille.
C'est ce qui se produit également pendant l'hypnose. Les hallucinations suggérées sont tout à fait indiscernables des sensations ordinaires. Donner à un sujet l'illusion qu'il déguste du cassis, alors qu'il ne boit réellement que de l'eau, c'est exalter en lui le souvenir du goût de cette liqueur et le réveiller avec assez d'acuité pour que la sensation revive momentanément. Lui affirmer que son frère est là, c'est le lui faire voir aussi distinctement que s'il était présent.
Comme le remarque M. Binet , cette théorie de l'image n'a rien de matérialiste; elle rapproche l'image de la sensation, elle en fait une sensation conservée et reproduite. Or, qu'est-ce que c'est que la sensation? Ce n'est pas un fait matériel, c'est un état de conscience comme une émotion ou un désir. Si l'on est tenté de voir dans la sensation un fait matériel, c'est parce qu'elle a un corrélatif physiologique très apparent, l'excitation produite par l'objet extérieur sur les organes des sens et transmise au cerveau. Mais on sait que tous les faits de l'esprit son accompagnés d'un phénomène physiologique. C'est la loi. A ce point de vue, la sensation et l'image ne diffèrent pas des autres états de conscience.
On voit donc que la suggestion de l'opérateur n'a d'action que si elle passe par l'intelligence du sujet. C'est celle-ci qui est la cause agissante, et sans elle rien ne se produirait. Nous ne serons donc pas surpris de constater que parfois c'est le sujet lui-même qui se donne des suggestions. Citons deux auteurs qui ont bien étudié ces phénomènes :

« Il est des cas où la suggestion prend son point de départ dans l'esprit du sujet: il se suggère lui-même. Au lieu d'être le résultat d'une impression du dehors, comme dans le cas de suggestion verbale, la suggestion est le résultat d'une impression du dedans, telle qu’une idée fixe, une conception délirante. En voici quelques exemples :
Une malade, dans une vision imaginaire, avait lutté corps à corps contre l'hallucination de l'un de nous, et lui avait appliqué un violent coup de poing en pleine figure. Le lendemain matin, comme son prétendu adversaire entrait dans la salle, elle s'aperçut qu'il portait une ecchymose à la joue. Cette hallucination, qui dérive d'une première hallucination, comme une conclusion dérive de ses prémisses, est un exemple type d'autosuggestion. En effet, la malade a du exécuter, sous une forme inconsciente, un raisonnement analogue à celui-ci: je lui ai donné un coup de poing, donc il en porte la marque.
Une autre malade, au sortir d'une phase de léthargie profonde qui n'avait duré que cinq à dix minutes, s'imaginait qu'elle avait dormi pendant plusieurs heures. Nous favorisons cette illusion en lui affirmant qu'il est deux heures de l'après-midi: il était réellement 9 heures du matin. A cette nouvelle, la malade ressent la faim la plus vive et nous supplie de la laisser partir pour aller manger. C'est là une sorte d'hallucination organique, l'hallucination de la faim que la malade s'est suggérée elle-même. Elle a inconsciemment exécuté un raisonnement analogue à celui-ci: il est deux heures de l'après-midi, je n'ai pas mangé depuis mon lever, donc je me meurs de faim. Ajoutons que cette faim imaginaire fut apaisée par un repas également imaginaire. On fit apparaître par suggestion sur un coin de la table une assiette de gâteaux que la malade dévora; au bout de cinq minutes, elle n'avait plus faim, ni appétit. Les exemples précédents d'autosuggestion sont tous empruntés aux hallucinations. En voici un qui appartient à un ordre d'idées différent.
On s'approche d'une malade endormie et on lui fait un récit amené comme il suit: «  Il vient de vous arriver un grave accident tout à l'heure, vous le rappelez-vous? Vous traversiez la cour;  votre pied a glissé et vous êtes tombée sur la hanche »;  elle se met à geindre; de plus, se suggérant les suites logiques de sa chute, elle se donne en quelque sorte une légère paralysie du membre: à son réveil, elle boite! »

On trouvera d'autres exemples semblables dans les auteurs qui ont étudié l'hypnotisme, il nous suffit d'avoir rappelé ces faits qui nous aident à comprendre comment peut naître et se développer l'autosuggestion naturelle.

L’autosuggestion à l’état de veille

Si nous disions que les phénomènes précédents peuvent se reproduire sur le premier venu, à l'état de veille, nous hasarderions une affirmation absurde et démentie par l'observation journalière. Mais si nous prétendons que l'hypnose ne fait que grossir, exagérer, mettre en relief une disposition à la suggestibilité qui existe en chacun de nous, nous serons strictement dans la vérité. Tous nous subissons chaque jour, plus ou moins, l'influence d'une volonté étrangère et il est facile de constater que les sociétés se composent d'une masse qui obéit, qui est suggestionnée,  et d'un élite qui la dirige, qui la suggestionne.
On pourrait citer de nombreux exemples de cette influence qui s'impose à une assemblée en donnant naissance à une hallucination.

« On raconte que le soir de l'exécution du maréchal Ney ,  quelques personnes se trouvaient réunies dans un salon bonapartiste;  tout à coup, la porte s'ouvrit, et le domestique se trompant sur le nom de l'arrivant, qui s'appelait M. Maréchal Ainé, annonça, à haute voix: Monsieur le maréchal Ney! A ces mots, un mouvement d'effroi parcourut la réunion, et les personnes présentes ont raconté depuis que, pendant un instant, elles virent distinctement, dans Monsieur Maréchal, la personne de Ney qui s'avançait en chair et en os au milieu du salon. »

La Revue Scientifique reproduit, d'après Psychological Review, le récit de l'expérience suivante faite par M. Plasson à l'Université de Wyomming  :

« J'avais préparé une bouteille remplie d'eau distillée, soigneusement enveloppée de coton et enfermée dans une boîte. Au cours d'une conférence populaire, après quelques autres expériences, je déclarai que je désirais me rendre compte avec quelle rapidité une odeur se diffuserait dans l'air, et je demandai aux assistants de lever la main aussitôt qu'ils sentiraient l'odeur.
Je déballai la bouteille et versa l'eau sur le coton en éloignant la tête durant l'opération; puis je pris une montre à secondes en attendant le résultat. J'expliquai que j'étais absolument sûr que personne dans l'auditoire n'avait jamais senti l'odeur du composé chimique que je venais de verser et j'exprimai l'espoir que, si l'odeur devait sembler forte et spéciale, elle ne serait toutefois désagréable à personne.
Au bout de 15 secondes, la plupart de ceux qui étaient en avant avaient levé la main, et en moins de 40 secondes « l'odeur » se répandit jusqu'au fond, par ondes parallèles assez régulières. Les trois quarts de l'assistance, environ, déclarèrent sentir l'odeur; la minorité obstinée comprenait plus d'hommes que la moyenne de l'ensemble. Un plus grand nombre d'auditeurs aurait sans doute succombé à la suggestion  si, au bout d'une minute, je n'avais été obligé d'arrêter l'expérience, quelques-uns des assistants des premiers rangs se trouvant déplaisamment affectés et voulait quitter la salle. »

Cette expérience très bien faite montre qu'un quart environ de l'assemblée était absolument réfractaire. Les trois autres quarts subissaient la suggestion, mais d'une manière atténuée, tandis que chez certains assistants, elle avait pris assez d'empire pour les incommoder. Ce sont justement ces personnes sensibles, chez lesquelles l'imagination est très développée, qui sont naturellement portées à subir l'empire d'une idée qui s'impose à leur esprit, et cela avec une telle force qu'elles ne peuvent plus s'en débarrasser. Beaucoup de maladies, avec des symptômes très compliqués, n'ont pas d'autre cause, ce sont les maladies psychiques,  et toute une thérapeutique nouvelle s'est fondée sur la connaissance que nous avons aujourd'hui du pouvoir de la suggestion. On avait remarqué depuis longtemps « l'action de l'esprit sur le corps »  mais c'est seulement depuis vingt ans que les expériences de l'école de la Salpétrière et de celle de Nancy commencent à fournir les moyens d'opérer méthodiquement et d'arriver à des résultats prévus d'avance.   
La méthode générale est de détruire l'autosuggestion par une suggestion contraire, assez forte pour neutraliser l'idée délirante.

« Le Dr Morton Prince  cite un cas où une dame se figurait (et la chose se produisait réellement) que la simple présence d'une rose dans la chambre produisait en elle un violent catarrhe et une forte émission de larmes. A la fin, son médecin imagina un remède qui réussit. Il lui présenta à l'improviste une rose artificielle qu'elle prit pour une vraie. Les symptômes pénibles survinrent; mais quand il lui montra que la rose ne sentait rien et n'avait pas de pollen, le choc mental fit redevenir normale, si j'ose ainsi dire, la subconscience de son odorat. L'autosuggestion fut détruite et elle put désormais sentir les roses comme tout le monde. »

C'est si bien l'idée qui est la cause efficiente de certains états morbides, qu'il suffit parfois d'une influence extérieure, très faible, pour donner  la  suggestion contraire une intensité assez grande pour détruire  l'idée fixe et rétablir la santé. Voici un exemple cité par M. Bernheim .

« Il s'agit d'une Brésilienne qui, à Rio de Janeiro, après avoir vu un cheval prendre le mors aux dents, avait présenté des crises d'hystérie et consécutivement un tic à la face.
Au Brésil même, on l'avait, grâce à l'hypnotisme, guérie de son tic. Elle vint me trouver un beau jour, parce qu'elle avait quotidiennement cinq à six crises, à table, entre le premier et le second plat. Je lui fis alors du vrai hypnotisme et elle n'eut plus aucune crise pendant dix-huit mois. Mais de retour au Brésil, elle a une émotion morale et les crises reparaissent.
« Pouvez-vous me traiter par correspondance? » m'écrit-elle. « Certainement, » lui répondis-je. « Tous les jours, à dix heures du matin, vous vous mettrez dans un fauteuil, vous lirez attentivement ma lettre, vous m'entendrez dire: « Dormez! » et vous vous endormirez pendant dix minutes, après quoi vous vous réveillerez toute seule; ainsi vous serez guérie de vos crises. Vous ferez ce traitement pendant dix jours, et au bout de ce temps vous m'écrirez. »
Je reçois, en effet, une lettre dithyrambique: pendant ces séances de dix minutes, non seulement elle m'entendait, mais elle causait et tenait des conversations avec moi. Deux années se passèrent sans encombre. Au bout de ce temps, je reçois une nouvelle lettre; cette personne n'a plus de crises; mais, depuis plusieurs semaines, elle a des obsessions; par exemple, elle se sent attirée par la fenêtre et n'ose s'en approcher de peur de se précipiter dehors. Je renvoie un lettre analogue à celle qui avait si bien réussi une première fois et je reçois de nouveaux remerciements dithyrambiques: cette femme avait guéri parce qu'elle avait foi en moi. »

Pour tout esprit non prévenu, les faits précédents, qui ne sont que de rares exemples pris parmi des milliers d'autres, montrent que sur des personnes speciales, sur les nerveux, l'autosuggestion amènera des effets semblables à ceux dont nous avons constaté l'existence pendant le sommeil. Toutes les formes de suggestions peuvent se produire spontanément pendant l'état de veille: nous ne serons donc pas étonnés de constater que beaucoup d'automatistes devront leur pouvoir d'écrire inconsemment à la croyance qu'ils auront d'être en rapport avec les habitants du monde spirituel.
Voici une personne en bonne santé, mais d'une nature émotive très accentuée qui, le plus souvent à  la suite de peines morales, cherche dans le spiritisme les consolations que la vie lui a refusées. Après avoir assisté à un certain nombre de séances, ayant été témoin de la joie de ceux qui obtiennent des communications, elle ressent un violent désir d'entrer en rapport avec un être cher dont la perte lui laisse de cuisants regrets. Elle a lu les ouvrages spirites; elle sait que sa main doit marcher automatiquement. Elle attend anxieusement les premiers frémissements qui, elle ne l'ignore pas, décèlent l'action spirituelle. Son attention concentrée suspend l'activité de son esprit et crée en elle cet état analogue au charme, à la fascination, décrit par les docteurs Liebault, Brémaud, Beaunis, etc. Alors elle entre involontairement dans la phase de somnambulisme partiel de l'état de veille, pendant lequel se produit l'automatisme. Ce sont d'abord des mouvements brusques, des lignes tracées brutalement, comme sous l'impulsion de décharges nerveuses déréglées. Puis avec la répétition, l'exercice qui amène l'habitude, l'action nerveuse se régularise, la main trace des lettres, puis des mots et enfin des phrases dont le souvenir ne sera pas conservé dans le moi normal, et l'automatisme graphique sera constitué.
Cet envahissement du somnambulisme partiel pendant l'état de veille n'est pas aussi rare qu'on pourrait le supposer au premier abord, de nombreux exemples en ont été observés souvent chez les intellectuels, artistes et écrivains. Citons quelques cas empruntés au livre si documenté du  Dr  Chabaneix, sur la subconscience.

Le Somnambulisme à l'état de veille chez les artistes et les écrivains

« Diderot oubliait souvent les heures, les jours et les mois, et jusqu'aux personnes avec lesquelles il avait commencé à causer; il leur récitait de véritables monologues à la façon d'un somnambule .
En parlant d'un grand peintre anglais, Fuseli, M. Burger écrit: « Quelles ne furent pas les extases de Fuseli dans la ville éternelle! C'est lui qui inventa de se coucher sur le dos au milieu des églises et des palais pour en contempler les voûtes. Il passait des journées entières, étendu sur les dalles de la chapelle sixtine, plongé dans une sorte d'ivresse ou de somnambulisme, s'imaginant que le génie de Michel-Ange descendait en lui et s'infusait dans sa personne . »
Voici ce que dit de Shelley, Medwin son historien: « Il rêvait tout éveillé dans une sorte d'abstraction léthargique qui lui était habituelle, et après chaque accès, ses yeux étincelaient, ses lèvres frémissaient, sa voix devenait tremblante d'émotion: il entrait dans une espèce de somnambulisme pendant lequel son langage était plutôt d'un esprit ou d'un ange que d'un homme . »
Edgar Poë décrivait ainsi son état mental: « Les réalités du monde m'affectaient comme des visions, et seulement ainsi, pendant que les idées folles du pays des songes devenaient en revanche non seulement la pâture de mon existence quotidienne, mais positivement cette unique et entière existence elle-même ».
« Ses lectures continuelles, dit Théophile Gautier en parlant de Balzac , ne furent pas interrompues par le collège et avec elles se développa la méditation extatique de la pensée, aussi en résulta-t-il pour Balzac une maladie bizarre, une fièvre nerveuse, une sorte de coma; pâle, amaigri, sous le coup d'une congestion d'idées, il paraissait imbécile. Son attitude était celle d'un extatique, d'un somnambule, qui dort les yeux ouverts; perdu dans une rêverie profonde, il n'entendait pas ce qu'on lui disait, ou son esprit revenu de loin arrivait trop tard à la réponse .»
Et Balzac dit de lui-même: « En entendant les gens de la rue, je pouvais épouser leur vie, je me sentais leurs guenilles sur le dos, je marchais les pieds dans leurs souliers percés; leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, et mon âme passait dans la leur: c'était le rêve d'un homme éveillé .
Le peintre Raffaelli écrit au Dr  Chabaneix: « Par contre, si je ne dors pas bien la nuit, je suis rarement complètement éveillé pendant le jour. L’état de rêverie soit l'état de rêve, est constant, ce qui fait que souvent je ne réponds à la question que dix minutes, un quart d'heure après, à proprement parler, lorsque je me réveille . »

On rencontrerait difficilement un cas plus démonstratif plus typique que celui d'un écrivain qui fait ses ouvrages sans s'occuper le moins du monde de ce que sa main écrit hâtivement sur le papier. S'il ne pensait pas consciemment à ses œuvres, s'il n'en élaborait pas le plan et les détails avec son intelligence ordinaire, on croirait volontiers à une communication spirite. Voici le fait :

« M. Camille Mauclair, un romancier de talent, raconte que sa vie est une sorte de somnolence, un rêve permanent;  il dit :
« Je ne distingue pas à ce point de vue, le sommeil de l'état de veille. Je puis dire que, non seulement les idées et les plans de mes livres, mais même les moindres métaphores m'en sont dictés dans un rêve continuel. Jamais, que ce soit prose ou vers, je n'ai fait de rature dans un manuscrit, et il ne me servirait de rien d'essayer d'en revoir la rédaction, comme je l'ai fait au début de ma carrière littéraire où des scrupules m'engagaient à raturer et à refaire, comme tous mes confrères. J'ai vite compris que ce n'était pas manque de soin (je suis très passionné de mon art), mais volonté subjective rendant inutile toute intervention de mon sens critique et me dictant à son gré. J'ai accepté cet état et je n'en ai d'explication qu'en ceci je dois travailler en dormant, car, le matin en me mettant à ma table, je ne pense pas à ce que je vais écrire, mais au prochain livre qui dans des mois, suivra celui que je rédige: j'écris vite sans jamais m'arrêter, Presque comme un télégraphiste qui enregistre une dépêche. C'est évidemment d'une façon analogue que naissent les images du rêve et les paroles que prononcent les dormeurs, jusqu'à s'éveiller par leur propre voix. »

Dans les cas que nous venons de citer, la modification de la personnalité normale est spontanée;  mais chez d'autres artistes, le changement d'état psychologique nécessaire à la création ne se  produisant pas naturellement, est obtenu artificiellement par des moyens qui ne sont guère  que des procédés d'autohypnotisation.

« Il est des hommes de génie, dit Lombroso  qui, pour se livrer à la méditation, se mettent artificiellement dans un état de demi-congestion cérébrale. Ainsi Schiller plongeait ses pieds dans la glace. Pitt et Fox préparaient leurs discours après des excès de porter. Parsiello composait enseveli sous une montagne de couvertures. Miltoa et Descartes s'enfonçaient la tête dans un canapé! Bonnet se retirait  dans une pièce froide, la tête enveloppée de linges chauds. Cujas travaillait ventre à terre sur le tapis.
On a dit de Leibnitz « qu'il méditait horizontalement », tellement cette attitude lui était nécessaire pour se livrer au travail de la pensée.
Thomas et Rossini composaient dans leur lit. Rameau méditait, la tête au soleil en plein midi.
Pour Gluck, ce fut en plein  soleil, au milieu d'une prairie où il avait fait transporter son piano, qu'il composa ses deux « Iphigénies ». Haydn éprouvait, comme Newton, le besoin de la solitude. Assis dans son fauteuil, il n'avait que son piano pour confident de ses inspirations, et lorsqu'il les trouvait  paresseuses, il fixait les yeux sur la bague que le grand Fréderick lui avait donnée et qu'il ne quittait jamais (Hypnotisation partielle). Alors son imagination se transportait au milieu des chœurs célestes, dont il avait révélé à la terre les divines harmonies, et le chef d’oeuvre sortait de cette singulière contemplation.
« Il faut que vous me disiez comment vous faites votre musique », demandait un jour Tronchin à Grétry. « Mais comme on fait des vers, un tableau, répondit celui-ci. Je lis, relis vingt fois les paroles que je veux peindre avec des sons; il me faut plusieurs  jours pour échauffer ma tête; enfin, je perds l'appétit, mes yeux s'enflamment,  l'imagination  se monte. Alors je fais un opéra en trois semaines. ».

Tous ces exemples, dont il serait facile d'augmenter le nombre, nous font clairement comprendre que les personnes douées d'une vive émotivité, les sensitifs, comme les appelle le baron de Reichenbach, peuvent parfaitement se mettre d'eux-mêmes dans cet état nerveux où un semi-somnambulisme permet à toutes leurs richesses intellectuelles de se manifester avec éclat.

Les causes de l'automatisme graphique

Si nous nous sommes étendus, peut-être un peu longuement, sur les rêves, la suggestion, l'autosuggestion, l'hémi-somnambulisme de l'état de veille chez les artistes et les écrivains, c'est pour montrer que ces phénomènes psychologiques, bien que peu communs et en dehors de l'observation journalière, ne sont pas rares au point qu'on n'en puisse trouver cependant d'assez nombreuses relations. Il est entendu que les cas d'automatisme graphique sont des exceptions, mais, eux aussi, ont un degré de fréquence qui ne permet pas de les classer dans les anomalies, proprement dites. Tous les états de conscience énumérés plus haut ont entre eux la plus étroite parenté. Ils se succèdent sans brusquerie et forment une chaîne qui s'étend de l'état normal proprement dit, jusqu'au somnambulisme, par une série de transitions, de nuances, que l'on désigne sous les noms de distraction, de rêverie, d'inspiration, qui dépendent évidemment de l'idiosyncrasie des sujets observés.
Le terme d'écriture inconsciente, qui est employé parfois, n'est strictement exact que dans un seul cas: celui de l'écriture produite pendant la distraction à l'état de veille; encore faut-il spécifier que l'inconscience ne porte que sur le mécanisme de l'écriture, car les idées ont toujours été connues par le moi,  puisque le sujet les retrouve sans avoir lu son écrit si on le met dans le sommeil somnambulique, mais elles sont oubliées aussitôt que perçues par la conscience ordinaire, à cause de leur faible intensité. Nous savons, en effet, que la distraction coïncide avec une diminution de l'attention qui a pour résultat de supprimer le contrôle, le pouvoir de direction que nous possédons sur le mécanisme qui préside à l'association des idées. Alors l'imagination est livrée à tous les hasards de la rêverie. Les idées se succèdent avec rapidité, mais elles sont vite oubliées parce que leur intensité est très faible . Elles ont donc été conscientes pendant un temps très court, puis sont redescendues au-dessous du seuil de la conscience. Mais nous avons vu, avec les expériences du Dr Gley, que les images mentales, même très faibles, possèdent un pouvoir moteur qui agit sur le mécanisme psychosensoriel de l'écriture. La main qui sent le crayon entre ses doigts subit une suggestion tactile comme cela arrive à chacun de nous, dans les mêmes conditions, et l'écriture se produit d'une façon automatique en extériorisant graphiquement, sans conscience, les rêveries de l'écrivain.
Nous avons montré par l'exemple de Clélia toutes les fantaisies de cette imagination livrée à elle-même; son caractère extravagant, ses mensonges. C'est un trait distinctif qui permettra de faire un choix parmi les messages obtenus automatiquement. Les personnes qui produisent ce genre d'écrits n'ont pas à s'en formaliser, on ne peut rien en inférer sur leur nature morale, car personne ne saurait être rendu responsable de ses rêves et par conséquent des élucubrations de l'automatisme.
Nous avons signalé le pouvoir énorme de l'autosuggestion et principalement son action sur les hystériques. Tous les auteurs qui ont étudié cette névrose signalent l'influence de l'imitation sur ces malades. Il est très possible que parmi les personnes qui fréquentent les réunions spirites, il s'en trouve qui soient atteintes d'hystérie, alors elles pourront offrir à un haut degré le spectacle de l'automatisme, favorisé chez elles par la distraction, qui est un trait caractéristique de leur état, et par l'autosuggestion résultant de l'imitation.
Nous savons aussi que l'hémi somnambulisme peut-être amené, chez les personnes qui y sont prédisposées, par l'émotion intense que suscite chez elle l'idée d'entrer en rapport avec l'au-delà. Cette impressionnabilité excessive suffit à produire une invasion de somnambulisme partiel, qui n'enlève pas au sujet la conscience du monde extérieur, mais qui favorise absolument tous les phénomènes de l'automatisme psychique, de la personnalisation des idées, de la résurrection temporaire des images latentes, et donne à l'écrit tous les caractères d'une production étrangère lorsque le sujet, revenu à l'état normal, prend connaissance de toutes ces idées qu'il ne se souvient plus d'avoir écrites quelques minutes auparavant.
Ainsi, dans les séances spirites, à côté des véritables médiums, il existe également des automatistes qui écrivent mécaniquement, et en apparence sans conscience du contenu intellectuel du message donné. Pendant longtemps, les spirites ont manqué d'un critérium qui leur permît d'opérer le triage entre les communications véritables et les productions subconscientes des écrivains. On avait bien remarqué le décousu, l'incohérence ou la fatuité niaise de certaines de ces dictées, accompagnées aussi d'erreurs grossières ou de mensonges impudents. Mais on se tirait de cette difficulté en mettant ces productions sur le compte des esprits farceurs qui s'amusent à mystifier les pauvres humains. On ne pouvait pas connaître ce qui n'a été découvert que dans ces dernières années, de sorte que l'enseignement des premiers auteurs spirites sur l'intervention de l'écrivain dans ces phénomènes avait été presque totalement oublié. De là les innombrables fantaisies subliminales qui ont été acceptées comme des révélations sur le monde spirituel. Car, et c'est un point bien digne d'attention, toutes les productions de l'automatisme ne sont pas nécessairement déraisonnables, sans quoi l'exercice de l'écriture automatique aurait vite été abandonné.
Une fois que l'habitude de l'automatisme a été bien établie par un exercice fréquent, toutes les idées latentes peuvent s'extérioriser par cette voie, et elles ne sont pas toutes de simples associations d'idées. Souvent ce sont des observations, des raisonnements suivis, des théories ingénieuses ou originales que l'écrivain a élaborées pendant son sommeil, et dont il n'a pas gardé la souvenance au réveil. Toute cette vie psychologique ignorée vient au jour par l'écriture, et comme l'écrivain ne la connaît pas plus que le somnambule ne se rappelle ce qu'il a dit, fait ou pensé pendant son état de sommeil, elle lui paraît neuve, sans rapport avec lui, et il ne peut guère supposer qu'il en est l'auteur. Ce qui le fortifie encore dans la conviction qu'il a subi une influence étrangère, c’est le nom dont est signé le message, puis aussi que, parfois, la  soi-disant communication renferme des renseignements minutieux sur un acte de sa vie passée, que sa conscience ordinaire a tout à fait oublié.
Il nous paraît donc indispensable de rappeler combien nous sommes plus riches que nous ne le croyons généralement. En dessous de la conscience existe une mine merveilleuse de documents inexplorés qui peuvent nous renseigner sur le fond même de l'individualité, duquel dépend notre caractère. Nous pensons qu'une psychologie attentive doit faire une très large part au travail de l'esprit pendant le sommeil ordinaire, aux souvenirs oubliés, qui, bien que n'étant plus actuellement dans la conscience claire, n'en ont pas moins eu une influence décisive sur le développement général de notre individualité psychique, et  aussi, a un degré moindre, à ces perceptions inconscientes qui, dans les cas d'automatisme, apparaissent à l'esprit illusionné de l'écrivain comme des renseignements venus d'un autre monde. Rappelons quelques faits qui illustreront notre thèse.

Activité de l'âme pendant le sommeil

Nous savons tous que la veille et le sommeil sont séparés généralement par des mémoires différentes. Mais ce que le spiritisme nous apprend, c'est que l'âme n'est jamais inactive. Pendant la nuit elle pense, elle travaille, et souvent avec plus de fruit que pendant la journée, parce qu'elle n'est pas distraite de ses recherches par les mille incidents de la vie de relation.
Il peut arriver qu'elle ne se souvienne pas au réveil de cette activité nocturne, mais à un moment donné, le résultat de ces recherches surgit dans la conscience et l'illumine tout à coup comme une révélation inattendue. Nous possédons de nombreux exemples de cette cérébration que l'on a nominée bien à tort inconsciente. Nous allons en résumer quelques cas d'après l'étude très bien faite du Dr  Chabaneix .

« Michelet, dit De Fleury, avait l'habitude de ne se coucher qu'après s'être occupé, au moins un instant, des documents ou des sujets qui devaient faire l'objet de ses études du lendemain, II comptait sur le travail de la nuit, rêve ou automatisme, pour mûrir les concepts ainsi déposés dans sa conscience. Et s'il le faisait chaque soir, il y a lieu de croire que cela lui réussissait .
Maudsley parle d'un géomètre qui, après avoir cherché vainement la solution d'un problème, fut effrayé de le voir apparaître subitement sous la forme d'une figure géométrique, alors que depuis plus de deux ans il n'y songeait plus .
Alfred de Vigny dit dans son journal: « J'ai dans la tête une ligne droite. Une fois que j'ai lancé sur ce chemin de fer une idée quelconque, elle le suit jusqu'au bout malgré moi, et pendant que j'agis et parle ».
« Au lieu de m'obstiner, dit Arago, à comprendre du premier coup les propositions qui se présentaient à moi, j’admettais provisoirement leur vérité, je passais outre, et j'étais tout surpris, le lendemain de comprendre parfaitement ce qui la veille me paraissait entouré de nuages épais . »
Condillac a aussi raconté «que dans les temps où il rédigeait son cours d'études, s'il se voyait obligé de quitter, pour se livrer au sommeil, un travail préparé, mais incomplet, il lui est arrivé souvent de trouver à son réveil ce travail achevé dans son esprit .»

Tous ces exemples mettent bien en relief le travail de l'âme pendant le repos du corps; mais comme les philosophes positivistes et les physiologistes croient que l'activité intellectuelle n'est que la résultante des fonctions du cerveau, et que le sommeil est essentiellement le repos des centres nerveux, ils sont obligés logiquement de conclure à une pensée inconsciente, ce qui est réellement un non-sens, puisque la pensée n'est elle-même que lorsqu'elle est connue par le moi, par l'être pensant. En dehors de l'individualité psychique, il ne peut y avoir que des phénomènes physiologiques, physico-chimiques, dénués par conséquent de toute conscience. De même qu'une horloge ne secrète pas l'idée de l'heure que ses aiguilles indiquent, de même le cerveau n'est que le support physique de l'esprit.
Faute d'avoir compris cette vérité, on voit de bons esprits comme M. Sully-Prudhomme         écrire .

« J'ai éprouvé très nettement l'effet subconscient suivant: il m'est arrivé de comprendre, sans faire intervenir la réflexion et à aucun titre la volonté, une démonstration géométrique qui m'avait été faite l'année précédente. Il me semblait que la seule maturation spontanée des concepts déposés dans mon cerveau par le professeur avait déterminé en moi l'intelligence de la démonstration. »

M. Retti, également un poète, comprend mieux ce qui parait se passer réellement; il écrit au           Dr Chabaneix :

« Lorsque je fais des vers, j'ai coutume de m'arrêter, même au milieu d'une strophe, lorsque, je sens la fatigue cérébrale. Alors, je sors, je m'occupe d'autre chose ou, si c'est le soir, je me couche, sans avoir la conscience de continuer de penser à mes vers. Très souvent, sans avoir gardé le souvenir d'aucun rêve, au réveil, le lendemain matin, je pense à mes vers et brusquement je trouve la strophe faite, et bien faite, je n'ai plus qu'à l'écrire. Il me parait évident que le travail cérébral s'est continué en moi sans que je m'en aperçoive. »

En disant « sans que je m'en souvienne », la déduction serait tout à fait juste.
M. F. W. H. Myers a réuni aussi un certain nombre d'exemples  qui ne sont pas sans intérêt :

« Agassiz a raconté la découverte qu'il fit pendant son sommeil, de l'arrangement des os d'un squelette, problème que pendant le jour son esprit avait été impuissant à résoudre.
M. Hayes, un artiste qui ne s'occupe pas de mathématiques, trouve cependant pendant la nuit la solution d'une difficulté géométrique qui nécessitait l'emploi de la mémoire et du raisonnement.
Une autre personne, M. P. J. Jones raconte qu'étant étudiant ingénieur, il trouva une fois en rêve, la réponse « un nombre avec plusieurs décimales » à un problème qui l'avait dérouté toute la soirée, et qu'il lui semblait pourtant ne pas se rappeler le procédé employé pour trouver cette solution.
Mme Versall a aussi résolu en rêve un problème de calcul différentiel qu'elle n'avait pu trouver dans la journée. »

Dans ces récits, le narrateur se souvient de son rêve et le raconte, mais il est des cas où, bien que la mémoire ordinaire ne fournisse aucun renseignement, l'activité de l'âme pendant le sommeil n'en est pas moins manifeste, parce qu'elle se traduit au dehors par des effets intelligents.

Preuves matérielles de l'activité de l'âme pendant le sommeil

Suivant le spiritisme, l'âme étant un être essentiellement pensant ne peut demeurer inactive pendant le sommeil. Le travail intellectuel qu'elle accomplit lorsque le corps se repose, que l'on se remémore sous forme de rêve, peut être oublié, ce qui se produit habituellement, mais cette perte du souvenir ne doit pas servir de preuve contre la vie psychique persistant malgré la diminution de l'activité nerveuse. Ce qui l'établit, c'est que cette activité se manifeste objectivement, même lorsque le dormeur en se réveillant ne se rappelle pas avoir rêvé. Citons les faits qui appuient cette manière de voir.

« Dans l'encyclopédie de Diderot, il est rappelé à l'article somnambulisme l'histoire d'un jeune abbé qui se levait chaque nuit, allait à son bureau, composait des sermons et se recouchait. « Quelques-uns de ses amis, désireux de savoir si véritablement il dormait, l'épièrent, et une nuit qu'il écrivait comme de coutume, ils interposèrent un large carton entre ses yeux et le papier. Il ne s'interrompit point, continua sa rédaction, et une fois qu'il l'eût terminée, se coucha comme il avait l'habitude de le faire, sans se douter de l'épreuve à laquelle il venait d'être soumis. L'auteur de l'article ajoute: lorsqu'il avait fini une page, il la lisait tout haut d'un bout à l'autre (si on peut appeler lire, cette action faite sans le concours des yeux). Si quelque chose alors lui déplaisait, il le retouchait et écrivait au-dessus les corrections avec beaucoup de justesse. J'ai vu le commencement d'un de ces sermons qu'il avait écrits en dormant; il m'a paru assez bien fait et correctement écrit. Mais il y avait une correction surprenante. Ayant mis dans un endroit ce divin enfant, il crut, en relisant, devoir substituer le mot adorable à divin; pour cela il vit que le ce, bien placé devant divin, ne pouvait aller avec adorable; il ajouta donc fort adroitement un « t » à côté des lettres précédentes, de sorte qu'on lisait cet adorable enfant . »

Empruntons notre second cas au Dr Carpenter, qui le tient d'un étudiant à l'Université d'Amsterdam . Il met en évidence deux faits: 1° que le travail n'est pas machinal; 2° qu'il peut se traduire comme précédemment par l'écriture.

« Un professeur ayant à faire de laborieux et difficiles calculs mathématiques, constata qu'il ne pouvait trouver une solution juste, ce qui était dû à des erreurs qui s'étaient produites dans les nombreux chiffres employés; la solution du problème fut donnée à dix de ses élèves. Le narrateur y travailla sans succès pendant trois soirées; après avoir veillé et recommencé la troisième vérification jusqu'à une heure du matin, il se mit au lit très désappointé de n'avoir pu faire correctement le travail demandé pour le jour suivant. En se levant, le matin, à son grand étonnement, il trouva le problème correctement résolu. L'écriture était de sa propre main et pas un des calculs n'était faux.
Le fait le plus important, c'est que le travail avait été fait à l'aide d'une méthode plus rapide et meilleure que celle que l'étudiant avait employé durant les trois soirées précédentes. Le professeur lui-même en fut étonné et déclara qu'il n'avait jamais pensé à une solution si simple et si concise. »

Alfred Russel Wallace qui rapporte ce récit  l’accompagne des réflexions suivantes dont on goûterais la justesse: voilà évidemment un cas auquel les règles ordinaires de la conception cérébrale inconsciente ne peuvent s’appliquer.  En  effet, il y a là quelque chose de composé d'une manière à laquelle l'opérateur éveillé n'avait jamais pensé. L'étudiant avait en vain essayé de trouver l'erreur numérique de ses calculs et non tenté de faire le calcul lui-même par d'autres méthodes étant endormi, il n'a pas découvert les chiffres faux, et  si cela avait eu  lieu on eût pu l'attribuer à la répétition de l'action cérébrale précédente. Ce qui est caractéristique, c'est qu'il recommence le calcul avec une méthode originale, très élégante, à laquelle son maître lui-même n'avait pas songé. C'est là un cas absolument analogue à ceux des médiums qui produisent à l'état neutre ou en sommeil ce qu'ils ne peuvent faire éveillés; par exemple, comme nous le verrons plus tard, parler des langues qu'ils n'ont jamais apprises. « Attribuer de telles actions à une conception cérébrale inconsciente n'est pas les expliquer, mais  simplement  leur  donner un nom, et comme un enfant ou un sauvage, prendre un mot pour une explication. »
C'est jonglé étrangement avec le sens des mots que d'appeler inconscientes des actions qui nécessitent la mise en jeu de toutes les facultés intellectuelles; la vérité est que c'est simplement le souvenir de ces actes qui est perdu au réveil.
En  voici encore une preuve dans laquelle la mémoire joue un rôle prédominant.
Le Dr Davey a communiqué à la Société de Recherches psychiques le cas suivant, publié dans le  «  Zoïst » Vol. VIII,  page 138.

« Mon cher ami, suivant votre désir, je vous envoie les détails de ce singulier rêve, si  rêve il y a, qui  se trouva me rendre un grand service.
Comme je vous l'ai dit, j'avais été très ennuyé depuis le mois de septembre par une erreur dans mes comptes pour ce mois, et malgré des recherches de plusieurs heures, tous mes efforts restaient inutiles et je considérais presque le cas comme désespéré. Bien souvent la nuit, quand je ne dormais pas, et le jour, pendant une grande partie de mes heures de loisir, je cherchais encore: il en fut ainsi jusqu'au 11 décembre. Cette nuit-là, je n'avais pas, que je sache, pensé une seule fois à ce sujet, mais il n'y avait pas longtemps que j'étais couché et endormi lorsque mon cerveau se mit à travailler avec mes livres, autant que si j'eusses été à mon bureau. Le livre de caisse, le carnet de banque, etc., etc., m'apparurent, et, sans aucune difficulté apparente, je découvris presque  immédiatement la cause de mon erreur, qui venait d'une contre-partie compliquée. Je  me rappelle parfaitement avoir pris un bout de papier dans mon rêve et fait une note me permettant de corriger l'erreur dans un moment de loisir, et qu'ensuite toutes les circonstances s’étaient effacées de mon esprit. Quand je m'éveillai le matin, je n'avais pas le plus léger souvenir de mon rêve et il ne me revint pas de toute la journée, bien que j'eusse devant moi les mêmes livres dont je m'étais soi-disant servi pendant mon rêve.
Quand je rentrai à la maison l’après-midi, comme il était de bonne heure parce que j'avais à m'habiller, je pris un morceau de papier sur ma table pour essuyer mon rasoir, et vous pouvez imaginer ma surprise, en trouvant dessus la note que je me figurais avoir faite la nuit précédente. L'effet produit sur moi fut tel que je retournai au bureau, et, regardant le livre de caisse, je constatai que j'avais réellement, pendant mon sommeil, découvert l'erreur que je ne pouvais trouver éveillé, et que j'en avais pris note au moment même.
Il m'est impossible de me souvenir où j'ai pris ce qu'il fallait pour écrire, papier et crayon, avec lesquels je fis la note. Elle doit avoir été certainement écrite dans l'obscurité et dans ma chambre à coucher, puisque je trouvai là papier et crayon, le lendemain dans l'après-midi, et je n'y ai rien pu comprendre pendant longtemps.   
C.J.E.

P. S. Je dois dire qu'une autre fois avant cela, un fait presque semblable m'était arrivé, avec cette différence cependant, que je m'étais réveillé à la fin du drame, et m'étais parfaitement rendu compte étant bien éveillé, d'avoir fait la note à ce moment. Ce n'est donc pas la même chose.

Les faits  précédents nous font connaître l'origine de ces pensées qui surgissent quelquefois soudainement dans la conscience, comme des inspirations étrangères, alors que ce sont seulement des souvenirs qui proviennent de notre activité mentale pendant le sommeil. L'automatisme, nous le savons maintenant, est éminemment propre à extérioriser ces phénomènes psychologiques subconscients, qui n'attendent qu'une occasion pour venir à la lumière. L'écriture automatique pourra donc nous faire connaître des dictées parfaitement coordonnées, des solutions de problèmes restés insolubles pour le sujet ou des renseignements qui sembleront inédits, sans que nous attribuions nécessairement ces productions à des esprits désincarnés. Il faut alors se livrer à des enquêtes méthodiques sur l'antériorité du sujet, ses fréquentations, ses lectures, ses préoccupations, et parfois on arrive, comme nous allons le constater tout à l'heure, à reconstituer la genèse des processus intellectuels qui ont donné naissance à cette vie subliminale, comme l'appelle M. Myers.
Examinons maintenant un autre territoire de la subconscience: celui des souvenirs oubliés. C'est dans ce trésor caché que très souvent l'automatiste puise les renseignements qui donnent aux messages leur apparence merveilleuse par l'imprévu, la minutie des détails concernant un événement tout à fait sorti de la mémoire ordinaire.

La mémoire latente

Nous avons étudié ailleurs  le mécanisme de la mémoire et nous n'y reviendrons pas ici. Il suffit pour notre objet actuel de montrer, par des faits, que beaucoup d'événements oubliés absolument, qui semblent détruits pour toujours, ont cependant laissé en nous une trace ineffaçable dans cette partie profonde de notre être, dans cette subconscience qui est la base de notre individualité indestructible.
Nous avons vu plus haut  combien le souvenir latent est tenace, puisque dans le rêve il ressuscite  des souvenirs de jeunesse, comme ceux racontés par Maury, qui lui représentent un homme qu'il avait vu étant enfant et auquel il n'avait plus jamais pensé pendant quarante années. Voici encore deux  exemples de ce réveil de sensations anciennes, empruntés au même auteur :

« Un teinturier devenu aveugle, décrivit un jour avec assez de précision les traits d'un de ses cousins qui lui était apparu en rêve et que jamais il n'avait rencontré alors qu'il n'était point privé de la vue. Cette apparente intuition était due, ainsi qu'il finit par se le rappeler, à ce qu'il avait jadis regardé le portrait de son cousin chez un autre de ses parents.
Le même auteur parle encore d'un capitaine, devenu aveugle en Afrique, auquel le souvenir de certaines localités, auparavant tout à fait oubliées par lui, s'était représenté à son esprit avec une parfaite netteté. »

Appelons particulièrement l'attention sur des faits qui, s'ils se montraient pendant l'écriture automatique, auraient tout à fait l'apparence d'une révélation extérieure :

« Un monsieur Brodekelbank perd un couteau de poche. Six mois après, sans être préoccupé le moins du monde de cette perte, il rêve que ce couteau est dans la poche d'un pantalon qu'il avait mis à la défroque. En se réveillant, l'idée lui vint de savoir si soin rêve était exact; il alla chercher son pantalon et retrouva le couteau dans une poche. »

C'est évidemment un souvenir oublié qui renaît pendant le sommeil. On peut en dire autant du récit qui suit :

« Dans son ouvrage: Le Sommeil et les Rêves, le professeur Delboeuf raconte que dans un rêve, le nom de l' « Asplénium Ruta Muralis » lui parut un  nom familier. En s'éveillant, il se creusa en vain la tête pour découvrir où il pouvait avoir appris cette appellation botanique. Longtemps après, il découvrit le nom « Asplénium Ruta Muralis » écrit par lui-même dans une collection de fleurs et de fougères à côté desquelles il avait inscrit les noms sous la dictée d'un ami. »

Dans l'exemple suivant, il y a plus qu'un simple rappel de mémoire. Il semble qu'un certain nombre d'impressions visuelles ont été enregistrées inconsciemment, comme nous verrons tout à l'heure que cela est possible, puis sous l'influence de l'attention, elles ont été retrouvées par l'esprit pendant le sommeil. Voici le cas :

« En arrivant à l'hôtel Morley à 5 heures, dit madame Bickford Smith, mardi 29 janvier 1889, je m'aperçus que j'avais perdu ma broche en or et je supposai que je l'avais laissée dans une salle d'essayage chez Swan et Edgar. J'envoyai voir et fut très désappointée d'apprendre que toutes les démarches avaient été inutiles. J'étais très contrariée, et la nuit je rêvai que je la trouvais dans un numéro de la Queen qui avait été sur la table, et dans mon rêve je voyais même la page où elle était. J'avais remarqué une des gravures de cette page. Aussitôt après le déjeuner, j'allai chez Swan et Edgar et demandai les journaux, racontant en même temps aux jeunes femmes mon rêve et où j'avais vu la broche. Les journaux avaient été enlevés de cette chambre, mais on les retrouva, et au grand étonnement des jeunes femmes je dis: « Voici celui qui contient ma broche », et à la page où je m'y attendais, je trouvai la broche. »

Il est bien évident que si ce souvenir latent s'était extériorisé par l'écriture automatique, au lieu de se produire en rêve, l'écrivain aurait été fort tenté d'attribuer la description exacte de la page du livre dans lequel se trouvait la broche, à l'intervention bienveillante d'un être de     l'au-delà, désireux d'éviter à Mme Smith l'ennui d'avoir perdu son bijou. Nous allons voir dans un instant, que l'inscription dans la subconscience de sensations que nous n'avons pas perçues, comme c'est le cas ici n'est pas impossible et se constate expérimentalement.   
Ne pouvant nous étendre plus longuement d'exemples, nous passons de suite à un second révélateur de cette mémoire latente, qui est l'hypnose.
C'est un fait tout à fait général que le sommeil somnambulique ravive les souvenirs les plus fugitifs de la vie normale :

« Les somnambules se représentent, dit Ch. Richet , avec un luxe inouï de détails précis, les endroits qu'ils ont vus jadis, les faits auxquels ils ont assisté. Ils ont pendant leur sommeil décrit très exactement telle ville, telle maison, qu'ils ont jadis visitée ou entrevue; mais, au réveil, c'est à peine s'ils pourraient dire qu'ils y ont été autrefois, X..., qui chantait l'air de l'Africaine pendant son sommeil, ne pouvait pas en trouver une seule note lorsqu'elle était  éveillée.
Léonie, dit M. Janet , est capable de relire par hallucination des pages entières d'un livre qu'elle a lu autrefois, et elle distingue l'image avec tant de netteté qu'elle remarque encore des signes particuliers, comme les numéros des pages et les numéros des feuilles au bas de certaines pages: l'hallucination rétrospective est dans ce cas identique à la sensation. »

Nous devons nous persuader que rien de ce qui est entré dans l'esprit, consciemment ou non, ne peut en sortir. Malgré que l'oubli soit une condition d'une bonne mémoire , le mot oubli n'est pas synonyme de disparition de l'image mentale. Bien au contraire, celle-ci semble inaltérable; chaque impression laisse une empreinte qui dure et qui reparaîtra, alors même qu’on  l'aurait crue anéantie, lorsque les circonstances le permettront. Il  y a les souvenirs dont nous avons conscience et ceux que nous ne connaissons plus. Ces derniers sont innombrables et leur importance dans la vie mentale est de premier ordre.
La mémoire pendant le sommeil artificiel est sur certains points beaucoup plus étendue qu'à l'état normal, car elle embrasse le souvenir des rêves ordinaires et des états somnambuliques naturels. Voici un exemple du premier cas .

« Un de nos amis dit Erasme Darwin, a remarqué que sa femme qui parle beaucoup et distinctement dans le sommeil, ne peut jamais se ressouvenir de ses rêves lorsque cela lui arrive; mais qu'au contraire elle se les rappelle fort bien lorsqu'elle n'a pas parlé en dormant ». J'ai observé le même fait, poursuit M. Janet, sur Léonie, qui raconte à l'état de veille les rêves qu'elle a eus sans parole, et ne raconter qu'en somnambulisme les rêves pendant lesquels elle s’est remuée et a parlé. »

Les souvenirs du somnambulisme naturel sont presque toujours ignorés au réveil, mais on peut les retrouver dans un somnambulisme artificiel, ce qui établit la parenté de ces deux états. La relation qu'on va lire en fait foi :

« M. le Dr  Dufay, sénateur de Loir-et-Cher, a publié l'observation d'une jeune fille qui, dans un accès de somnambulisme, avait serré dans un tiroir des bijoux appartenant à sa maîtresse. Celle-ci, ne retrouvant plus ses bijoux à la place où elle les avait laissés, accusa sa domestique de les avoir volés. La pauvre fille protestait de son innocence, mais ne pouvait donner aucun renseignement sur les causes de la disparition des objets. Elle fut mise en prison à Blois. M. le Dr Dufay était alors médecin de cette prison. Il connaissait la prévenue pour avoir fait jadis sur elle quelques expériences d'hypnotisme. Il l'endormit et l'interrogea sur le délit dont elle était accusée. Elle lui raconta alors, avec tous les détails désirables, qu'elle n'avait jamais eu l'intention de voler sa maîtresse, mais qu'une nuit il lui était venu à l'esprit que certains bijoux appartenant à cette dame n'étaient pas en sûreté dans le meuble où ils étaient placés et que, dès lors, elle les avait serrés dans un autre meuble. Le juge d'instruction fut informé de cette révélation. Il se rendit chez la dame volée et trouva les bijoux dans le tiroir indiqué par la somnambule. L'innocence de la prévenue fut ainsi clairement démontrée, et la malade fut aussitôt rendue à la liberté. »

Une des formes les plus saisissantes de cette rénovation du souvenir est la reconstitution complète de toute une époque de la vie passée d'un sujet. Le professeur Pitres, de Bordeaux, qui a découvert ce phénomène, le nomme le délire ecmnésique. Voici en quoi il consiste  :
Supposons un instant qu'un sujet âgé de trente ans, perde subitement le souvenir de tout ce qu'il a connu et appris pendant les quinze dernières années de sa vie. Par le fait même de cette amnésie partielle, il se produira dans l'état mental du sujet une transformation radicale. Il parlera, agira, raisonnera comme il l'eût fait à l'âge de quinze ans. Il aura les connaissances, les goûts, les sentiments, les moeurs qu'il avait à quinze ans puisque tous les souvenirs des quinze dernières années auront disparu. Au point de vue mental, ce ne sera plus un adulte, mais un adolescent. Une malade, Albertine M..., âgée de vingt-huit ans, pendant le délire ecmnésique se trouve reportée à l'âge de sept ans, lorsqu'elle était occupée à garder la vache de sa nourrice :

« Après avoir éprouvé toute la série des auras qui précèdent habituellement l'explosion de ses attaques de délire, la malade se remit à marcher lentement, en se baissant de temps en temps, comme si elle eût ramassé des fleurs sur le bord d'une route. Puis elle s'assit par terre en fredonnant une chansonnette. Quelques instants après, elle fit le geste de fouiller vivement dans sa poche et commença à jouer aux osselets, non sans interrompre souvent sa partie pour parler à sa vache. Nous l'interpellâmes à ce moment, et elle, croyant avoir affaire aux gamins du village nous offrit aussitôt de partager ses jeux. Il fut impossible de lui faire comprendre son erreur. A toutes les questions que nous lui posions relativement à sa vache, à sa grand'mère, aux habitants du village, elle répondait avec la naïveté d'une enfant, mais avec une imperturbable précision. Si au contraire, nous lui parlions des événements dont elle a été témoin ou acteur dans le courant de son existence, après l'âge de sept ans, elle paraissait fort étonnée et ne comprenait rien à nos propos.
Je dois vous signaler deux particularités qui ne manquent pas d'importance. Jusqu'à l'âge de douze ans. Albertine est restée dans un petit hameau de la Charente, au milieu de pauvres paysans qui parlaient à peine le français. Elle-même ne parlait à ce moment que le patois de la Saintonge; ce n'est que beaucoup plus tard qu'elle a appris le français. Aussi, pendant toute la durée de l'attaque, elle s'exprimait en patois, et si nous la priions de parler français, elle répondait invariablement, et toujours en patois, qu'elle ne connaissait pas la langue des messieurs de la ville.
La seconde particularité n'est pas moins curieuse. A l'âge de sept ans, Albertine n'avait pas encore eu d'accidents hystériques et, selon toute vraisemblance, elle n'avait pas encore d'hemianesthésie ni de zones hystérogènes. Or, pendant l'accès de délire ecmnésique dont nous occupons, la sensibilité cutanée était normale, aussi bien du côté gauche que du côté droit, sauf la zone ovarienne gauche dont la pression énergique eut pour effet immédiat d'arrêter le délire. Revenue à l'état normal, la malade n'avait aucun souvenir de ce qu'elle avait dit et fait pendant cet état . »

Depuis cette observation, les docteurs Camuset, Mabille, Bourru et Burot, Voisin, etc., ont publié des relations de cas semblables, de sorte qu'il faut admettre le fait comme rigoureusement démontré. Des expériences de contrôle, faites au moyen de l'écriture, établissent que la résurrection des souvenirs du sujet est absolue et porte jusque sur les détails les plus insignifiants de son existence de chaque jour. C'est littéralement, une tranche de vie qui est exhumée des profondeurs de la conscience car, chose encore plus remarquable, l'état psychologique ancien ramène l'état physique du corps à l'époque que l'on fait revivre. Nous aurons à retenir cette remarque, car elle nous aidera à comprendre pourquoi et comment un esprit peut reprendre dans l'espace l'écriture qu'il avait de son vivant, si on le reporte à cette période de sa vie antérieure.
L'excitation extraordinaire de la mémoire, nommée hypermnésie, est due aussi, assez souvent, à des causes morbides ou à de forte secousses morales. Les ouvrages de médecine en citent de nombreux exemples. Le cas d'un jeune boucher observé à Bicêtre par le Dr Michea est célèbre. Sous l'influence d'un accès de manie, ce jeune homme récitait des tirades entières de la Phèdre de Racine; or il n'avait entendu qu'une seule fois cette tragédie. Durant les périodes calmes, il lui était impossible, malgré ses efforts, d'en réciter un seul vers.
On a remarqué aussi que le sommeil anesthésique dû à l'éther ou au chloroforme amène un état semblable au somnambulisme et peut, comme l'opium ou l'alcool, produire la même exaltation de la mémoire. M. Ribot en a réuni quelques exemples que nous mettons sous les yeux du lecteur .

« Un vieux forestier avait vécu pendant sa jeunesse sur les frontières polonaises et n'avait guère parlé que le polonais. Dans la suite, il n'avait habité que des districts allemands. Ses enfants assurèrent que pendant trente ou quarante ans, il n'avait entendu ou prononcé un seul mot de polonais. Pendant une anesthésie qui dura près de deux heures, cet homme parla, pria, chanta, rien qu'en polonais.
Il me semble, dit Th. de Quincey dans ses Confessions d'un mangeur d'opium, avoir vécu soixante-dix ans ou un siècle en une minute. Les plus petits événements de ma jeunesse, des scènes oubliées de mes premières années étaient souvent ravivées. On ne peut dire que je me les rappelais car, si on me les avait racontées à l'état de veille, je n'aurais pas été capable de les reconnaître comme faisant partie de mon existence passée. Mais, placées devant moi comme elles l'étaient en rêve, comme des intuitions revêtues de leurs circonstances les plus vagues et des sentiments qui les accompagnaient, je les reconnaissais instantanément. »

Ce sont ces sortes de souvenirs, si complètement sortis de la mémoire qu'ils semblent inconnus, qui donnent à l'automatiste la fausse croyance à une intervention de l'au-delà, lorsqu'il les trouve relatés sous la signature d'un ami ou d'un parent mort, surtout si ce n'est qu'après des efforts considérables qu'il s'en souvient, ou s'il lui faut le témoignage des siens pour lui affirmer qu'ils sont bien tels que le message les relate. Cependant il ne faut voir là qu'un phénomène de mémoire subconsciente tant que d'autres particularités n'auront pas démontré l'intervention des esprits, puisque nous constatons de quelle merveilleuse puissance de rénovation mémoriale est douée l'âme humaine. Notons encore que:

« Le souvenir qui est annihilé par l'ivresse profonde peut être retrouvé dans une ivresse suivante, comme dans  le cas très connu de ce commissionnaire irlandais qui ayant perdu un paquet pendant qu'il était ivre, s'enivra de nouveau et se rappela où il l'avait laissé. M. Myers cite un cas semblable sur le témoignage de M. Keulmans . Il s'agit d'un nègre qui, étant pris de boisson, avait dérobé et caché un scalpel et une paire de pinces. Revenu à l'état normal il avait oublié ce larcin, mais s'était de nouveau enivré, il alla chercher ces instruments à l’endroit où il les avait placés. »

Les exemples si nombreux et si variés dont nous n'avons donné qu'un échantillon de chaque genre, à titre de renseignement mais qui ont été observés un très grand nombre de fois, nous mettent en présence d'un fait remarquable: c'est que notre vie mentale est indestructible. Sans doute nous oublions peu peu la plus grande partie des évènements passés; il ne reste présent dans l'esprit que les souvenirs des évènements principaux qui servent de points de repère pour la mémoire, et l'on pourrait croire devant l'impossibilité de se rappeler ce que l'on a fait tel jour, à telle heure, il y a dix ans, que le souvenir en est perdu. C'est une erreur. Tout subsiste dans notre mémoire latente, dans cet abîme qui existe au-dessous de la conscience, et à un moment donné, sous l'influence de l'une des causes que nous avons signalées, et aussi sous le coup de fouet des émotions violentes, quelques fragments de la vie passée remontent à la surface de cet océan et peuvent être extériorisés par l'écriture automatique.
Mais il y a mieux encore. Des faits que nous n'avons pas perçus consciemment, qui n'ont pas été connus de nous au moment où ils se produisaient, peuvent laisser des traces indélébiles et surgir un jour, lorsqu'ils seront rénovés par une sensation semblable. Ce sont des empreintes latentes, des images, des clichés que l'âme ignore, qui dorment en elle et que l'on a bien improprement appelées des perceptions inconscientes, Voyons rapidement en quoi elles consistent.

Les Impressions sensorielles inconscientes

Empruntons à M. Ribot  deux exemples de ces phénomènes de mémoire antérieurs à toute conscience.

« Une dame à la dernière période d'urne maladie chronique, fut conduite de Londres à la campagne. Sa petite fille, qui ne parlait pas encore (infant), fut amenée, et, après une courte entrevue, elle fut reconduite à la ville. La dame mourut quelques jours après. La fille grandit sans se rappeler sa mère jusqu'à l'âge mûr. Ce fut alors qu'elle eut l'occasion de voir la chambre où sa mère était morte. Quoiqu'elle l'ignorât, en entrant dans cette chambre elle tressaillit; comme on lui demandait la cause de son émotion: « J'ai, dit-elle, l'impression distincte d'être venue autrefois dans cette chambre. Il y avait dans ce coin une dame couchée, paraissant très malade, qui se pencha sur moi et pleura. » Voici le second cas.
Un homme doué d'un sentiment artistique très marqué (ce point est à noter, car il indique un développement très grand de la sensibilité) alla avec des amis faire une partie près d'un château du comté de Sussex, qu'il n'avait aucun souvenir d'avoir visité. En approchant de la grand porte, il eut une impression extrêmement vive de l'avoir déjà vue, et il revoyait non seulement cette porte, mais des gens installés sur le haut, et en bas des ânes sous le porche. Cette conviction singulière s'imposant à lui, il s'adressa à sa mère pour avoir quelques éclaircissements sur ce point. Il apprit d'elle qu'étant âgé de seize mois, il avait été conduit en partie dans cet endroit, qu'il avait été porté dans un panier sur le dos d'un âne;  qu'il avait été laissé en bas avec les ânes et les domestiques, tandis que les plus âgés de la bande s'étaient installés au-dessus de la porte pour manger. »

Ces deux histoires montrent qu'alors même que les sensations produites par le monde extérieur ne sont pas connues par le moi, elles existent dans le périsprit qui en a conservé l'empreinte, bien que le cerveau ait été renouvelé un très grand nombre de fois. Lorsque les  mêmes sensations se renouvellent, elles ressuscitent les anciennes, et le souvenir a lieu. Cette renaissance du passé peut être provoquée aussi par une cause morbide.

« A l'âge de quatre ans, dit le Dr Abercrombie, un enfant, par suite d'une fracture du crâne, subit l'opération du trépan. Revenu à la santé, il n'avait gardé aucun souvenir ni de l'accident, ni de l'opération. Mais à l'âge de quinze ans pris d'un délire fébrile, il décrivit à sa mère l'opération, les gens qui y assistaient, leur toilette et autres petits détails, avec la plus grande exactitude. Jusque-là, il n'en avait jamais  parlé et il n'avait jamais entendu personne donner tous ces détails. »

Il est possible d'instituer des expériences qui permettent de séparer, dans l'acte complexe de la perception, ce qui est connu normalement, de ce qui reste ignoré. Voici deux exemples de réminiscences d'impressions sensorielles enregistrées inconsciemment, que l'on fait renaître par un artifice. Prenons d'abord un cas de vision .

« Le Dr Scripture, de l'Université de Clark, a montré que dans l'acte de vision le plus ordinaire, nous devons distinguer entre ce que la conscience superficielle se rappelle et ce qui reste cacher dans quelque profondeur obscure, mais susceptible d'en être extrait. Cette expérimentation montre au sujet une carte avec une image au milieu et une petite lettre de l'alphabet imprimée en dessous. La présentation est si courte que le sujet observe seulement l'image et n'a aucune connaissance consciente de la petite lettre. Cependant, quand ensuite on lui montre la lettre, celle-ci souvent lui rappelle – graduellement, mais à la fin distinctement  –  la représentation d'étoile ou d'éléphant ou d'autre chose qui occupait le centre de la carte au coin de laquelle la lettre était imprimée. Il arrive souvent que le sujet ne peut pas dire de quelle manière cette obscure association entre la lettre et l'image s'est effectuée. Il sent seulement qu'il y a une connexion, par exemple, entre la lettre M. et l'éléphant. On assiste ici à l'impression inconsciente dans le cerveau d'une lettre, mais la vue de celle-ci réveille ensuite par association d'idées, le souvenir de la gravure. »

Voici un second exemple relatif aux sensations auditives.

« Une expérience de Desseoir, déjà signalée dans les Proceedings, montre que les sons qui passent inaperçus à l'oreille peuvent être tout le temps conservés précieusement, et d'une façon intelligente, dans la subconscience. M. X... absorbé par la lecture au milieu d'amis qui causent, eut subitement son attention éveillée en entendant prononcer son nom. Il demanda à ses amis ce que l'on avait dit de lui. On ne lui répondit pas; on l'hypnotisa. Dans son sommeil, il put répéter toute la conversation qui avait échappé à son moi éveillé. Encore plus remarquable est le fait signalé par Edmond Gurney, et d'autres observateurs, que le sujet hypnotique peut saisir le chuchotement de son magnétiseur, même lorsque celui-ci est au milieu de personnes qui causent à haute voix. »

Ces expériences nous font comprendre l'origine de certaines visions du songe qui paraissent n'appartenir en rien à notre vie mentale, tandis qu'à notre insu elles en font partie intégrante. Le cas suivant de Maury met ce fait bien en évidence .

« Il m'arriva plusieurs jours de suite de voir dans mes rêves un certain monsieur à cravate blanche, à chapeau à larges bords, d'une physionomie particulière, et ayant dans sa tournure quelque chose d'un américain. Ce personnage m'était absolument inconnu. Je crus longtemps qu'il n'était qu'une pure création de mon imagination.
Cependant, au bout de plusieurs mois, quel ne fut pas mon étonnement de me trouver face à face dans la rue avec mon monsieur! Même forme de chapeau, même cravate blanche, même redingote, même tournure grave et empesée. Je traversais en ce moment les boulevards, et naturellement curieux de découvrir quel pouvait être cet acteur de mes rêves rendu tout à coup à la réalité, je le suivis jusqu'à la rue de Clichy; mais le voyant continuer sa route jusqu'aux Batignolles, et craignant de trop m'écarter de ma direction, je cessai de le suivre et revins au boulevard. Un mois après, je passais encore rue de Clichy; je l'aperçois de nouveau. Or, il est à noter que quelques années auparavant, des occupations régulières me conduisaient, trois fois par semaine, dans cette rue: je ne doutai plus dès ce moment que je l'eusse alors rencontré;  son souvenir m'était resté gravé dans l'esprit à mon insu, et ravivé par une cause qui m'échappait de prime abord, ce souvenir avait fait intervenir dans mes rêves le personnage en question.
Pour achever de m'expliquer son apparition dans les créations de mes nuits, je cherchais à démêler le motif auquel était dû le rappel de vieux souvenirs, et je le découvris sans beaucoup de difficultés. J'avais, plusieurs jours avant de rêver du monsieur, rencontré une dame qui avait longuement causé avec moi du temps où mes occupations de professeur m'amenaient trois fois par semaine rue de Clichy. C'était évidemment cette conversation qui avait provoqué l'intervention dans mes songes de l'inconnu en cravate blanche, et la preuve c'est qu'aux rêves où il figurait, s'étaient mêlées des circonstances se rapportant aux leçons que je donnais dans la rue en question. Cette rue avait à son tour évoqué bien des souvenirs effacés, au nombre desquels était la vue de mon personnage. »

Quelques réflexions sur l'automatisme graphique

Maintenant que nous connaissons l'extraordinaire richesse de la mémoire latente, peuplée par les souvenirs de tout ce que nous avons étudié, vu, entendu, pensé durant notre vie;  que nous savons que l'activité de l'esprit pendant la nuit est conservée; que des impressions sensorielles dont nous n'avons pas eu conscience peuvent se révéler à un moment donné, nous devons être très circonspects avant d'affirmer que le contenu d'un message ne sort pas de la subconscience.
Cependant, nous pourrions nous demander si nous sommes suffisamment autorisés pour admettre sans restrictions que toutes ces mémoires: oniriques, somnambuliques, latentes, qui diffèrent entre elles, puissent servir de sources d'information à l'automatisme, autrement dit, s'il est légitime de penser que tous ces souvenirs s'extériorisent par cette voie. Nous pensons qu'on peut répondre affirmativement, car les personnes familiarisées avec les phénomènes de l'hypnose savent quelles affinités existent entre la mémoire somnambulique et celle du sommeil. N'oublions pas que l’automatisme est produit très souvent pendant un état d'hémi somnambulisme et que l'état psychique de l'écrivain est analogue, pour la mémoire, à celui des sujets endormis.
Or, nous l'avons vu,  M. P. Janet nous a montré que des rêves oubliés pendant l'état de veille peuvent être rappelés pendant le sommeil hypnotique. Le Dr Tissié nous cite un cas semblable. Son sujet, Albert, rêvait qu'il allait partir pour une de ses fugues somnambuliques, un de ses voyages sans but, et hypnotisé, il racontait au médecin ce rêve, qu'à l'état normal     il avait oublié. Réciproquement, des souvenirs de l'état hypnotique peuvent se réveiller dans le sommeil ordinaire. Ainsi le Dr  Voisin avait suggéré à un sujet hypnotisé de poignarder dans un lit voisin un malade (qui en réalité n'était qu'un mannequin). Le sujet obéit, et naturellement ne se rappela rien en se réveillant. Mais trois jours après il retourna à  l'hôpital, se plaignant que dans ses rêves il voyait toujours une femme qui l'accusait de l'avoir poignardée et tuée. Une suggestion nouvelle persuada au sujet que le fantôme était une poupée.
Le professeur Bernheim a montré également comment des souvenirs latents de l'état hypnotique peuvent se réveiller  pendant la vie ordinaire. Voici comment :

« Un jour on prend la photographie d'une de mes somnambules à l'état de veille, puis elle est hypnotisée, et on reprend sa photographie dans diverses attitudes suggérées pendant cet état: colère, frayeur (vue fictive d'un serpent), gaîté (ivresse), dédain (vue d'étudiants en ricanant) extase. « A votre réveil, vous ouvrirez le livre qui est à votre chevet, et vous y trouverez votre photographie. » A son réveil elle prend le livre, l'ouvre, y trouve sa photographie (fictive! Il n'y en avait pas), demande si elle peut la garder et l'envoyer à son fils.
« La trouvez-vous ressemblante? » lui dis-je  –     « Très ressemblante, j'ai l'air un peu triste. » – « Eh bien! Dis-je, tournez la page. » – Elle tourne et reconnaît sa photographie (fictive !) dans l'attitude de la colère. – « Tournez encore. »  Et, en continuant à tourner successivement les pages, elle reconnait ses photographies diverses, avec autant de netteté que si elles existaient réellement, dans ses diverses attitudes de frayeur, de gaîté, de colère, d'extase; elle me décrit avec une précision parfaite chacune de ses attitudes, telle qu'elle la voit, telle qu'elle l'avait prise pendant son sommeil, sans se rappeler aucunement les avoir eues, ni la suggestion correspondant à chacune; elle paraît fort étonnée quand je lui dis qu'on lui avait communiqué ces attitudes pendant le sommeil. Ainsi la mémoire latente des faits accomplis pendant le somnambulisme, a été éveillée par une sorte d'association d'idées  souvenirs. »

Nous pouvons d'autant mieux admettre cette source des souvenirs, que parfois l'automatiste présente des preuves manifestes de son état d'hemi-somnambulisme, telle que l'anesthésie cutanée, par exemple. Nous avons vu  le Dr  Cyriax rester insensible quand sa main frappait violemment la table. Voici un autre cas :

« M. William James surveillait un jour un jeune homme qui présentait à un haut degré le phénomène de l'écriture automatique. Son bras et sa main droite, avant l'expérience, étaient sensibles. Pendant que la main droite traçait des caractères, M. William James vint à piquer fortement cette main, à plusieurs reprises, de manière à provoquer une vive sensation de douleur. Le jeune homme ne sentit rien, ni douleur, ni contact. Il était donc devenu temporairement anesthésique du bras droit, absolument comme les hystériques en état de distraction. »

Cette anesthésie était sentie par la conscience sonmambutique du sujet, car celui-ci écrivit:    « Ne me faites pas de mal! »
Il ne faut pas non plus attacher une très grande importance aux bizarreries de l'écriture, car on trouve quelques observations qui établissant que l'écriture dite « en miroir »,   n'est pas plus un signe caractéristique de l'automatisme que de la médiumnité, puisque l’on peut l'observer dans certains désordres d'origine nerveuse ou les esprits n'ont rien à voir. Rapportons un seul témoignage  emprunté au Dr  Marinesco .

L'écriture en miroir

« L'observation suivante, faite par M. Marinesco, chez un neurasthénique, vient d'être communiquée à l'Académie de médecine.
Le malade était très impressionnable et offrait du tremblement « quand, en l’examinant, dit M. Marinesco, j'ai vu que ses mains tremblaient, j'ai voulu me rendre compte si ce tremblement se manifestait dans son écriture. Je l'ai donc prié d'écrire et mon étonnement fut grand en le voyant écrire spontanément de droite à gauche et en miroir; écriture qui s'est produite non seulement pour le roumain, mais encore pour le français et l'allemand. La même écriture apparaissait, soit que le malade copiat ou qu'il écrivit sous dictée. L'écriture des chiffres était également en miroir. Si on lui disait de tracer des mots sur la terre en se servant du pied gauche, les mots écrits l’étaient inversement, c'est-à-dire en miroir. Nous avons fait une expérience plus curieuse encore. Notre malade étant juif et connaissant l'hébreu, nous l'avons prié d'écrire quelques mots de la main gauche et de droite à gauche, c'est-à-dire dans le sens de l'écriture de cette langue. Or, nous avons constaté que cette écriture n'était pas intervertie; mais si, au contraire, le malade écrit de la même main, mais de gauche à droite, alors l'écriture est en miroir. Il n'y a que pour la copie d'un dessin que l'image n'est pas intervertie. A notre question pourquoi il écrivait de la main gauche et en miroir, il nous a répondu que c'est une tendance irrésistible et que c'est comme cela qu'il voit l'image des lettres. J'ai retrouvé, comme tant d'autres auteurs, du reste, l'écriture en miroir chez d'autres malades atteints d'hémiplégie droite avec ou sans aphasie, dans deux cas de crampe des écrivains, et plus rarement encore chez des personnes saines que j'ai priées d'écrire de la main gauche. Jusqu'à présent je n'ai rencontré personne écrivant d'une manière irrésistible en miroir comme mon malade. Aussi je pense que chez lui, cette écriture en miroir est la conséquence d'une perturbation de la vision mentale, associée à une déviation constante dans la direction des mouvements nécessaires de l'écriture. »

Revenons encore sur ce caractère spécial et si important qui donne à l'automatisme son cachet probant, le fait que le message est presque toujours signé d'un nom auquel convient assez bien le caractère général de l'écrit.
Nous avons constaté que la personnalisation des idées est un phénomène assez commun durant le rêve, mais pendant l'hémi-somnambulisme elle peut se réaliser avec plus de puissance et une vérité saisissante. Alors on assiste à la création  de ces personnalités fictives que l'on peut multiplier à volonté. Étudions donc  à nouveau cet aspect curieux de l'esprit.

Personnalités fictives créées par auto suggestion

Voici de quoi il s'agit, M. le professeur Ch. Richet  possède deux sujets A et B qui acceptent à tel point les suggestions qu'elles s'imaginent être les personnages qu'on leur dit qu'elles sont.

« Endormies et soumises à certaines influences, A.., et B.., oublient qui elles sont; leur âge, leur vêtement, leur sexe, leur situation sociale, leur nationalité, le lieu et l'heure où elles vivent, tout cela a disparu. Il ne reste plus dans l'intelligence qu'une seule image, une seule conscience: c'est la conscience et l'image de l'être nouveau qui apparaît dans leur imagination. Elles ont perdu la notion de leur ancienne existence. Elles vivent, parlent, pensent absolument comme le type qu'on leur a présenté.
Avec quelle prodigieuse intensité de vie se trouvent réalisés ces types, ceux-là seuls qui ont assisté à ces expériences peuvent le savoir. Une description ne saurait en donner qu'une image bien affaiblie et imparfaite. »

Le plus intéressant, c'est que pendant cet état, le sujet figure avec la plus entière vérité un personnage qui a des goûts, des tournures de phrases, des sentiments, des passions qui ne lui sont pas habituels, qu'il serait honteux de montrer dans sa vie ordinaire et que, souvent, il ignore posséder aussi bien. L'éducation nous habitue à réfréner au fond de nous-mêmes les tendances qui ne sont pas en rapport avec notre milieu social; de même nous ne nous servons pas des expressions que nous jugeons triviales ou grossières, mais elles n'en existent pas moins dans notre pensée, accolées au souvenir de certains individus. Les expériences dont nous parlons montrent l'absolue justesse de ces remarques. Voici une femme très respectable, mère de famille, et très religieuse de sentiments, qu'on met dans l'état somnambulique et à laquelle on suggère qu'elle est actrice. Voici ce qu'elle tire d'elle-même.

« Sa figure prend un aspect souriant, au lieu de l'air dur et ennuyé qu'elle avait tout à l'heure (lorsqu'on l'avait transformée en paysanne). « Vous voyez bien ma jupe, eh bien! C'est mon directeur qui l'a fait rallonger. Ils sont assommants, ces directeurs! Moi je trouve que plus la jupe est courte, mieux ça vaut. Il y en a toujours de trop. Simple feuille de vigne. Mon Dieu, c'est assez! Tu trouves aussi, n'est-ce-pas, mon petit, qu'il n'y a pas besoin d'autre chose qu'une feuille de vigne? Regarde donc cette grande bringue de Lucie, a-t-elle des jambes, hein? »
« Dis donc, mon petit! (Elle se met à rire). Tu es bien timide avec les femmes; tu as tort. Viens donc me voir quelquefois. Tu sais, à trois heures, je suis chez moi tous les jours. Viens donc me faire une petite visite et apporte-moi quelque chose. »

L’orsqu'on lui dit qu'elle est général, la scène change instantanément.

« Passez-moi ma longue vue. C'est bien! C'est bien. Où est le commandant du 6ème zouaves? Il y a là des Kroumirs! Je les vois qui montent le ravin.... Commandant, prenez une compagnie et chargez-moi ces gens-là. Qu'on prenne aussi une batterie de campagne... Ils sont bons, ces zouaves! Comme ils grimpent bien... Qu'est-ce que vous me voulez, vous... Comment pas d'ordre? (A part) .
Cest un mauvais officier, celui-là; il ne sait rien faire. – Vous tenez… à gauche. Allez vite. – (A part). Celui-là vaut mieux…. Ce n’est pas encore tout à fait bien (Haut). Voyons, mon cheval, mon épée. (Elle fait le geste de boucler son épée à la ceinture). Avançons. Ah! Je suis blessé! »

On voit que le personnage que la somnambule s'imagine être est composé avec ses remarques personnelles, et il sera d'autant plus ressemblant que le talent d'observation du sujet est plus développé. En donnant la même suggestion à des personnes différentes, on peut juger, par l'exactitude et la fidélité du portrait, du degré intellectuel du sujet. Voici une autre femme B.  à laquelle on dit qu'elle est général, on va voir que sa conception diffère complètement de celle de A.. La première femme du monde, voit le soldat dans son rôle actif, sur le champ de bataille; l'autre, d'une situation sociale moins relevée, se l’imagine plutôt sous une forme brutale,  populaire :

« Elle fait... « Hum, Hum! » à plusieurs reprises, prend un air dur et parle d'un ton saccadé... Allons boire – Garçon, une absinthe!»
« Qu'est-ce que ce Godelureau? Allons, laissez-moi passer. Qu'est-ce-que tu me veux? » (On lui remet un papier qu'elle fait semblant de lire). « Qu'est-ce qui est là? » (Réponse: c’est un homme de la 1ère du 3). – Ah! Bon! Voilà! (Elle griffonne quelque chose d'illisible). Vous remettrez cela au capitaine adjudant-major. Et filez vite. – Eh bien! Et cette absinthe? » (On lui demande s'il est décoré). « Parbleu! » –  (réponse: c'est qu'il a couru des histoires sur votre compte). – « Ah! Quelles histoires? Ah! Mais! Ah! Mais! Sacrebleu! Quelles histoires? Prenez garde de m'échauffer les oreilles. Qu'est-ce qui m'a f….. un clampin comme ça? » (Elle se met dans une violente colère qui se termine par une crise de nerfs).

La même en matelot :

« Elle marche en titubant, comme le matelot qui descend à terre après une longue traversée. « Ah! Te voilà, ma vieille branche! Allons vadrouiller! Je connais un caboulot ou nous serons très bien. Il y là des filles chouettes. »  Nous renonçons, dit M. Richet, à décrire le reste de l'histoire! »

L'identification du somnambule avec la personnalité fictive est si complète, qu'elle oblige le sujet à l'impartialité même lorsqu'il représente un de ses ennemis. En voici un exemple.

« En M. X.,  pâtissier. Cette dernière objectivation était particulièrement intéressante, car, il y a plusieurs années, étant au service de M. X., elle fut brutalisée et frappée par lui, si bien que la justice s'en mêla, je crois. B... s'imagine être ce M. X... sa figure change et prend un air sérieux. Quand les pratiques arrivent, elle les reçoit très bien. « Parfaitement, Monsieur, pour ce soir à 8 heures, vous aurez votre glace. Monsieur  veut-il me donner son nom? Excusez-moi s'il n'y a personne, mais j'ai des employés si négligents. B...! B...! Vous verrez que cette, sotte-là est partie. Et vous, Monsieur, que me voulez-vous? » Réponse: « Je suis un commissaire de police et je viens savoir pourquoi vous avez  frappé votre domestique? »    – « Monsieur, je ne l'ai pas frappée. » (Réponse: Cependant elle se plaint). – Elle prend un air très embarrassé. « Monsieur elle se plaint à tort. Je l'ai peut-être poussée, mais je ne lui ai pas fait de mal. Je vous assure, Monsieur le commissaire de police, qu'elle exagère. Elle a fait un esclandre devant le magasin... » (Elle prend un air de plus en plus embarrassé). « Que cette fille s'en aille. Je vous assure qu'elle exagère. Et puis je ne demande qu'à entrer en arrangement avec elle. Je lui donnerai des dédommagements convenables. » (Réponse: vous avez battu vos enfants). « Monsieur, je n'ai pas des enfants, j'ai un enfant et je ne l'ai pas battu. »
On voit que dans cette objectivation de B..., quoique le personnage qu'elle représentait lui soit très antipathique, elle n'a pas cherché à le représenter ridicule ou odieux. Elle cherchait au contraire à l'excuser, tellement elle était entrée dans son rôle. Son air ennuyé et contraint, ses réponses évasives, mais polies, étaient absolument conformes à ce que peut dire, penser et faire, un individu interrogé par un magistrat et qui est coupable. »

Ces expériences ont été répétées un très grand nombre de fois par des observateurs différents, comme MM. Bernheim , Bourru et Burot , de Rochas , et tous confirment l'exactitude absolue de ces descriptions.
Nous savons combien l'état de crédulité est facile à produire sur des personnes nerveuses et combien l'auto-suggestion a sur elles de puissance. Nous comprenons bien maintenant comment la communication sera la reproduction fidèle, au point de vue du caractère, de l'individu dont l'automatiste se figure ressentir l'influence. Tous les souvenirs, toutes les impressions, tous les sentiments qui se rapportent à ce personnage sont les seuls qui subsistent dans la conscience de l'écrivain, et suivant le degré de développement de sa faculté d'observation, la valeur du message ainsi obtenu pourra être quelquefois très grande ou à peu près nulle si le sujet ne possède aucune donnée pour réaliser la suggestion. Il est évident qu'on ne peut rien tirer d'un automatiste qui n'a jamais possédé les éléments nécessaires pour composer le rôle qu'on veut lui imposer. En voici un exemple extrait de l'ouvrage de          MM. Bourru et Burot .
Le commandant Delarue s'occupait de recherches sur les objectivations de types et voici l'expérience qu'il tenta sur un soldat de son régiment, campagnard dont l'éducation était rudimentaire et qui venait chez lui pour raison de service :

« Fixant mon sujet pendant sept ou huit secondes, je lui dis: vous n'êtes plus professeur d'écriture, mais docteur en médecine. Aussitôt engageant une conversation avec mon sujet, je m'assurai par ses réponses qu'il était convaincu d'être médecin à Rochefort. Je lui dis de m'écrire une ordonnance pour le pharmacien, destinée à un malade fiévreux et dysentérique. Le nouveau docteur, le menton appuyé sur la main, cherchait dans sa mémoire ce que l'on donnait pour ce genre de maladie, et je dus venir à son secours pour le mettre sur la voie du laudanum et du sulfate de quinine. Mon docteur, aussitôt tiré d'embarras, reprit son aplomb et me répondit: « Ah c'est juste, j'en donne journellement à mes malades. » Restait à déterminer la dose, ce qu'il fit d'un ton convaincu, soit: 50 gouttes de laudanum dans un verre d'eau et dix grammes de sulfate de quinine. L'ordonnance fut écrite séance tenante. En la prenant de ses mains, je lus des caractères mal formés et à peine lisibles; et comme je lui en faisais la remarque il répondit sans hésiter: « oh! Nous autres médecins, nous sommes tous comme cela, nous écrivons mal. »

On voit par cette remarque qu'il sera assez facile, en somme, de distinguer un produit de l'écriture automatique d'une communication véritable, au moins dans un certain nombre de cas. Si l'écrit porte des signes évidents d'ignorance sur des questions que l'esprit devrait bien connaître, il n'y a pas de difficulté à reconnaître que le message sort du cerveau de l'écrivain; mais si l'écriture donne de suite des renseignements d'ordre scientifique au dessus des connaissances du médium, il faut voir dans ce cas l'action d'une intelligence étrangère dont nous devrons rechercher l'origine. Dans la troisième partie, nous aurons l'occasion de citer un certain nombre de cas de cette nature.

Exemples d'automatismes graphiques

Maintenant que nous avons quelques notions sur les causes qui peuvent donner à l'écriture mécanique une apparence supranaturelle, nous pouvons mieux juger ces productions, et en nous conformant au précepte qu'il ne faut jamais faire intervenir une cause nouvelle lorsque les causes connues suffisent à l'explication, nous pouvons, sans hésiter, mettre sur le compte de l'automatisme tous les messages qui ne nous révèlent rien autre chose que ce que l'écrivain pourrait produire, en se servant de ce qu'il a pu apprendre actuellement ou dans le passé. Evidemment, nous croyons que personne n'hésitera à trouver ce critérium parfait; mais c'est dans l'application que la difficulté commence.
Nous avons vu déjà que l'automatisme peut se manifester sous la forme d'anagrammes que l'écrivain a du mal à déchiffrer, et il est si étonné de voir ce jeu de son intelligence, qu'il l'attribue à une autre individualité. Cependant il nous arrive dans la vie ordinaire de discuter avec un personnage imaginaire – représentant une personne absente – auquel nous attribuons les réponses ou les objections qu'elle pourrait nous faire. Pendant le rêve, ces sortes de création arrivent à s'objectiver jusqu'à prendre une apparence réelle. Or, c'est précisément lorsqu'il se produit un phénomène analogue par l'écriture automatique, que l'illusion est intense et d'autant plus difficile à dissiper, que ceux qui en sont les victimes ne se rendent pas compte du changement que l'auto-suggestion a produit en eux, et ignorent les faits si nombreux aujourd'hui qui expliquent leur cas.
Nous avons vu la puissance souveraine de l'auto-suggestion, qui est presque toujours inconsciente, et nous pouvons reconstituer l'état d'âme de ces mystiques qui, à toutes les époques, ont cru être en rapport avec la divinité, ou écrire sous l'influence des Anges et des Saints. La tension de l'esprit, l'épuisement physique causé par les privations, l'ardent désir de se rapprocher de Dieu finissait par créer un état psychique tout à fait favorable au développement de la distraction et de l'hémi-somnambulisme. M. Bonnemère  l'historien, en rendant compte d'un ouvrage de M. Stourm sur Antoinette Bourignon, écrit :

« Antoinette Bourignon était une extatique, une somnambule éveillée, ce que l'on appelle aujourd'hui un médium, et je n'en veux pour preuve que la façon dont elle a écrit les vingt deux volumes qui constituent ses oeuvres complètes. Il n'est personne qui, ayant consciencieusement observé ces choses, n'y reconnaisse le caractère de la médiumnité. (Nous disons aujourd'hui de l'automatisme). Voici ce que dans la préface d'un des ouvrages d'Antoinette, dit un homme qui l'avait connue, Jean Conrad Hase :
« C'est une chose admirable de voir la manière dont elle écrit et compose ses livres, sans aucune étude ou spéculation. C'est comme un fleuve qui découle de sa main ou de sa plume, si habilement qu'à peine aucun écrivain ne pourrait la suivre. Je l'ai vue souvent écrire et composer en ma présence des choses que je lui demandais, et à l'instant même que je les lui proposais. Elle m'a souvent dit s'étonner comment je pouvais spéculer pour composer quelques lettres, puisque les spéculations lui servaient  s’empêchement si elle voulait s'en servir ».

Mme Guyon, l'amie de Fénelon, était arrivée, elle aussi, à se croire douée de pouvoirs supérieurs lui donnant une autorité morale absolue sur les autres hommes. C'est Dieu qui l'a élue; c'est sous son influence qu'elle interprète les écritures, dont elle dévoile le véritable sens. Comme toute sa vie a été employée à étudier les enseignements sacrés, que sa pensée n'a pas d'autre aliment, elle finit par se faire une doctrine qui doit être connue du monde, et comme son genre de vie est éminemment propre à surexciter sa sensibilité émotive, à produire cet état particulier où l'automatisme se développe pendant la méditation et l'extase, lorsque la période d'incubation est terminée, ses idées se traduisent mécaniquement par des écrits, qu'elle suppose venir de Dieu lui-même, ou de Jésus-Christ. Voici ce qu'elle dit sur la manière dont elle composait ses livres :

« Dieu me faisait écrire des lettres auxquelles je n'avais guère de part que le mouvement de la main. Et ce fût en ce temps qu'il me fût  donné d'écrire par l'Esprit intérieur et non par mon esprit. » Elle composa de cette manière: le traité complet de la vie intérieure; puis le Commentaire sur l'Écriture sainte « qui lui furent dictés mot à mot et si rapidement, qu'elle n'aurait pu copier en cinq jours qu'elle écrivit en une nuit. »
Son commentaire sur le Cantique des Cantiques fut rédigé en un jour et demi, encore reçut elle des visites; la vitesse fut si prodigieuse que son bras enfla et devint raide. Ayant égaré son Commentaire sur les juges, on le lui dicta une seconde fois: après, ayant retrouvé son premier manuscrit, elle reconnut que l'ancienne et la nouvelle dictée étaient en tout parfaitement conformes entre  elles. »

Mme Guyon a sans doute considéré cette seconde dictée, en tout semblable à la première, comme une preuve de l'indépendance de l'intelligence qui la faisait écrite, mais là encore elle se trompait, car il arrive naturellement que l'on traite deux fois un sujet d'une manière identique, sans s'en douter le moins du monde.

« Je me souviens, dit M. Maury  que j'avais un jour écrit sur un point d'économie politique quelques réflexions destinées à l'impression. Je perdis les pages où j'avais couché mes pensées, et je renonçai forcément à mon projet de les adresser à une revue littéraire. J'avais totalement oublié ce que j'avais écrit, lorsqu'on me sollicita de nouveau de donner l'article promis. Je me remis au travail de composition, et je pensais avoir imaginé une nouvelle manière d'entrer en matière dans mon article.
Deux mois plus tard, je retrouvai par hasard les pages égarées. Grande fut ma surprise, de reconnaître presque mot à mot, et avec les mêmes phrases, ce que j'avais cru depuis avoir récemment inventé. Evidemment, ma mémoire gardait à mon insu souvenance de ma première composition. »

Pourquoi rangeons-nous ces productions parmi celles de l'automatisme? Simplement parce qu'elles ne contiennent aucune preuve intrinsèque de leur provenance extérieure. Le style de ces compositions est parfois très beau. Beaucoup de pensées fines ou brillantes y sont exprimées, mais aucune ne démontre évidemment l'intervention d'une intelligence supraterrestre, et si Madame Guyon à l'état normal n'eût pu écrire ces livres, cela prouve que pendant les périodes d'éréthisme nerveux où la mettait sa croyance d'être en rapport avec Dieu, ses facultés avaient acquis une puissance supérieure à celle de la vie ordinaire. Nous avons cité des exemples de ce phénomène chez les écrivains et les personnes préoccupées par la solution d'une question embarrassante, nous ne serons donc pas surpris de le voir se développer avec intensité chez les mystiques, dont la pensée toute entière est concentrée sur la méditation des Livres Saints.
Il n'est pas douteux que l'exaltation mystique n'amène un état qui est caractérisé par  quelques-uns des symptômes du sommeil magnétique.
M. de Rochas fait ainsi , d’après le Père de Bonniot , la description des accès de trois célèbres extatiques :

« Christine de Stambel fut un jour ravie en extase pendant qu'on chantait devant elle le cantique de Saint Bernard. Son corps était raide et ne donnait plus signe de vie: la respiration même était suspendue. « Elle resta ainsi, dit un témoin oculaire, environ 3 ou 4 heures appuyée contre un banc, le visage et les mains enveloppés dans son voile. Puis elle se mit à soupirer en bâillant, de telle sorte que tout son corps était agité. » Ce n'est qu'au bout d'une heure que Christine retrouva la respiration normale, puis la parole, dont elle ne se servit que pour exprimer l'amour de Dieu qui remplissait son coeur. L'extase de Christine se renouvela, et toujours avec la circonstance de la raideur du corps. Elle ne tombait pas à terre, elle restait à genoux.
Sainte Catherine de Sienne, lorsqu'elle était en extase, avait les membres contractés, ses doigts s'entrelaçaient aux objets qu'elle avait d'abord pris entre les mains; ses bras et son cou avaient la rigidité du cadavre; ses yeux étaient fermés. Après l'extase, elle était longtemps comme assoupie.
Saint Joseph de Cupertino, quand il était saisi par une effusion de l'amour divin, poussait un cri et tombait à genoux, les bras étendus en croix, les yeux élevés au ciel, de sorte cependant que ses yeux étaient cachés par la paupière supérieure, ses membres étaient raides et aucun souffle ne sortait de sa bouche. »

L'abbé Fournier, qui vivait au commencement du XVIIIe siècle, nous offre encore un bon exemple de cet entraînement intellectuel qui aboutit à l'automatisme. D'abord matérialiste, il fut converti par Martinez de Pasqualis, mais la lutte qu'il eut à supporter contre lui-même fut terrible, et le plongea dans un trouble extraordinaire. En parlant de ses doutes sur la  vie future il écrivit dans la première partie de son traité sur Dieu et les Anges  :

« Cette incertitude me brûlait si fort en dedans que, nuit et jour, je criais vers Dieu, pour que, s'il existait réellement, il vint me secourir. Mais plus je me réclamais à Dieu, plus je me trouvais  enfermé dans l'abîme et je n'entendais pour toute réponse intérieure que ces idées désolantes: il n'y a pas de Dieu; il n'y a pas d'autre vie; il n'y a que le néant. Ne me trouvant entouré que de ces idées qui me brûlaient de plus en plus fort, je criais encore plus ardemment vers Dieu et sans discontinuer, ne dormant presque plus, et lisant les Ecritures avec une grande attention, sans jamais esayer  de les comprendre par moi-même. »
On voit à quel trouble mental cette âme inquiète était en proie. Cet état dura cinq ans, entremêlé de visions, et même d'hallucinations. Enfin il vit Jésus-Christ, la Vierge Marie « et d'autres personnes». Après quoi, dit-il, Dieu m'accorda la grâce d'écrire avec une vitesse extraordinaire le traité dont on vient de lire la première partie. Conséquemment, je l'écrivis plusieurs années avant qu'on sût en France qu'il y avait un Swedemborg dans le monde, et que l'on y connût I'existence du magnétisme. »

De nos jours, le spiritisme devait offrir un excellent prétexte à ceux qui ont des dispositions au mysticisme, et, en démontrant la possibilité d'entrer en rapport avec les intelligences désincarnées, il a pu illusionner beaucoup d'âmes sincères, mais peu au courant des découvertes de la science contemporaine. C'est parce que nous sommes certains des rapports entre le monde spirituel et le nôtre, qu'il faut soigneusement distinguer dans les productions des écrivains, celles qui émanent de l'au-delà de celles qui sont produites par l'animisme. Si notre connaissance des conditions de la vie future repose tout entière sur la médiumnité, il est indispensable que celle-ci soit étudiée rigoureusement, scientifiquement, et que l'on n'hésite pas à repousser absolument toute communication qui ne porte pas la démonstration de sa provenance supra-terrestre. C'est faute d'avoir suivi cette sage méthode que nous avons été envahis par un débordement de soi-disant révélations sur le lendemain de la mort, qui ne sont trop souvent que le produit des idées personnelles des écrivains. Chacun, évidemment, a le droit d'exposer au public ce qu'il croit être la vérité, mais il est urgent que celui-ci sache que
le Spiritisme n'est pas responsable de ces fantaisies, tant que l'authenticité et l'identité du communicateur n'est pas établie avec un luxe de preuves qui défie toute contradiction.
Il nous faut donc faire usage d'une sévère critique envers toutes les productions qu'on nous donnera comme venant des Esprits, et rejeter impitoyablement celles qui ne porteront pas ce cachet de certitude qui doit être notre criterium. C'est à déterminer les caractères de cette certitude que nous nous attachons dans cet ouvrage, et nous voyons déjà qu'il ne faut pas admettre comme arrivant de l'autre monde, les dictées qui ne font preuve d'aucune connaissance autre que celles possédées par l'écrivain.
Sans doute, on pourra dire qu'un esprit qui se manifeste n'a pas toujours l'occasion de révéler des choses nouvelles; et qu'il a pu donner antérieurement, des preuves de son existence et qu'il ne doit pas être soumis chaque fois à cette enquête. Nous répondrons qu'il existe des moyens de s'assurer si c'est l’âme dont on a vérifié l'identité qui se communique, soit par son écriture, soit par son style, comme nous le verrons plus loin; mais, en thèse générale et comme règle de conduite, une signature d'esprit n'est valable qu'autant qu'elle est appuyée par des preuves directes, établissant son authenticité. Nous ne voulons pas donner la liste des ouvrages médianimiques qui nous paraissent entachés d'erreurs quant à leur provenance; mais nous croyons que si l'on pouvait connaître les milieux dans lesquels ils ont été obtenus, et l'état physiologique des écrivains pendant la manifestation, on découvrirait facilement les causes physiques et morales propres à faire naître l'automatisme, c'est-à-dire une grande impressionnabilité nerveuse de l'écrivain, une imagination vive, fouettée par des émotions fortes favorisant l'auto-suggestion. Un seul exemple suffira à préciser notre pensée.
En 1885, on a édité une Vie de Jésus dictée par lui-même, qui nous parait un pur produit de l'imagination du pseudo-médium. En effet, rien dans ce travail ne dénote l'intervention du grand esprit dont il porte le nom. La préface contient quelques notes fournies par l'écrivain lui-même; elles sont caractéristiques de son état et montrent sa bonne foi, qui d'ailleurs n'est pas en question . Nous soulignons les passages dans lesquels on reconnaît l'état nerveux du sujet, et les sources où il a puisé les matériaux qui lui ont servi à composer  subconsciemment son  ouvrage.

« Dans une grande et immense douleur, je m'oubliai jusqu'au blasphème. Je venais de perdre une adorable enfant de six ans. Durant les sept années qui précédèrent ce malheur, la mort m'avait déjà separé de cinq êtres bien aimés, j'étais à bout de force et me condamnais à la solitude la plus complète. Un peu plus tard, une personne que je consentis à recevoir, me parla de la possibilité de s'entretenir avec les êtres invisibles au moyen d'objets légers qui répondaient par des oui ou par des non à toutes les questions posées. Je m'empressai d'essayer l'expérience; le succès faillit me faire délirer, et des larmes inondèrent mon visage. J'eus presque immédiatement le nom de mon initiateur: TIPHIS; en même temps me vint par intuition la pensée que ce nom était fantaisiste, car si l'Etre spirituel qui me parlait, avait vécu plusieurs fois matériellement, son nom, c'est-à-dire ses divers noms, étaient inutiles peut-être même plus qu'inutiles.
L'écriture mécanique succéda bientôt aux alphabets de convention, puis enfin se réalisa bientôt la conversation intime par pur entendement. Les phrases commençaient mécaniquement et s'achevaient immédiatement dans mon esprit et j'écrivais comme sous l'influence d'une transmission électrique. Ma médiumnité exige un silence extérieur absolu, un grand recueillement d'âme et, pour ansi dire, l'annihilation complète de mon esprit. Si j'éprouve un dérangement matériel quelconque ou bien si j'ai, pour si peu que ce soit, mon esprit préoccupé, la manifestation devient impossible. En un mot, pour que la transmission d'En-Haut puisse avoir lieu, il faut que mon esprit adore  et ne pense pas, il faut que le respect seul règne en moi, sans distraction d'aucun genre.
Pour ce qui est de cette Vie de Jésus, voici comment elle me fut dictée :
J'avais parcouru plusieurs auteurs de la Vie de Jésus; ces lectures faites, je demeurai dans la conviction que le meilleur de ces essais représentait un roman plus fructueux matériellement pour l'inventeur que pour l'intelligence et l'instruction des lecteurs. Le désir d'en savoir davantage me tourmentait sans cesse, si bien que je hasardai un question à mon guide toujours si fidèle et si dévoué. Tiphis me répondit: « si tu veux connaitre la vérité, demande-la à Jésus lui-même, il te la dira ».

On se rend compte, par les circonstances du récit, comment l'auto-suggestion a pu naître et se développer chez cette dame. Elle a vu successivement disparaître toutes ses affections, et sa douleur est telle, qu'elle se condamne à la solitude la plus complète. Sa sensibilité presque maladive est encore exaltée par cette réclusion, par la concentration de sa pensée sur ses chagrins; aussi lorsqu'elle entrevoit la possibilité d'entrer en rapport avec ceux qu'elle regrette si amèrement, sa joie est sans borne, et, suivant son expression propre, son émotion est si vive qu'elle la fait presque délirer.
On conçoit qu'une nature aussi impressionnable soit éminemment propre à se suggestionner et que l'écriture automatique reflétera fidèlement ses préoccupations. La vie de Jésus est d'un intérêt captivant au point de vue historique; la douce figure du prophète Hébreu attire invinciblement les coeurs meurtris; cette dame lit donc plusieurs auteurs qui l'ont étudiée, de sorte que sa mémoire est abondamment fournie de matériaux se rapportant au grand réformateur. Mais aucun d'eux ne la satisfait. Toutes les objections que ses lectures lui ont suggérées prennent insensiblement une forme définie, et comme elle est automatiste, elle finit par écrite mécaniquement une Vie de Jésus où se reflètent ses pensées, ses croyances, ses suppositions, ses méditations pendant la veille ou le sommeil, de sorte que comme tout ce travail mental lui est demeuré inconnu, elle s'imagine de bonne foi avoir été inspirée par Jésus lui-même.
La condition essentielle pour que l'écriture se produise, c'est qu'elle laisse toute liberté à l'activité subconsciente de son esprit, au courant de pensée qui existe dans sa conscience somnambulique, car si elle est préoccupée, ou si un événement extérieur vient détruire l'état nerveux indispensable à la production de l'automatisme, le phénomène s'arrête. Cette condition du silence et du recueillement est assez générale chez les automatistes, car tous les écrivains n'arrivent pas au degré parfait où la pensée latente dirige la main sans être entravée par les sensations plus vives provenant du monde extérieur. Indépendenunent de tous les caractères physiques de l'automatisme que nous trouvons réunis dans ce cas, ce qui nous confirme dans la croyance que cette vie de Jésus n'a pu être dictée par lui, c'est que les idées exprimées et le style sont d'une faiblesse insigne, peu en rapport avec la haute élévation intellectuelle et morale du génial réformateur.
On peut se demander ici comment la conscience finit par s'illusionner jusqu'à accepter comme réel un personnage créé par son imagination. Mais lorsqu'on voit combien un sujet en état de charme accepte facilement les suggestions les plus ridicules, telles que d'être un oiseau, un chien, d'avoir une tête bois etc , on comprend que l'auto-suggestion puisse facilement arriver à persuader l'automatiste qu'il est en rapport avec un personnage célèbre, avec celui qui occupe toutes ses pensées. Il n'est même pas indispensable que l'être imaginaire soit un génie, il peut être remplacé dans l'imagination de l'automatiste par toute personne a laquelle il s'intéresse fortement.
Voici deux exemples de ce phénomène curieux que nous empruntons à M. Flournoy. Bien que nous soyons fort loin de partager toutes ses idées, nous devons cependant reconnaître qu'il a montré avec beaucoup de force comment peut se créer chez un automatiste, la suggestion d'une personnalité extérieure à l'écrivain. Malgré sa longueur, nous reproduisons l'article qu'il a publié dans la Revue Philosophique et que les Annales psychiques de juillet-août 1899, ont réédité. Cette étude synthétise d'une manière concrète, par des exemples, toutes les notions que nous avons acquises sur l'automatisme, la mémoire latente, la personnalisation des écrits, etc.

Genèse de quelques prétendus messages Spiritiques
par Th. FOURNOY

« Le grand obstacle auquel on se heurte quand on cherche à retracer la genèse purement psychologique d'une communication médiumnique, se trouve dans l'ignorance où l'on est généralement de ce que renfermaient la conscience et la subconscience du sujet au moment du message, et dans la difficulté d'éliminer la participation de causes occultes toujours possible par hypothèse. Il s'agirait, en effet, pour être complet, de montrer d'abord que le contenu du message a pu venir du médium, et ensuite qu'il n'a pas pu venir d'ailleurs. Le premier point suppose une connaissance de l'individualité du médium et des menus détails de sa vie psychique qu'on est loin de posséder dans la plupart des cas; il faut un concours de circonstances exceptionnelles, quelque heureux hasard, pour que dans les renseignements très fragmentaires qu'on peut avoir sur son passé, son caractère, son stock d'idées et de préoccupations, sur tout son être enfin, se rencontrent précisément les éléments nécessaires à une explication satisfaisante du message qu'il a fourni.
Quand au second point, il est impossible d'y satisfaire directement et en toute rigueur: on ne peut entreprendre une enquête dans l'autre monde pour établir, par voie d'exclusion, qu'aucun de ses habitants n'a prêté la main à la confection du message.
Cependant, en bonne logique, si l'on arrive à faire voir que le message implique un auteur ne différant en rien du médium lui-même, il n'y a plus aucune raison de remonter au-delà. Attribuer par exemple à un « esprit trompeur », comme le font volontiers les spirites, les communications mensongères qui s'expliquent du reste par les dispositions psychiques du sujet, c'est pécher contre le principe méthodique, qu'il ne faut pas multiplier les causes sans nécessité. Pour peu donc que l'on trouve dans le médium la raison suffisante d'un message, on n'est pas autorisé à invoquer par-dessus le marché, ne fût-ce qu'a titre d'hypothèse, un autre agent, différant du médium et faisant double emploi avec lui. On ne saurait, cela va sans dire, empêcher les spirites emballés de chercher dans l'au-delà le prétendu auteur d'une communication dont la personne du médium rend déjà compte d'une façon adéquate; mais en commettant de parti pris cette faute de méthode, ils abandonnent eux-mêmes le terrain de la discussion scientifique, sur lequel ils affichent si hautement la prétention de se maintenir rigoureusement.
On comprend que les conditions que je viens d'indiquer ne se trouvent, par la force des choses, qu'assez rarement réalisées. Aussi les exemples vraiment typiques et démonstratifs de l'origine  purement  intramédiumnique d'un message spirite ne sont-ils pas nombreux dans la littérature . C'est ce qui peut donner quelque intérêt aux deux cas suivants, où les renseignements obtenus sur le médium rendent la genèse des communications suffisamment claire et transparente pour qu'on ne puisse songer à faire intervenir d'autres agents dans leur formation.

Observation I

Mme Z..., à Genève, 63 ans. Très instruite et cultivée, goûts littéraires, préoccupations philosophiques et religieuses. Bien portante, aucun phénomène anormal en dehors de la crise spirite dont il va être question. Il y a dans sa famille quelques indices d'une tendance héréditaire à la médiumnité: un de ses frères et son père ont eu des rêves prophétiques, et son fils a cultivé avec succès l'écriture automatique.
En 1881, soit à l'âge de 45 ans (3 ans avant sa ménopause), elle eut l'occasion de s'occuper du spiritisme. Elle lut Allan Kardec, Gibier, etc., et prit part pendant un mois à des séances de table sans grands résultats. Elle essaye alors de l'écriture automatique, et au bout de huit jours, (21 avril) obtient les noms de parents et amis défunts, avec des messages philosophico-religieux qui continuent les jours suivants. Le 24 avril, comme elle avait déjà écrit diverses communications, son crayon trace soudain le nom tout fait inattendu d'un M. R..., jeune Français de sa connaissance récemment entré dans un ordre religieux d'Italie. Comme elle ignorait qu'il fût mort, elle eut une profonde surprise, mais sa main continuant à écrire lui confirma la triste nouvelle par les détails circonstanciés suivants :
« Je suis R..., je suis mort hier à 11 heures du soir, c'était le 23 avril. Il faut croire ce que je vous dis. Je suis heureux, j'ai fini mes épreuves. J'ai été malade quelques jours et je ne pouvais écrire. J'ai eu une fluxion de poitrine causée par le froid qui est survenu tout à coup. Je suis mort sans souffrances et j'ai bien pensé à vous. J'ai fait mes recommandations pour vos lettres. C'est à X..., que je suis mort, loin de dom B***. C'est votre père qui m'a amené vers, vous, j'ignorais qu'on pût communiquer ainsi, j'en suis bien heureux. Je me suis senti près de ma fin, et j'ai appelé auprès de moi le directeur de l'Oratoire;  je lui ai remis vos lettres en le priant de vous les renvoyer, il le fera. Après, j'ai communié et demandé à voir mes collègues, je leur ai fait mes adieux. J'étais paisible, je ne souffrais pas, mais la vie se retirait de moi. Le passage de la mort a ressemblé au sommeil. Je me suis réveillé près de Dieu, auprès de parents et d'amis. C'était beau, éclatant; j'étais heureux et délivré. J'ai pensé tout de suite à ceux qui m'aiment et j'aurais voulu leur parler, mais je ne peux communiquer qu'avec vous. Je reste avec vous et je vous vois mais je ne regarde que votre esprit. Je suis dans l'espace, je vois vos parents et je les aime aussi. Adieu, je vais prier pour vous... je ne suis plus catholique, je suis chrétien. »
Après le premier étonnement, Mme Z... ne put s'empêcher d'ajouter foi à ce message et d'y voir une preuve décisive du spiritisme, surtout lorsque les jours suivants, elle continua à recevoir des communications de M. R.., faisant de nombreuses allusions à leurs relations passées, etc. Ces entretiens médiumniques quotidiens durèrent près d'une semaine; mais le 30 avril, l'arrivée par la poste d'une lettre de M. R.., qui loin d’être mort, se trouvait en parfaite santé, vint jeter le trouble qu'on peut penser dans les convictions spirites toutes fraîches de Mme Z... et la découragea de poursuivre des expériences aussi décevantes. Depuis dix-sept ans, tout en continuant à s'intéresser de loin au spiritisme et souhaitant de voir un jour cette doctrine établie sans conteste, elle s'est tenue à l'écart de toute pratique médiumnique et n'a jamais repris ses essais d'écriture.
La phase spirite de Mme Z... ne constitue en somme qu'une bouffée passagère, de quelques jours, au milieu d'une existence d'ailleurs parfaitement normale. Comme exemple de médiumnité épisodique, qui se serait vraisemblablement continuée en médiumnité permanente, si cette désillusion inattendue n'y eût coupé court ou si le contenu des messages fût resté dans la sphère invérifiable des idées morales et spéculatives, ce cas est vraiment typique et peut servir de représentant pour beaucoup d'autres. Mais son intérêt principal réside dans le fait que les prétendues communications de M. R... s'expliquent pour ainsi dire jusque dans leurs moindres détails, grâce aux renseignements que Mme Z.., en femme intelligente et observatrice qu'elle est, à bien voulu me fournir.
C'est pendant un séjour au Midi, le printemps précédent, qu'elle avait fait la connaissance de M.R…, non encore prêtre, lequel revenant d'Italie où il avait passé l’hiver pour sa santé délicate, s'était arrêté quelques jours dans le même hôtel qu'elle. Leurs relations de table d'hôte n'avaient pas tardé à se changer en une véritable intimité, fondée sur de grandes analogies de tempérament. Bien que Mme Z.., Genevoise, fût protestante et républicaine convaincue, tandis que lui, du nord de la France, était légitimiste et catholique ardent, ils avaient les mêmes aspirations idéales, le même souci des choses sérieuses.
Leurs divergences héréditaires ne firent que fournir des aliments et donner plus d'attrait et de piquant à leurs conversations. Mme Z... se sentit peu à peu prise de sollicitude religieuse et d'une tendresse toute maternelle à l'endroit de ce jeune homme d'une vingtaine d'années, que son éducation semblait destiner au monde, mais qu'une rare élévation d'âme et des tendances mystiques poussaient vers les Ordres, à la suite de l'influence récemment exercée sur lui par un éminent prédicateur italien, le Pére dom B***, et elle entreprit d'éclairer par la discussion une conception de la vie et des devoirs religieux, si éloignée de la sienne. Lui, de son côté, touché de cette amitié d'une femme qui aurait pu être sa mère, y répondit par une entière confiance, non sans tenter à son tour de l'amener à ses propres convictions. Lorsque au bout de quelques jours il fallut se quitter, leurs entretiens continuèrent par correspondance, mais les essais de prosélytisme réciproque qui en faisaient le fond avec les épanchements d'affection restèrent inefficaces des deux parts. Quelques mois plus tard, l'influence de dom B*** l'emporta définitivement sur celle de Mme M..., et M. R.... s'engagea dans une maison religieuse des environs de Turin, sous la direction de ce Père. Mme Z... s'en consola en songeant à l'église invisible qui réunit toutes les âmes sincèrement chrétiennes par-dessus les barrières confessionnelles et les différences dogmatiques. La démarche de M. R... ne porta pas de préjudice immédiat à l'intimité de leur commerce épistolaire, et c'était lui qui devait une lettre à son amie lors de l'accès spirite de celle-ci.
Ces détails étaient nécessaires pour faire entrevoir la place qu'avait prise M. R. dans les préoccupations sentimentales et intellectuelles de Mme Z... Il y aurait beaucoup à ajouter, d'après les fines remarques de Mme Z... elle-même, sur la vraie nature de cette amitié spirituelle; on sait combien sont souvent complexes et variés les éléments dont est fait le lien mystique qui unit les âmes les plus pures. Mais il n'importe ici: l'essentiel est de comprendre que, bien que la sollicitude de Mme Z... pour son jeune ami n'eût plus, au moment de sa crise spirite toute l'acuité de l'année précédente, et qu'elle ne pensât nullement à lui (consciemment) lors de ses essais d'écriture automatique, elle n'en conservait pas moins de M. R.., dans les profondeurs de sa personnalité, un souvenir latent affecté d'un puissant coefficient émotionnel et tout prêt à se réveiller à la moindre occasion.
Qu'on se représente maintenant la situation de Mme Z. à l'époque dont il s'agit. Voici plusieurs semaines qu'elle est tout entière plongée dans la méditation du spiritisme, et que les puissances de son être sont tendues vers l'obtention de preuves convaincantes venant de l'au-delà. Depuis trois jours déjà elle reçoit des messages de ses parents désincarnés; quoi de plus naturel  que cette réussite ait éveillé en elle le désir et l'attente de voir s'augmenter le nombre et la variété de ses correspondants invisibles? D'autre part, les circonstances extérieures, un brusque refroidissement de la température, d'autant plus sensible qu'il succède à la première éclosion du printemps , ont dû lui donner des appréhensions pour les personnes de sa connaissance dont la santé peut avoir à redouter ces dangereux retours d'hiver. Or, n'est-ce pas tout particulièrement le cas pour ce religieux qu'elle a connu délicat de la poitrine, et dont elle attend depuis quelque temps une lettre qui ne vient pas? Lui serait-il peut-être arrivé malheur ?
Il est clair que l'idée de la mort possible de M. R.., avec ses circonstances concomitantes et ses conséquences, a dû tout le moins effleurer la pensée de Mme Z..,  surtout étant donné ses sentiments pour lui; car à quelle mère inquiète de son enfant absent, à quel directeur soucieux de l'avenir éternel d'une âme qui lui est chère, la folle du logis n'a-t-elle pas présenté maintes fois le tableau tragique ou solennel du dernier moment de l'être aimé? Et si l'on cherche l'essaim de souvenirs, de raisonnements, de craintes et de suppositions auquel une telle pensée devait donner le vol dans l'imagination de Mme Z.., ne retombe-t-on pas inévitablement sur les soi-disant messages de M. R... ?
Il n'y a guère que la date et l'heure prétendues de son décès qui subsistent inexpliquées et en apparence arbitraire, comme le sont tant de choses dans nos rêves ou les caprices de notre pensée, faute de pouvoir démêler jusque dans ses moindres fils la trame enchevêtrée de nos associations d'idées. Mais, sauf ces insignifiants détails, tout le contenu des communications de M. R... découle avec une sorte de nécessité logique de l'idée que son amie se faisait de lui ou constitue comme une réponse naturelle aux préoccupations qui la hantaient. Ce refroidissement, dont la prompte gravité explique qu'il n'ait pas eu le temps d'écrire à Mme Z...; ses adieux à la vie terrestre, dignes du croyant sincère qu'elle avait connu; le soin qu'il a pris que la correspondance de son hérétique amie (un peu bien ridicule et compromettante pour elle, au double point de vue de la note sentimentale et de ses inutiles controverses contre l'influence de dom B***) lui fût retournée sans retard et sans passer sous les yeux de dom B***; son passage, son réveil et son état dans l'autre monde, décrits d'une façon absolument conforme au syncrétisme d'idées spiritochrétiennes qui régnait alors dans les conceptions religieuses de Mme Z...; le souvenir de ses relations terrestres avec elle et sa façon de les juger maintenant, en plein accord avec les sentiments qu'elle lui avaient prêtés à tort ou à raison; tout en un mot, dans cette série de messages, reflète les propres dispositions conscientes ou non de Mme Z..., et correspond exactement à ce qui ne pouvait manquer de se passer en elle. Elle seule, en d'autres termes, – et non point M. R..., même fût-il en effet  mort à ce moment-là, peut être considérée comme la véritable source de ces communications.
On objecte, il est vrai, l'hypothèse des esprits mensongers, cet ingénieux expédient qui permet au spiritisme d'exploiter à son profit jusqu'aux communications formellement démenties par les faits. Dans le cas particulier, Mme Z... a longtemps pensé (et y incline encore in petto, je crois), que c'était vraiment quelque farceur de l'au-delà qui lui avait joué la plaisanterie macabre de se faire passer pour M. R... défunt. Dans un sens, et en prenant le terme d'au-delà comme marquant ce qui dépasse la claire conscience, elle a raison et fut évidemment victime d'un vilain tour dont elle ne se sent pas responsable. Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce qu'on donne le nom d'« esprit » au principe inconnu, ou à la loi de synthèse, qui, à un moment de la durée, réunit dans l'unité logique, esthétique, psychologique d'une phrase, d'un tableau, d'un tout représentatif quelconque, une pluralité de données psychiques, idées, souvenirs, sentiments, etc. Le message de M. R..., retraçant en une petite composition, qui ne manque pas d'un certain cachet, les derniers moments de sa vie d'ici-bas, son passage à l'autre monde et ses premières impressions dans sa nouvelle existence, suppose incontestablement un « esprit » comme auteur. A plus forte raison encore la série de communications de la même origine prétendue, qui se sont succédé pendant plusieurs jours sous le crayon de Mme Z... et portent toutes l'empreinte de la même personnalité. La question est seulement de savoir si le principe de cette systématisation prolongée et croissante doit être cherché dans un esprit réellement indépendant et différent de Mme Z... elle-même, comme le prétend le spiritisme et comme elle penche à l'admettre, – ou si au contraire il ne fait qu'un avec elle, en sorte  que la personnalité qui se manifeste dans ces messages se réduirait à une fonction temporaire, un acte, une projection ou création momentanée de son être individuel, au même titre que  les personnages que nous voyons et qui nous parlent en rêve sont un produit de nous-mêmes  –.
La réponse n'est pas douteuse. Si l'on admet que l'auteur des pseudo-messages de M. R... soit un autre que Mme Z..., il faut convenir que cet esprit indépendant était merveilleusement au courant de tout ce que Mme Z... renfermait à ce moment-là dans son for intérieur, conscient ou subliminal, en fait de souvenirs, de préoccupations, de sentiments et tendances, concernant M. R... Il a su choisir, pour en composer ses messages apocryphes, précisément ce qui pouvait le mieux cadrer avec les idées qu'elle se faisait de son jeune ami, l'impression qu'elle avait conservée de lui, le contenu de la correspondance échangée entre eux, etc. Cet habile faussaire, en d'autres termes, a dégagé de Mme Z.... pour s’en affubler, la notion complexe et systématique qu'elle possédait à cette époque de M. R..., et il n'y a rien ajouté qu'elle n'y eut tout naturellement ajouté elle-même par le jeu spontané de ses facultés d'imagination et de raisonnement. Il n'a fait que reproduire, comme un miroir fidèle, l'image de M. R... telle qu'elle flottait dans sa pensée, que traduire sur le papier, en secrétaire obéissant, ce que les rêves de sa fantaisie, les désirs ou les craintes de son cœur, les scrupules de sa conscience, lui murmuraient tout bas au sujet de son ami absent. Mais en quoi donc alors, cet esprit complaisant diffère-t-il de Mme Z... elle-même? Que signifie cette individualité indépendante qui ne serait qu'un écho, un reflet, un fragment d'une autre, et à quoi  bon ce duplicatum de la réalité? N'est-ce pas puéril et absurde d'inventer, pour expliquer une synthèse et une coordination psychologique, un autre principe réel de synthèse et de coordination, un autre individu ou esprit, en un mot, que celui-là même qui contient déjà tous les éléments à grouper, et conformément à la nature duquel le groupement  s'effectue? Sans doute, au point de vue métaphysique, le dernier fond de l'individu organique et psychique reste un mystère;  nous ne pouvons comprendre absolument ni pourquoi ni comment il opère telle synthèse ou telle analyse, se désagrège en apparence et se reconstitue, s'offre le spectacle de ses rêves pendant la nuit ou se donne la comédie des « esprits trompeurs » quand il veut jouer au médium. Mais bien que les ultimes raisons des choses nous échappent, cela n'empêche pas qu'au point de vue terre à terre de l'observation et de l'expérience, nous devons nous en tenir à ce que nous pouvons atteindre, et que tout ce qui s'explique (dans le sens empirique et phénoménal du mot) par un individu donné, M. un tel ou Mme Z..., par son passé, ses circonstances présentes, ses facultés connues, doit lui être attribué et ne saurait être mis gratuitement au compte d'un autre être, inconnu.

Observation II

M. Michel Til, 48 ans, professeur de comptabilité dans divers établissements d'instruction. Tempérament sanguin, excellente santé. Caractère expansif et plein de bonhomie. Il y a quelques mois, sous l'influence d'amis spirites, il s'essaye à l'écriture automatique, un vendredi, et obtient des spirales, des majuscules, enfin des phrases de lettres bâtardes, très différentes de son écriture ordinaire et agrémentées d'ornements tout à fait étrangers à ses habitudes. Il continue avec succès le samedi et le dimanche matin. Ayant encore recommencé le dimanche soir, sur la sollicitation de sa famille, l'esprit écrivant par sa main donne beaucoup de réponses imprévues et fort drôles aux questions posées, mais le résultat en fut une nuit troublée par un développement inattendu de l'automatisme verbal, sous forme auditive et graphomotrice, comme en témoigne son récit :
« Les impressions si fortes pour moi de cette soirée prirent bientôt le caractère d'une obsession inquiétante. Lorsque je me couchai, je fis les plus grands efforts pour m'endormir, mais en vain; j'entendais une voix intérieure qui me parlait, me faisant les plus belles protestations d'amitié, me flattant et me faisant entrevoir des destinées magnifiques, etc. Dans l'état de surexcitation où j'étais, je me laissai bercer de ces douces illusions... L’idée me vint qu'il suffirait de placer mon doigt sur le mur pour qu'il remplit l'office d'un crayon; effectivement, mon doigt placé contre le mur commença à tracer dans l'ombre des phrases, des réponses, des exhortations que je lisais en suivant les contours que mon doigt exécutait contre le mur. Michel, me faisait écrire l'esprit, tes destinées sont bénies, je serai ton guide et ton soutien, etc. Toujours cette écriture bâtarde avec enroulements qui affectaient les formes les plus bizarres. Vingt .fois je voulus m'endormir, inutile... ce n'est que vers le matin que je réussis à prendre quelques instants de repos. »
Cette obsession le poursuit pendant la matinée du lundi en allant à ses diverses leçons: « Sur tout le parcours du tramway, l'esprit continuant à m'obséder me faisant écrire sur ma serviette, sur la banquette du tram, dans la poche même de mon pardessus, des phrases, des conseils, des maximes, etc. Je faisais de vrais efforts pour que les personnes qui m'entouraient ne pussent s'apercevoir du trouble dans lequel j'étais, car je ne vivais plus pour ainsi dire pour le monde réel, et j'étais complètement absorbé dans l'intimité de la Force qui s'était emparée de moi. »
Une personne spirite de sa connaissance, qu'il rencontra et mit au courant de son état, l'engagea à lutter contre l'esprit léger et mauvais dont il était le jouet. Mais il n'eut pas la sagesse de suivre ce conseil;  aussitôt terminé son repas de midi, il reprit le crayon, qui, après diverses insinuations vagues contre son fils Edouard, employé dans un bureau d'affaires, finit par catégoriser l'accusation suivante: Edouard a pris des cigarettes dans la boîte de son patron M. X..., celui-ci s'en est aperçu, et dans son ressentiment lui a adressé une lettre de remerciement, en l'avertissant qu'il serait remplacé très prochainement; mais déjà Edouard et son ami B... l'ont arrangé de la belle façon dans une vermineuse (sic) épître orale.
On conçoit dans quelle angoisse M. Til a donné ses leçons de l'après-midi, pendant lesquelles il fut de nouveau en butte à divers automatismes graphomoteurs qui, entre autres, lui ordonnaient d'aller voir au plus vite le patron de son fils. Il y courut dès qu'il fut libre. Le chef de bureau, auquel il s’adressa tout d'abord en l'absence du patron, ne lui donna que de bons renseignements sur le jeune homme, mais l'obsession accusatrice ne se tint pas pour battue, car tandis qu'il écoutait avec attention ces témoignages favorables, « mon doigt, dit-il, appuyé sur la table se mit à tracer avec tous les enroulements habituels et qui me paraissaient en ce moment ne devoir jamais finir: je suis navré de la duplicité de cet homme. Enfin cette terrible phrase est achevée; j'avoue que je ne savais plus que croire; me trompait-on? Ce chef de bureau avait un air bien franc, et quel intérêt aurait-il eu à me cacher la vérité? Il y avait là un mystère qu'il me fallait absolument éclaircir... »
Le patron, M. X..., rentra heureusement sur ces entrefaites, et il ne fallut pas moins que sa parole décisive pour rassurer le pauvre père et amener le malin esprit à récipiscence: « M. X... me reçut très cordialement et me confirma en tous points les renseignements donnés par !e chef de bureau, il y ajouta même quelques paroles des plus aimables à l'égard de mon fils… Pendant qu'il parlait, ma main sollicitée écrivait sur le bureau, toujours avec cette même lenteur exigée par les enroulements qui accompagnaient les lettres: je t'ai trompé, Michel, pardonne-moi. Enfin! Quel soulagement! Mais aussi, le dirai-je quelle déception! Comment, cet esprit qui m'avait paru si bienveillant, que dans ma candeur j'avais pris pour mon guide, pour ma conscience même, me trompait pareillement! C'était indigne! »
M. Til résolut alors de bannir ce méchant esprit en ne s'inquiétant plus de lui. Il eut toutefois à subir plus d'un retour offensif de cet automatisme (mais ne portant plus sur des faits vérifiables) avant d'en être délivré. Il s'est mis depuis lors à écrire des communications d'un ordre plus élevé des réflexions religieuses et morales. Ce changement de contenu s'est accompagné, comme c'est souvent le cas, d'un changement dans la forme psychologique des messages: ils lui viennent actuellement en images auditives et d'articulation, et sa main ne fait qu'écrire ce qui lui est dicté par cette parole intérieure. Mais cette médiumnité lui parait moins probante, et il se méfie que tout cela ne jaillisse de son propre fond. Au contraire, le caractère absolument mécanique de ses automatismes graphomoteurs du début, dont il ne comprenait la signification qu'en suivant les mouvements de ses doigts (par la vue ou la sensibilité kinesthésique) au fur et à mesure de leur exécution involontaire, lui semblait en parfaite garantie de leur origine étrangère. Aussi reste-t-il persuadé qu’il a été la victime momentanée d'un mauvais génie indépendant de lui; il trouve d’ailleurs à cet épisode pénible de sa vie l’excellent côté qu’il a raffermi ses convictions religieuses, en lui faisant comme toucher du doigt la réalité du monde des esprits et l’indépendance de l’âme.
Il y aurait bien des remarques à présenter sur ce cas, où l’on rencontre entre autre un bel exemple du caractère obsessif, pour ne pas parler de véritable possession que l’automatisme peut rapidement revêtir chez un sujet, sain de corps et d’esprit jusque là, qui s'adonne pendant quelques jours aux pratiques spirites. Mais je ne relèverai ici que les communications mensongères concernant le jeune Til et son prétendu vol. M. Til s'étonne fort que le démon qui prenait plaisir à le tromper le poussât en même temps, comme on a vu, à aller sans retard prendre des renseignements chez le patron de son fils. « C'est là, dit-il un phénomène qui me paraît encore bien curieux: l'esprit, après m'avoir mystifié, ne me laissa en quelque sorte pas un instant de tranquillité que je n'aie vérifié son assertion et que je n'aie constaté que j'étais victime de sa tromperie. » Cette hâte de l'esprit farceur à courir ainsi au-devant de sa propre confusion, est en effet singulière dans la théorie spirite. Toute l'aventure s'explique en revanche de la façon la plus simple, au point de vue psychologique, si on la rapproche des deux incidents suivants qui renferment à mes yeux la clef de l'affaire.
1° - A ce que M. Til m'a raconté lui-même, sans paraître d'ailleurs en comprendre l’importance, il avait remarqué, deux ou trois semaines avant son accès de spiritisme, que son fils fumait beaucoup de cigarettes, et il lui en avait fait l'observation. Le jeune garçon s'excusa en disant que ses camarades de bureau en faisaient autant, à l'exemple du patron lui-même, qui était un enragé fumeur et laissait traîner ses cigarettes partout, en sorte que rien ne serait phis facile que de s'en servir si l'on voulait. Cette explication ne laissa pas que d'inquiéter un peu M. Til, qui est la probité en personne, et qui se rappelle avoir pensé tout bas: pourvu que mon fils n'aille pas commettre cette indélicatesse !
2° -  Un second point, que m'a par hasard révélé Mme Til au cours d'une conversation, et que son mari m'a confirmé ensuite, c'est que le lundi en question, en allant de bonne heure à ses leçons, M. Til rencontra un de ses amis qui lui dit: « à propos, est-ce que ton fils quitte le bureau de M. X...? Je viens en effet d'apprendre qu'il cherche un employé. » (Il cherchait en réalité un surnuméraire). M. Til, qui n'en savait rien, en demeura perplexe et se demanda si   M. X... serait mécontent de son fils et songerait à le remplacer. En rentrant à midi chez lui, il raconta la chose à sa femme, mais sans en parler à son fils. C'est une heure plus tard qu'arriva le message calomniateur.
On aperçoit maintenant je pense, la nature et la genèse du malin esprit qui accusait faussement de vol le jeune garçon, tout en poussant son père à courir aux informations, et le lecteur aura déjà reconstitué ce qui a dû se passer chez M. Til. La question de soin ami, le lundi matin, lui a rappelé subconsciemment l’incident des cigarettes, grâce au genre d’inquiétude que cet incident avait laissé en lui, et se rapprochement a mis en branle l’imagination paternelle natuellement soucieuse de la réputation de son fils « Edouard, qui est incapable d’une malhonnêteté grave, se serait laissé tenter par les cigarettes du patron, comme je l’avais craint; on l’aura surpris et menacé d’un prochain renvoi; qui sait si le malheureux, qui est vil, n’aura pas achevé de se perdre en répliquant des sottises? Il faut absolument que j’aille voir son patron au plus vite, etc. » Telle est, ou à peu près la série de suppositions et d’inférences plus ou moins inconscientes qui ont évidemment servi de base aux obsessions graphomotrices de M. Til.
Il n'est aucun père, en somme, qui, dans ces circonstances, n'eût passé par des appréhensions semblables et raisonné de même. Seulement, ce qui dans un état d'esprit normal, se fût présenté sous la forme de souvenirs, pensées, émotions, etc., évoluant en pleine lumière ou vaguement sentis dans la pénombre de la conscience, mais sans jamais cesser de faire partie intégrante du Moi, a pris un caractère automatique et l'apparence d'une possession étrangère chez M. Till, sous l'influence de ses préoccupations spirites et dans la perturbation mentale due à la fatigue de sa nuit agitée et de ses essais d'écriture médiumnique des jours précédents. On constate que ce qui s'est séparé de sa personnalité principale, dans ce déséquilibrement de tout son être psychique, pour former un système antagoniste indépendant se manifestant par le mécanisme graphomoteur, c'est tout ce qui se rattache à l'émotion d'inquiétude sous-jacente, dormant en lui près de trois semaines et subitement réveillée par la question troublante de son ami. C'est le propre de l'inquiétude de se représenter une possibilité fâcheuse comme réelle en même temps que comme encore incertaine et demandant confirmation, et ce caractère contradictoire est justement celui de l'esprit qui obsédait M. Til.
Au total, la série de ces messages ne fait qu'exprimer – avec la mise en scène et l'exagération dramatique que prennent les choses  dans les cas où l'imagination peut se donner libre carrière (rêves, idées fixes, délires, états hypnoides de tout gêne) – la succession parfaitement naturelle et normale des sentiments et tendances qui devaient agiter M. Til en cette occasion. Les vagues insinuations, puis l'accusation catégorique de vol, et l'ordre d'aller voir le patron, correspondent aux soupçons d'abord indécis, puis prenant corps sur un souvenir concret, et aboutissant à la nécessité de tirer la chose au clair. L'entêtement avec lequel l'automatisme graphique répondait, par une accusation de duplicité, aux bons témoignages du chef de bureau, trahit clairement cette arrière-pensée de défiance et d'incrédulité qui nous empêche de nous abandonner sans réserve aux nouvelles les plus rassurantes, tant qu'elles ne sont point encore absolument confirmées. Enfin, quand le patron en personne a calmé M. Til, le regret subconscient d'avoir cédé à ses inquiétudes sans fondement sérieux, trouve son expression dans les excuses de l'esprit farceur;  le: je t'ai trompé, pardonne-moi, de ce dernier est bien l'équivalent, dans le dédoublement médiumnique, de ce que nous penserions tous en pareille circonstance: «  je me suis trompé et je ne me pardonne pas d’avoir été aussi soupçonneux. »
Il ne saurait donc être question, comme on voit, d’admettre ici  un autre esprit trompeur que M. Til lui-même, auteur et jouet  tout ensemble d'un désordre fonctionnel de ses propres facultés, dû à la disposition psychique anormale où l’avaient jeté ses tentatives médiumniques. Si l’on veut donner un nom à cette disposition psychique anormale, le plus approprié est assurément celui d’autosuggestibilité, pris bien entendu non comme une explication, mais, seulement comme une désignation commode pour un état spécial où certaines idées de l’individu, au lieu de garder leur juste  mesure et leurs rapports normaux avec le reste de sa conscience,  s'émancipent de son autorité, prolifèrent dans l’ombre et se systématisent pour leur compte, puis finissent par lui apparaître comme des parasites étrangers dans une explosion de phénomènes automatiques. En somme, ce que l'automatisme traduit au dehors, dans le cas de M. Til et dans celui de Mme Z..., c'est une sorte de petit roman, élaboré subliminalement, au moyen des données de la mémoire et de la perception, sous l'impulsion d'un état émotif plus ou moins intense, et avec l'aide de cette curieuse faculté de dramatisation et de personnification que, sans sortir de la vie quotidienne ordinaire, chacun peut voir à l'oeuvre dans le phénomène du rêve… »   

Nous retrouvons dans ces écrits automatiques le caractère mensonger signalé déjà dans les précédents. Mais au lieu d'attribuer ces inexactitudes à des esprits trompeurs, nous en découvrons la source dans l'écrivain lui-même, lorsque nous reconstituons son état mental au moment où il s'est livré à l'automatisme.
C'est donc un devoir pour l'investigateur sérieux de ne pas s'attacher exclusivement au caractère automatique pour se croire en rapport avec l'au-delà. Il devra chercher un critérium plus sûr de sa médiumnité, et il le trouvera en poursuivant ses recherches, si le phénomène le met en présence de certains faits tels que ceux que nous verrons plus loin, qui ne laissent pas de doute sur une intervention spirituelle.

Résumé

Les phénomènes que nous venons de passer en revue nous conduisent à l'affirmation de l'automatisme graphique naturel, résultat de la distraction, de l'auto suggestion et du somnambulisme partiel de l'état de la veille. Les matériaux intellectuels utilisés par cette écriture sont trés inégaux en valeur. Parfois rudimentaires, incohérents, mensongers, ils sont des fragments d'une vie psychologique élémentaire, à peine consciente d'elle-même. Dans d'autres conditions, les éléments psychiques sont systématisés dans une personnalité qui se  donne un nom. Sous cette forme sont extériorisés des pensées, des raisonnements, des inventions de l'imagination. Des résultats précis de l'activité de l'âme pendant le sommeil: travaux de longue haleine ou solution de problèmes, sont aussi mis à jour par ce procédé d'écriture automatique. Enfin la mémoire latente fournit les éléments de ces faits qui apparaissent comme des révélations de l'au-delà, mais qu'une étude approfondie nous montre comme nous appartenant, dissimulés, enfouis dans les profondeurs de la conscience. Résumons: l'automatisme de l'écriture, l'oubli immédiat des idées énoncées qui donne à l'écrivain l'illusion d'être sous l'influence d'une volonté étrangère, la personnification des idées, les notions qui gisent dans la mémoire latente, les impressions sensorielles inconscientes, tous ces faits se comprennent et s'expliquent par des raisons tirées de l'étude plus complète de l'intelligence humaine et ne supposent aucunement la nécessité de l'intervention des esprits.
La conclusion pratique à tirer de ces observations, c'est que nous devons récuser comme communications de l'au-delà les écrits qui ne renferment que des renseignements qui pourraient se trouver dans la conscience de l'écrivain, alors même qu'il ignore actuellement ce que sa main écrit, et qu'il ne se souvient pas d'avoir connu les détails qui sont donnés. Ce critérium pourra sembler trop absolu à beaucoup de spirites, mais ceux-ci ne doivent pas oublier que la méthode scientifique a des règles immuables et que chacun doit s'y soumettre. Il existe des principes méthodologiques qu'on ne peut impunément transgresser sans tomber dans l'erreur. Or, la logique enseigne qu'il ne faut pas multiplier les causes sans nécessité, c'est-à-dire chercher une seconde hypothèse lorsque celle que l'on a vérifiée suffit à l'explication de tous les cas. C'est ce qui arrive pour les messages qui ne contiennent que des faits contenus dans la conscience de l'automatiste. Les enseignements d'Allan Kardec, de Davis, de Hudson Tuttle et autres, nous invitent à suivre cette ligne de conduite; elle sera adoptée, sans aucun doute, par tous les chercheurs qui veulent avant tout ne pas se leurrer et prendre l'apparence pour la réalité. Nous y gagnons de pouvoir jeter par dessus bord tout le fatras des communications ridicules signées des plus grands noms, et les emphatiques et creuses révélations qui ont été élaborées dans la conscience somnambulique des écrivains. Cette épuration indispensable nous affranchit aussi, en partie, de l’explication des esprits farceurs, dont on avait positivement abusé.
La plupart des écrivains qui ont traité incidemment de écriture automatique ont borné leur étude aux phénomènes que nous venons de passer en revue. Ils n’ont pas osé aller plus loin, parce que devant certains résultats, il aurait fallu faire intervenir, pour l'explication, des facultés nouvelles de l’esprit telle que: la clairvoyance, la transmission de pensée, la télépathie, etc., qui n'ont pas reçu encore l’estampille officielle; alors ils ont trouvé plus simple, et surtout plus aisé, de passer sous silence les cas embarrassants, de sorte qu’ils n’ont fait qu’effleurer la question sans entrer dans l’examen des véritables difficultés qui accompagnent l’étude du spiritisme.
Nous qui n'avons pas les mêmes préventions et qui ne sommes ligottés par aucun des préjuges d'école nous allons entreprendre ce travail, sachant parfaitement qu'il peut nous attirer les critiques des spirites intransigeants et bornés, et celles des savants ignorants et prétentieux, qui s'imaginent naïvement que l'on n'osera pas aller au-delà des bornes, qu'ils ont fixées, comme si c'étaient les limites exactes du savoir humain. La tâche est ardue, car le terrain est tout à fait neuf;  mais nous avons bon courage; si nous nous trompons, ce ne sera peut-être pas complètement et il faut espérer qu'il restera quelque chose de notre effort, ne fût-ce que l'exemple d'avoir entrepris une oeuvre tout à fait indépendante.
 
CHAPITRE II

Automatisme, clairvoyance, prémonition

Sommaire: Nécessité de faire intervenir d’autres facteurs pour expliquer les faits constatés pendant l’automatisme – Les expériences du Professeur G.T.W. Patrick – La clairvoyance repoussée par les savants – Sa reconnaissance par la Société Anglaise de Recherches Psychiques – Les hypothéses des incrédules – Ils veulent tout expliquer au moyen de cette faculté – La clairvoyance à l’état de veille – Le cas Swedenborg – Les expériences sur la divination des cartes – Les recherches de M. Roux – Les expériences de M. Wilkins –   Les expériences du Docteur William Grégory sur la lecture à travers les corps opaques –  Peut-on lire la pensée? – Le cas du Docteur Quintard – La clairvoyance pendant le sommeil ordinaire – Vision de lieux éloignés – Clairvoyance avertissant d’un danger –  Une mère qui retrouve son fils  par clairvoyance – Faits révélés par l’écriture automatique, pouvant s’expliquer par la clairvoyance – Un bijou et une somme d’argent retrouvés en    rêve – Songes clairvoyants et prémonitoires – La lucidité pendant le sommeil magnétique – Le cas de Sébastopol – Lucidité  d’une somnambule controlée par le téléphone – Les recherches du Docteur Bakman – Une expérience de Karl du Prel – Conséquences des faits précédents – Démonstration de l’existence de l’âme par la clairvoyance – Le cas Wilmot – Rapport de la clairvoyance avec l’automatisme – L’automatisme pendant la transe – Les recherches du Docteur Moroni et de M. Rossi Pagnoni – Les faits que la clairvoyance ne peut expliquer – Résumé.

Les phénomènes d’écriture automatique que nous venons de passer en revue nous ont montré que, très souvent, l’automatisme, à ses débuts, est caractérisé par l’indécision, le vague, l’incohérence ou les mensonges des réponses. Cependant, presque toujours, une personnalité fictive s’organise ensuite, signe les messages, et elle est, suivant les tendances intellectuelles de l’écrivain, tantôt Clélia, tantôt Jésus-Christ, quand ce n’est pas Dieu lui-même comme chez la mystique Mme Guyon. Il est clair que si l’automatisme se rencontre chez un Moïse ou un Mahomet, il peut enfanter le Décalogue ou le Coran; mais chez les sujets d’esprit moyen, il se borne ordinairement à des compositions plus terre à terre, en parfaite harmonie avec la médiocrité des auteurs.
Rien dans les productions de ces automatistes ne montre une intervention spirituelle et il est assez facile, après examen, de ramener les quelques détails rétrospectifs qui s'y trouvent, parfois à un travail de la mémoire latente. Mais nous devons maintenant pénétrer plus profondément dans notre sujet en examinant les cas plus compliqués, où certains faits relatés par l’écriture ont toujours été ignorés de l'écrivain à l'état mental. Cette révélation est-elle  indiscutablement la preuve d'une intervention étrangère? Non, car il est fort possible que le détail inconnu soit perçu au moyen d'une faculté supérieure que l'on appelle la clairvoyance. Montrons d'abord comment s'introduit ce facteur nouveau.

Les expériences du  professeur  G. T. W. Patrick

Ce travail a été publié en Amérique par la Psychological Review de novembre 1898, volume V, No 6. page 555  .

« Nous apprenons, d'abord que la personne qui s'est prêtée aux expériences est un jeune homme de vingt-deux ans, Henri W..., étudiant à l'Université, paraissant jouir d'une excellente santé. Il a lu des ouvrages de spiritisme, quatre ans auparavant chez sa tante, mais ils n'ont fait sur lui aucune impression, et il a jugé les phénomènes spirites comme une superstition curieuse. En fait d'hypnotisme, il a assisté à deux ou trois séances données par un hypnotiseur de passage, il s'est offert à lui servir de sujet et on a remarqué qu'il était très sensible à cette action. »

Nous trouvons déjà réunies ici toutes les conditions que nous avons reconnues favorables au développement de l'automatisme; aussi ne serons-nous pas surpris de le voir écrire rapidement. Il est facilement hypnotisable, suggestible, et appartient à cette catégorie de nerveux prédisposés à l'écriture subconsciente, comme on va le voir par l'exposé des faits :

« Un jour, ayant lu quelques observations sur les suggestions post-hypnotiques, il en causa avec le professeur Patrick qui, sur sa demande, l'hypnotisa et lui donna pendant le sommeil l'ordre d'exécuter, au réveil, certains actes insignifiants, comme de prendre un volume dans une bibliothèque; ces ordres furent exécutés de point en point, et, comme c'est l'habitude, ils ne laissèrent après eux aucun souvenir.
Quelque temps après, le sujet apprit à l'auteur que, lorsqu’il tenait un crayon à la main et pensait à autre chose, sa main était continuellement en mouvement et traçait avec le crayon des griffonnages dénués de sens. C'était un rudiment d'écriture automatique. Patrick se décida à étudier cette écriture, il le fit en six séances, dont les trois dernières  furent séparées des premières par deux ans d'intervalle.
L'étude se fit de la manière suivante: on se réunissait dans une pièce silencieuse, le sujet tenait un crayon dans sa main droite et  appuyait le crayon sur une feuille de papier blanc, il ne regardait pas sa main, il avait la tête et le corps tournés de côté, et il tenait à sa main gauche un ouvrage intéressant, qu'il devait lire avec beaucoup d'attention (Procédé Salomons et Stein). Naturellement, comme les expériences étaient faites en partie sur sa demande, il se préoccupait beaucoup de ce que sa main pouvait écrire, mais il ignorait absolument ce qu'elle écrivait; on lui permit quelquefois, pas toujours, de relire ce que sa main avait écrit; il avait autant de peine que n'importe quelle autre personne à déchiffrer sa propre écriture. Dans quelques cas, on le pria de quitter la lecture de son livre et de suivre attentivement les mouvements de sa main, sans la regarder; il eut alors conscience des mouvements qu'elle exécutait: mais sauf ces cas exceptionnels, l'écriture était tracée automatiquement. Les questions étaient préalablement posées à mi-voix à Henri W. Celui-ci ne répondait pas et n'entendait pas, son attention étant distraite par la lecture du livre, mais sa main écrivait la réponse. Notons qu'il n'y a aucune raison de suspecter l'absolue bonne foi du sujet, dont la loyauté et la sincérité sont au-dessus de tout soupçon. Voici quelques-unes des expériences:

D. – Qui êtes-vous ?
R. – Laton.
D. – Quel est votre premier nom ?
R. – Bart.
D. – Quelle est votre profession ?
R. – Professeur.
D. – Etes-vous homme ou femme ?
R. – Femme.
Cette réponse est inexplicable, car dans la suite, le sus-dit Laton a toujours manifesté le caractère d'un homme.
D. – Etes-vous vivant ou mort ?
R. – Mort.
D. – Où avez-vous vécu ?
R. – Illinois.
D. – Dans quelle ville ?
R. – Chicago.
D. – Quand êtes-vous mort ?
R. – 1883.
Jusqu'alors rien d'extraordinaire, ni qui permette de savoir si oui ou non c'est un esprit ou l'imagination du sujet qui fait les réponses. Mais on va appliquer de suite un critérium en cherchant si la suggestion joue un rôle dans le phénomène. Si l'écriture reflète cette suggestion, c'est que l'on ne sera pas en présence d'une individualité indépendante, mais simplement en face d'un cas d'automatisme. Voici cette séance :
D. – Voyons, votre nom n’est pas du tout Bart Laton. Votre nom est Franck Sabine et vous avez vécu à Saint-Louis, et vous êtes mort le 16 novembre 1843. Répondez, qui êtes-vous ?
R. – Franck Sabine.
D. – Où êtes-vous mort ?
R. – A Saint-Louis.
D. – Quand êtes-vous     mort ?
R. – Le 14 septembr    e 1847.
D. – Quelle était  votre profession à Saint-Louis ?
R. – Banquier.
D. – Combien de mille dollars valiez-vous ?
R. – 750.000.
L'empire de la suggestion est manifeste pour le nom de la ville. La profession a changé ainsi que la date de la mort qui est due à la fantaisie de l'imagination. Une semaine après, Laton reparut :
D. – Qui écrit ?
R. – Bart Laton.
D. – Où avez-vous vécu ?
R. –  Chicago.
D. – Quand êtes-vous né ?
R. – 1845.
D. – Quel âge avez-vous ?
R. – Cinquante ans. (Rapprocher ceci de l'affirmation qu'il était né en 1845 et mort en 1883, ce qui ne ferait que 38 ans et non cinquante. (Incohérence manifeste).
D. – Où êtes-vous maintenant ?
R. – Ici.
D. – Mais je ne vous vois pas ?
R. – Esprit.
D. – Bien. Mais où êtes-vous comme esprit ?
R. – Dans moi, dans l'écrivain.
D. – Multipliez 23 par 22.
R. – 3540. (Incohérence).
D. – C'est faux. Comment expliquez-vous votre réponse ?
R. – Deviné.
D. – Maintenant, l'autre jour, vous avez répondu que vous étiez quelqu'un d'autre. Qui êtes-vous ?
R. – Stephen Langdon. (Variation, peut-être association par consonnance entre Langdon et Laton).
D. – De quel pays ?
R. – Saint-Louis. (Le rappel de la suggestion ramène le nom du pays suggéré une semaine auparavant).
D. – Quand êtes-vous mort ?
R. – 1846. (La date de la mort varie encore une fois).

Toutes les réponses contradictoires fournies par le soi-disant Laton montrent avec évidence son origine subconsciente, qui n'est autre que l'esprit de Henri W. lui-même en état de distraction. Pour peu que l'on excite le prétendu Laton, on trouve immédiatement ce fond de grossièreté et de mensonge ingénu que nous avons déjà plusieurs fois signalé et que l’on attribuait jadis aux mauvais esprits. En voici un exemple :
D. – Quel était l'occupation de M. Laton à Chicago ?
R. – Charpentier.
D. – Il y a deux ans, vous m'avez dit qu'il était professeur.
R. – Eh bien! Moi j'avais l'habitude d'enseigner.
D. – Dansez-vous ?
R. – Nous ne dansons plus quand nous avons quitté la terre.
D. – Pourquoi ?
R. – Vous ne pouvez pas comprendre. Nous ne sommes plus que partiellement matériels.
D. – Quand vous êtes à écrire, comme maintenant, que fait la partie de vous-même qui n'est pas matérielle ?
R. – Elle est quelque part ou nulle part.
D. – Montez-vous à bicyclette ?
R. – Seulement par l'intermédiaire de Henry W.
D. – Il y a deux ans, vous écriviez votre nom: Laton. Comment rendez-vous compte de ce changement d'orthographe ?
R. – Trop de Latons: c'est mieux comme le dernier.
D. – Vous êtes un effronté simulateur. Qu'avez-vous à répondre à cela ?
R. – Taisez-vous, pauvre vieil idiot. Croyez-vous que je suis obligé de répondre exactement à toutes vos damnées questions? Je puis mentir toutes les fois que cela peut me plaire. »

Cet automatisme rudimentaire n'a pas eu le temps de s'organiser solidement, de constituer une personnalité cohérente, parce que les exercices ont été peu nombreux, et séparés d'ailleurs par un intervalle de deux années. Nous n'en aurions pas parlé si parmi les divagations de l'écriture, il ne s'était trouvé çà et là, quelques renseignements exacts sur des faits ignorés par Henry W. Par exemple :

D. – Qui écrit ?
R. – Bart Laton.
D. – Qui était major à Chicago quand vous êtes mort ?
R. – Harrison (Exact).
D. – Combien avez-vous vécu à Chicago ?
R. – Vingt ans.
D. – Vous devez bien connaître la ville ?
R. – Oui.
D. – Commencez par Michigan Avenue et nommez Ies rues dans l'Ouest.
R. – Michigan, Wasbasch, State Clarke (hésitation)... J'ai oublié. Henry W. interrogé connaissait seulement trois de ces noms.

Dans une autre circonstance, le professeur Patrick demande au sieur Laton s’il serait capable de lui donner une communication  d’un de ses amis décédé. L'écriture trace le nom de George White, oncle de M. Patrick, mort pendant la guerre de Secession. Henry W. ignorait ce nom, quoiqu'il ait eu l'occasion de voir écrit en entier le nom du professeur qui est: George Thomas-White-Patrick. Interrogé sur la personnalité de George White, Laton fit une foule d'erreurs sur son genre de mort, la date de sa mort, etc.
En somme, au milieu du fatras des réponses insignifiantes, on distingue les rudiments d'une faculté clairvoyante qui permet à l’écriture de raconter des faits que Henry W. n'a pu connaître normalement. Après avoir signalé la pauvreté intellectuelle des messages, M. Binet dit :

« Mais ce pauvre esprit parait avoir de temps en temps de belles et brillantes facultés intuitives; il semble connaître des choses que Henry W. ignore et n'a pu apprendre. Patrick a étudié de près ce côté de la question, il a fait des enquêtes pour vérifier avec le plus grand soin les affirmations de Laton. Le plus souvent, ces affirmations se sont trouvées erronées; mais, parfois, il y a eu quelque chose qui semble dépasser les moyens ordinaires de connaissance. Patrick ne cherche point à expliquer cette faculté d'intuition, mais il pense qu'on ne peut la nier complètement, car on la retrouve dans beaucoup d'observations analogues et elle est comme un trait de caractère du personnage qui se manifeste par l'écriture automatique. L'opinion de Patrick parait être que cette faculté d'intuition est une faculté naturelle, perdue par l'homme civilisé, comme cette acuité des sens que l'on observe encore, parait-il, chez les sauvages. »

Nous voici donc en présence d'une nouvelle modalité intellectuelle que M. Binet appelle une faculté intuitive, c'est-à-dire celle qui permet d'acquérir des connaissances sans l'intermédiaire des sens. Il y a longtemps que les magnétiseurs et les spirites ont signalé ce pouvoir de l'âme et démontré son existence sous le nom de clairvoyance. Mais, comme tant d'autres de leurs affirmations, celle-ci a été rejetée dédaigneusement par les savants, qui ne pouvaient pas admettre une faculté en si flagrante opposition avec leurs hypothèses matérialistes. Ils ont eu cependant l'occasion fréquente d'observer des faits de vision sans le secours des yeux, de transmission de pensée, ou de télépathie dans leurs recherches sur l'hypnose, mais systématiquement, ils repoussaient l'évidence, pour ne pas porter atteinte aux dogmes sacro-saints dont ils sont les pontifes. Ecoutez Charcot avouer sans vergogne sa partialité :

« L'hypnotisme est un monde où, à côté des faits palpables, matériels, grossiers, côtoyant toujours la physiologie, on trouve des faits absolument extraordinaires, inexplicables jusqu’à présent, qui ne répondent à aucune loi physiologique et complètement étranges et surprenants, j’ai étudié les premiers et laissé de côté les seconds . »

Le Docteur Gibier, de son côté, signale cette obstruction antiscientifique en ces termes  :

« Il est certain que dans les expériences de catalepsie, de suggestion que pratiquent les médecins et également, il faut bien le dire, hélas! Les empiriques, un élément étranger semble quelquefois s’introduire sur la scène, mais jusqu’ici, quand cet inconnu se présentait, on interrompait l’expérience parce que, dans ce cas, selon le mot du professeur Lassegue: « on ne sait pas où l’on va! » Aujourd’hui, sans que l’on sache bien où l’on va, est-ce que l’on n’a pas le droit d’être un peu plus hardis, et tout en restant dans les limites d’une sage prudence, ne peut-on pas enregistrer les observations qui se présentent pour les classer et les rassembler dans un catalogue en temps propice? »

Voilà dix ans que ces lignes ont été écrites et il semble que le désir de l’éminent bactériologiste a été complètement réalisé.

La Société anglaise de Recherches Psychiques

Ce n’est malheureusement pas en France qu’il faut chercher des exemples d’indépendance intellectuelle. Notre monde officiel est routinier et ressent une véritable horreur pour toutes les nouveautés; aussi est-ce en Angleterre que fut constituée la première société qui prit pour but d’étudier sérieusement les faits psychologiques anormaux, afin de vérifier la réalité des manifestations spirites, etc.
Fondée à Londres et à Cambridge en 1882, elle conquit rapidement une haute et légitime influence, grâce à la précision minutieuse de ses enquêtes et à l’impartialité de ses investigateurs. Elle comprend un très grand nombre de membres et d’associés appartenant aux classes les plus distinguées de la nation, soit par la fortune, soit par l’intelligence. La liste de ses adhérents comprend 36 pages des Proceedings, qui sont l’organe de cette société.
Le président était, en 1900, l’illustre William Crookes. Elle compte parmi ses vice-présidents: le professeur Barrett, de la Société Royale; le marquis de Bute; le professeur William James, de l’Université d’Harvard; lord Raleigh; l’évêque de Ripon, etc. Dans son conseil d’administration figurent: Richard Hodgson, le professeur Olivier Lodge, membre de la Société Royale, H. Myers, Podmore, etc. parmi ses membres honoraires: Aksakof et Alfred Russel Wallace, et elle a en France pour membres correspondants les docteurs: Beaunis, Bernheim, Dariex, Ferré, P. Janet, Liébault, Sabatier, etc.
Ses travaux, qui se publient mensuellement, forment à présent une collection de faits d’une grande importance, car elle renferme la plus riche moisson de phénomènes authentiques que l’on puisse consulter sur les facultés subconscientes et transcendantales de l’être humain. Sa haute valeur résulte de la méthode strictement scientifique avec laquelle les faits sont étudiés. C’est à ce trésor que nous puiserons, le plus souvent, afin de nous affranchir des critiques qui pourraient nous être faites sur la validité des observations que nous citerons dans notre discussion sur la clairvoyance.
Depuis vingt ans, l’impression produite par les travaux de cette Société a été telle, que les psychologues du monde entier s’occupent aujourd’hui des recherches psychiques. Si tous ne sont pas encore convaincus, un certain nombre, du moins, admettent la transmission de la pensée et la faculté de voir sans le secours des yeux et veulent même se servir de ses connaissances nouvelles pour expliquer la révélation, par l’écriture, de faits inconnus du médium.
Examinons cette question fort importante pour les spirites afin de savoir quelle part nous devons faire à cette faculté dont l’existence n’est plus guère contestable aujourd’hui.

Les hypothèses des incrédules

« Nous avons nié jusqu’alors, disent les adversaires du Spiritisme, la réalité de ces manifestations extra-corporelles de l’être humain qui lui permettent de voir à une grande distance – malgré les obstacles interposés – les évènements qui s’y accomplissent, de même que nous ne croyions pas possible la transmission de la pensée par d’autres procédés que le geste, la parole ou l’écriture; mais puisque des faits très nombreux, très bien observés, ne permettent plus le doute, nous admettons l’existence de ces pouvoirs nouveaux, et, logiquement, nous nous en servons pour expliquer – sans faire intervenir les Esprits – pourquoi et comment les communications, dites spirites, contiennent parfois des renseignements ou des connaissances que l’écrivain n’a pu acquérir par les sens. » Il est évident que cette manière de raisonner serait inattaquable si elle résolvait toutes les difficultés en face desquelles nous place l’examen des communications. Mais il en est un certain nombre que ni la clairvoyance, ni la transmission de pensée n’expliquent, de sorte que le raisonnement précédent ne peut s’appliquer qu'à quelques-unes des productions de l'automatisme. Les critiques n'ont pas su ou pas voulu faire cette distinction, de sorte que passant d'une extrémité à l'autre, ils ont donné à ces facultés amimiques une importance et une extension qu'elles n'ont pas en réalité. Voici deux exemples de cette manière de discuter  :

« La transmission de la pensée d'un mort n'explique pas nécessairement la survivance des morts. Une pensée peut avoir été transmise au médium avant la mort de l'agent et sa production au jour n'avoir lieu qu'après cette mort. Le cas peut se compliquer si un médium lit dans la pensée d'un vivant A, une pensée qui y a jadis été  imprimée, par une personne actuellement morte et que cette pensée est restée dans la région complètement inconsciente de l'esprit de A.
Voilà pourquoi la discussion entre les immortalistes et leurs adversaires n'aura pas de fin, car ceux-ci pourront toujours répondre à ceux-là par ce dilemme: ou la révélation que vous nous donnez comme une preuve de l'immortalité de l'âme est vérifiable, ou elle ne l'est pas. Si elle ne l'est pas, elle n'apprend rien de certain. Si elle l'est, elle l'est par des documents que l'esprit du médium peut connaître directement par transmission mentale venant de quelque vivant ayant connu le mort. »

Ainsi formulée, la conclusion de l'auteur est beaucoup trop absolue; d'abord parce qu'il existe des preuves physiques indéniables de la survivance, telles que les matérialisations, les photographies et les moulages des Esprits ; en second lieu, parce que le médium, fût-il clairvoyant, ne peut pas lire dans tous les cerveaux, et principalement dans celui des personnes qu'il ne connaît pas et où, cependant, il devrait, dans beaucoup de cas, puiser les renseignements qui se rapportent au mort qui est censé se manifester.   
Cette exagération dans l'hypothèse, cette tentative d'enlever au spiritisme ce qui fait sa force, c'est-à-dire la preuve que l'esprit d'un mort peut se communiquer, semble devenir le mot d'ordre des sceptiques. Ils espèrent parsemer de chausse-trappes les expériences spirites, et susciter dans les âmes sincères de si sérieuses suspicions que celles-ci, rebutées par la difficulté de ces études, les abandonneront par lassitude ou découragement.
Voici la note pessimiste  que fait entendre Monsieur le Professeur Flournoy, un des plus distingués parmi les adeptes de l’école en question :

« Je crains pour les médiums et les spirites pratiquants que, lorsque leur hypothèse aura été  scientifiquement démontrée, le résultat n’en soit fort différent de ce que beaucoup l’imaginent. Il pourrait bien arriver que le culte du guéridon, l’écriture mécanique, les séances et tous les autres exercices médiumniques ne reçussent précisément leur coup de mort de la reconnaissance officielle des esprits par la science. Supposons, en effet, que les recherches contemporaines aient enfin prouvé clair comme le jour qu'il y a des messages venant réellement des désincarnés; il ressort déjà de ces mêmes recherches, avec non moins d'évidence que dans les cas les plus favorables les messages véritables sont terriblement difficiles à démêler de ce qui n'est pas authentique. Ils se présentent noyés dans une si formidable mixture de confusions, d'erreurs, d'apparences illusoires de toutes sortes, que vraiment – à moins d'avoir le temps et la patience du Dr Hodgson et un médium aussi remarquable que Mme Piper (ce qui est exceptionnel), – c'est une folle prétention que de vouloir, dans un cas donné, assigner ce qui proviendrait véritablement des désincarnés, et le discerner avec certitude au milieu de ce qui doit être au contraire attribué aux souvenirs latents du médium, à son imagination subconsciente, aux suggestions involontaires et insoupçonnées des assistants, à l'influence télépathique des vivants plus ou moins éloignés, etc. Quand les gens auront compris que ce triage est presque toujours au-dessus de notre pouvoir, ils se dégoûteront peut-être d'expériences où ils ont quatre vingt-dix-neuf chances contre une d'être dupes d'eux-mêmes ou d'autrui, et où, chose encore plus vexante, même s'ils avaient le bonheur de tomber sur la centième chance, ils n'auraient aucun moyen de le savoir! »   

M. Flournoy ne se pique pas de logique, puisqu'il consacre un gros volume de 400 pages à l'étude des phénomènes d'apparence spiritique présentés par Mlle Smith, preuve que ce sujet l'intéresse. D'ailleurs, il est original de constater comment il se réfute lui-même, deux pages plus haut, en ces termes  :

« Ce n'est pas une question banale que de se demander si les individualités humaines ou animales continuent à intervenir d'une façon effective dans les phénomènes physiques, physiologiques ou psychologiques de cet univers, après la perte de leur organisme corporel et visible. S'il y a des faits qui l'établissent d'une manière péremptoire, que de problèmes en jaillissent et quel champ inattendu d'investigation cela n'ouvre-t-il pas à nos sciences expérimentales! Et si l'hypothèse est fausse, quoi de plus captivant que l'étude des singuliers phénomènes qui ont pu lui donner naissance, la recherche des causes véritables dont l'enchevêtrement parvient à simuler avec plus ou moins de perfection le retour des défunts dans notre monde observable! On comprend donc que même dépouillée de tous les accessoires émotionnels dont elle s’enveloppe si facilement dans le cœur et l’imagination des hommes, la question de l’immortalité empirique et des interventions spirites, apparentes ou réelles, conserve son importance scientifique et mérite d’être discutée avec la calme sérénité, l’indépendance, la rigueur d’analyse, qui sont le propre de la méthode expérimentale. »

Essayons donc de conserver cette « calme sérénité » dont l'auteur genevois s'est parfois écarté, afin d'étudier froidement dans quelles circonstances nous devons faire intervenir la clairvoyance pour l'explication des phénomènes, ajournant la transmission de la pensée au chapitre suivant que nécessite l'importance de cette question.

La clairvoyance à l'état de veille

On appelle clairvoyance, double vue ou lucidité, la faculté d'acquérir des connaissances sans ressentir l'influence de la pensée des personnes présentes et sans se servir des organes des sens. On peut constater l'exercice de ce pouvoir à l'état de veille, dans le sommeil ordinaire et pendant le somnambulisme naturel ou provoqué. Examinons chacun de ces cas et voyons quels rapports peuvent exister entre l'automatisme et la clairvoyance.
L'antiquité tout entière a cru que certains personnages célèbres possédaient ce don. Apollonius de Tyane, si l'on en croit Philostrate, décrivait d'Ephèse, au moment même où il eut lieu, l'assassinat de Domitien par l'affranchi Stéphanus . La critique moderne a classé ce fait, comme bien d'autres, parmi les légendes, dans son impuissance à le comprendre;  mais puisque de nos jours on observe des phénomènes semblables, il y a lieu de croire que les récits anciens n'étaient pas tous des fictions et qu'ils démontrent l'universalité de cette faculté. L'histoire de Swedenborg offre un remarquable exemple de double vue, que nous allons rapporter, parce qu'il a été contrôlé par Kant. Voici dans quels termes le grand philosophe allemand rend compte de son enquête .

« Pour vous donner, ma gracieuse Demoiselle, quelques moyens d'appréciation (quant aux facultés de Swedenborg) dont tout le public encore vivant est témoin, et que la personne qui me les transmet a pu vérifier en lieu et place, veuillez me permettre de vous apprendre le fait suivant :
Le fait qui suit me parait avoir la plus grande force démonstrative et devoir couper court à toute espèce de doute. C'était en l'an 1754 que M. de Swedenborg, vers la fin du mois de septembre, un samedi, vers quatre heures du soir, revenant d'Angleterre, prit terre à Gothembourg. M. William Castet l'invita en sa maison avec une société de quinze personnes. Le soir, à six heures M. de Swedenborg qui était sorti, rentra au salon, pâle et consterné, et dit qu'à l'instant même il avait éclaté un incendie à Stockholm, au Südermalm, et que le feu s'étendait avec violence vers sa maison. Il était fort inquiet (rappelons que la maison de Swedenborg était disposée d'une façon spéciale, pour faciliter ses communications avec les Esprits), et il sortit plusieurs fois. Il dit que déjà la maison d'un de ses amis qu'il nommait, était réduite en cendres, et que la sienne propre était en danger. A huit heures, après une nouvelle sortie, il dit avec joie: « Grâce à Dieu, l'incendie s'est éteint à la troisième porte qui précède la mienne. »
Cette nouvelle émut fort la société, ainsi que toute la ville. Dans la soirée même, on en informa le gouverneur. Le dimanche, au matin, Swedenborg fut appelé auprès de ce fonctionnaire qui l'interrogea à ce sujet. Swedenborg décrivit exactement l'incendie, ses commencements, sa fin et sa durée. Le même jour, la nouvelle s'en répandit dans toute la ville, qui s'en émut d'autant plus que le gouverneur y avait porté son attention, et que beaucoup de personnes étaient en souci de leurs biens ou de leurs amis. Le lundi au soir, il arriva à Gothembourg une estafette que le commerce de Stockholm avait dépêchée pendant l'incendie. Dans ces lettres l'incendie était décrit exactement de la manière qui vient d'être dite. Le mardi, au matin arriva auprès du gouverneur un courrier royal avec le rapport sur l'incendie, sur la perte qu'il avait causée et sur les maisons qu'il avait atteintes, sans qu'il y eut la moindre différence entre ces indications et celles que Swedenborg avait données. En effet, l'incendie avait été éteint à huit heures.
Que peut-on alléguer contre l'authenticité de cet événement? L'ami qui m'écrit a examiné tout cela, non seulement à Stockholm, mais il y a environ deux mois, à Gothembourg même; il y connaît bien les maisons les plus considérables  et il a pu se renseigner complètement auprès de toute une ville dans laquelle vivent encore la plupart des témoins oculaires, vu le peu de temps écoulé depuis 1756. (1759). »

Nous possédons aujourd'hui un nombre assez considérable de récits contemporains, minutieusement contrôlés, pour nous obliger à croire que la double vue est une réalité. Dassier ; les Proceedings de la Société des Recherches psychiques; les Annales des sciences psychiques , et le récent ouvrage de Flammarion , en contiennent une quanité dont la vérification a été bien faite, de sorte que l’existence de cette faculté de voir sans le secours des yeux est établie maintenant avec certitude. Dans quelle mesure ce pouvoir sert-il à expliquer la révélation de faits que l’automatiste n’a pu connaître normalement ?
Une vision comme celle de Swedenborg est consciente; il se rappelle tous les détails de la scène, qui vient de se dérouler, mais un automatiste est le premier à être surpris du fait inconnu que son écriture lui révèle; comment donc peut-il ignorer que c’est lui-même qui a été clairvoyant? De la même façon qu’il ne sait pas ce que sa main trace sur le papier. Rappelons encore qu’il est, le plus souvent, dans cette phrase d’hémi-somnambulisme qui est la cause de l’oubli de toutes les pensées qui s’extériorisent graphiquement, de sorte que les perceptions de la clairvoyance lui deviennent aussi étrangères que ses idées propres. Il ne faut donc pas se hâter d’affirmer que la révélation d’un fait inconnu de l’écrivain est une preuve absolue de l’intervention des esprits. Prenons comme exemple une expérience de Crookes, il dit  :

« Une dame écrivait automatiquement au moyen de la planchette. J'essayais de découvrir le moyen de prouver que ce qu'elle écrivait n'était pas dû à l'action inconsciente du cerveau. La planchette, comme elle le fait toujours, affirmait que quoiqu'elle fût mise en mouvement par la main et le bras de cette dame l'intelligence qui la dirigeait était celle d'un être invisible, qui jouait du cerveau de la dame comme d'un instrument de musique, et faisait ainsi mouvoir ses muscles.
Je dis alors à cette intelligence: «  voyez-vous ce qu'il y a dans cette chambre? – Oui, écrivit la planchette. Voyez-vous ce journal et pouvez-vous le lire? Ajoutai-je en mettant mon doigt sur un numéro du Times qui était sur une table derrière moi, mais sans le regarder. – Oui, répondit la planchette. – Bien, dis-je, si vous pouvez le voir, écrivez maintenant le mot qui est couvert par mon doigt et je vous croirai. » La planchette commença à se mouvoir lentement et avec beaucoup de difficulté, elle écrivit le mot honneur. Je me détournai et je vis que le mot honneur était couvert par mon doigt. Lorsque je fis cette expérience, j'avais évité à dessein de regarder le journal, et il était impossible à la dame, l'eût-elle essayé, de voir un seul des mots imprimés, car elle était assise à une table, le journal était sur une autre table derrière moi, et mon corps lui en cachait la vue. »

Sommes-nous, dans ce cas, en présence d'un Esprit désincarné qui a vu le mot caché par le grand chimiste? C'est très possible, mais nous n'en avons pas la certitude, puisque nous pouvons attribuer le fait à une faculté de clairvoyance du médium et que nous devons donner la préférence aux facteurs humains avant de faire intervenir l'au-delà. Ce qui rend cette expérience peu décisive, c'est que nous connaissons maintenant un grand nombre d'exemples où la clairvoyance s'exerce sans que le sujet sache par quel procédé il met en oeuvre cette faculté. C'est ainsi que souvent une personne devine des cartes sans les retourner, et les résultats exacts dépassent de beaucoup ceux que le calcul des probabilités permet de prévoir. Voici un exposé de Mme Sidgwick  qui nous paraît concluant à cet égard :

« Ces expériences consistent à deviner des cartes extraites d'un paquet, sans qu'elles aient été vues par personne. Mon amie a fait environ 2585 expériences de ce genre et, dans 187 cas, elle a deviné les cartes exactement, à la fois selon leur nom et leur nombre de points. Pourtant, dans 75 de ces cas, il a fallu faire deux essais (comme par exemple, pour savoir si c'était le trois de coeur ou le trois de pique). En comptant ces cas comme demi-succès, nous arrivons à un total de 149, 5 succès trois fois plus grand que le nombre que le calcul des probabilités attribue au hasard.
Toutes les expériences mentionnées plus haut ont été faites alors qu'elle était entièrement seule. Elle est si habituée à être seule que toute compagnie la trouble dans tous les genres de travaux qui exigent de la concentration mentale. C'est pourquoi il n'est pas surprenant que les expériences que nous avons faites ensemble, dans des conditions de la grande agitation ou d'excitation relativement ordinaire, n'aient pas réussi. »

On connaît la grande autorité de Mme Sidgwick en ces matières et le scrupule qu'elle apporte à ne citer que des faits incontestables, nous pouvons donc admettre que la clairvoyance est ici en jeu, car jamais le hasard ne donne un nombre de réussites trois fois plus grand que le nombre probable. Signalons les ressemblances qui existent entre l'état de cette dame pendant l'expérience et celui des automatistes.
En premier lieu, elle ne voit pas la carte, elle la devine, par une sorte d'intuition et ne peut s'assurer qu'elle a deviné juste qu'en retournant la carte. Elle a donc perdu le souvenir du procédé par lequel elle a acquis cette connaissance;  secondement, il faut au sujet un état de concentration mentale assez intense, puisque la moindre excitation suffit à le troubler. Nous pensons que ce recueillement amène un état hypnoïde léger, lequel facilite beaucoup la perception extra-sensorielle de cette dame.
Il semble que ce soit là une condition nécessaire à l'exercice de cette clairvoyance, car un autre expérimentateur, M. Jean Ch. Roux, qui a obtenu des succès nombreux dans la divination de la figure des cartes, de leur valeur, les yeux bandés et sans les toucher, dit aussi  :

« Tel est le résumé de mes modestes expériences. Leur grand tort, je l'avoue, c'est d'avoir été faites dans la solitude; mais devant un assistant, je m'énerve, je pense qu'il va se moquer de moi et je me trompe. Je ne suis arrivé à aucun résultat positif; mais j'ai pu déterminer, me semble-t-il, que la vue et le toucher ne sont pour rien dans les phénomènes de lucidité. »

Nous savons que l'écriture automatique exige aussi le silence et le recueillement; nous ne serons donc pas tentés d'attribuer aux esprits la révélation de la valeur d'une carte, lorsque cela aura lieu par l'écriture automatique, comme dans le cas suivant .

Expériences de M. Wilkins

« Dans les expériences de télépathie, deux cerveaux humains sont placés aux deux extrémités de la communication télépathique; on constate qu'il se produit une transmission de certains mouvements émanant de l'un de ces cerveaux jusqu'à l'autre. Il est tout naturel de se demander ce qui se passerait si, à l'un des pôles, un objet inanimé était mis à la place de l'un des cerveaux humains. Il semble évident que les vibrations parties de l'autre cerveau ne pourraient influencer l'objet inanimé; mais on peut se demander si ce dernier ne reproduirait pas, par l'intermédiaire du processus télépathique, une réaction quelconque sur le cerveau mis en relation avec lui.
Pour s'en assurer, il suffisait de donner au processus télépathique une direction volontaire vers quelque objet inaccessible aux organes des sens, et de rendre perceptible le résultat obtenu.
Pour faire l'expérience, je tirai au hasard une carte d'un jeu, en tenant constamment le revers en haut et je la posai sur une table: de cette manière personne ne pouvait connaître la carte et gâter l'expérience par une suggestion mentale involontaire. Je proposai ensuite à une personne présente, Mme Zogwinoff, femme d'un colonel habitant Tachkent et ayant non pas une grande habitude, mais une certaine pratique de l'écriture automatique, de deviner la carte à l'aide de ce procédé. Cette proposition fut accueillie par l'hilarité générale de tous les assistants, et moi-même je n'étais pas éloigné de la considérer, a priori, comme absurde. Néanmoins le succès fut complet et la carte fut désignée exactement.
Depuis lors, j'ai répété cette même expérience un très grand nombre de fois, en faisant varier les dispositions, par exemple en enfermant la carte dans une enveloppe, en substituant à la carte un mot écrit  ou un tracé de figure géométrique: la réussite a été plus ou moins complète. J'ai constaté notamment, comme paraîssent l'avoir fait tous ceux qui ont effectué des recherches sur les phénomènes de ce genre, qu'il y a des jours favorables pour les expériences et que, par contre, il y en a de mauvais. Les expériences faites dans des journées appartenant à cette dernière catégorie, dont le caractère déterminant est encore inconnu, ne donnent que des résultats incomplets ou négatifs.
Les expériences que je viens d'indiquer ont réussi avec deux personnes qui ne se connaissaient pas l'une l'autre. L'une était, comme je l'ai dit, Mme Zogwinoff, et l'autre Mlle Catherine Homoutoff, fille d'un juge, toutes deux résidant encore à Tachkent. Je n'ai dit à aucune de ces deux personnes comment procédait l'autre, cependant le mode ou proeédé de divination a été identique chez toutes deux. Cette similitude dans des actions inconscientes doit avoir assurément une raison d'être, et il y a lieu de la remarquer.
Pour produire l'écriture automatique, Mme Zogwinoff tenait tout simplement le crayon dans sa main, tandis que Mlle Homoutoff préférait employer le procédé de la planchette. Chez toutes deux la main quittait le papier sur lequel était appuyé le crayon prêt à écrire et se dirigeait assez lentement vers la carte; le crayon en faisait le tour deux ou trois fois, après quoi la main revenait sur la feuille de papier. Ce phénomène se répétait ordinairement plusieurs fois pendant la durée de l'expérience. La carte n'était jamais nommée immédiatement et en une seule réponse. L'opération était assez longue, et c'est seulement à force d'insistance et après des questions répétées que le nom de la carte était indiqué peu à peu. Parfois la réponse était entrecoupée de mots inutiles et plus ou moins plaisants écrits par le crayon.
Voici un exemple d'une expérience de ce genre.
Question: Quelle est cette carte ?
Réponse: Une figure.
Q.    – Quelle figure ?
R.    – Un béret.
Q.  –  Alors c'est un valet ?
R.  – Regarde toi-même et tu verras.
Q.  – De quelle couleur est-il ?
R.  – Rouge.
A une nouvelle demande ayant pour objet l'indication définitive de la carte, le crayon répondit en traçant un losange. En retournant la carte on constata que c'était effectivement le valet de carreau.
Les deux personnes nommées plus haut m'ont déclaré que, pendant toutes ces expériences, elles n'ont jamais perçu aucune sorte de pressentiment conscient ayant trait au problème posé: les réponses ont toujours été, pour elles-mêmes comme pour les assistants, de véritables surprises.
Tels sont les faits que la présente note a pour objet de signaler. »

Les recherches du professeur Grégory

La remarque faite par M. Wilkins, qu'il a obtenu peu de succès en opérant avec des mots écrits cachés sous une enveloppe, pourrait faire croire qu'il y a dans cette expérience une difficulté plus grande que pour la désignation d'une carte. Nous allons citer des faits rapportés par William Grégory, professeur à l'Université d'Edimbourg, qui montrent que cette lecture se produit assez fréquemment, même à l'état de veille, avec des sujets entraînés .

« Il faut observer, dit-il, que le clairvoyant peut souvent percevoir des objets enveloppés dans du papier ou enfermés dans des boites ou autres réceptacles opaques. Ainsi, j'ai vu des objets décrits dans leur forme, leur couleur, leurs dimensions, leurs marques, etc. alors qu'ils étaient enfermés dans du papier, dans du coton, des boites en carton, en bois, en papier mâché (sic) et en métal. J'ai eu en outre la connaissance des lettres, minutieusement décrites, l'adresse, les empreintes postales, le cachet et même le contenu déchiffré, bien que les lettres fussent enfermées dans des enveloppes épaisses ou dans des boites. Aucun fait n'est mieux attesté que celui-ci. Le major Buckley, qui semblerait posséder, à un degré peu ordinaire, le pouvoir de produire chez ses sujets cette forme particulière de la clairvoyance, a mis, je crois, 140  personnes, dont beaucoup sont très instruites et d'un rang élevé, et 89 de celles-ci, même pendant l'état de veille, en état de lire, avec une exactitude presque invariable, bien qu'avec des erreurs accidentelles, des devises (mottoes) imprimées, enfermées dans des boîtes ou des coques de noix...
Voici quelques détails supplémentaires donnés dans une autre partie de l'ouvrage, qui ne manquent pas d'intérêt :
Le major Buckley a ainsi produit la clairvoyance consciente (à l'état de veille) chez 8o personnes dont 44 ont été capables de lire des devises contenues dans des coques de noix, cachetées par d'autres personnes en vue de ces expériences. La devise la plus longue ainsi lue contenait 98 mots. Beaucoup de sujets lisaient devise après devise sans aucune faute. De cette façon les devises contenues dans 4860 coques de noix, ont été lues, quelques-unes sans doute en état de sommeil magnétique, mais la plupart par des personnes en état conscient (état de veille) dont plusieurs même n'avaient jamais été endormies... Toute précaution avait été prise. Les noix enfermant les devises, par exemple, avaient été achetées chez 40 fabricants différents et cachetées avant d'être lues. On doit ajouter que des 44 personnes qui ont lu des devises à l'état de veille, 42 appartiennent à la plus haute classe de la société; et les expériences ont été faites en présence de beaucoup d'autres personnes, les expériences me semblent admirablement conduites, et je ne vois aucune raison quelconque de douter de l'entière exactitude des faits. »

Il nous paraît donc établi que l'indication d'un fait inconnu du médium, tel que la divination d'une carte, l'indication d'un mot caché par une enveloppe, celle d'une somme contenue dans la poche d'un assistant, peut toujours se comprendre en faisant appel à la clairvoyance, tant que d'autres caractères du message n'indiquent pas l'intervention d'une intelligence étrangère. Notons cependant que cette clairvoyance de l'automatiste ne s'exerce que pour des objets immédiatement à la portée de l'écrivain. Il semble que ce pouvoir soit rapidement limité, car lorsqu'on veut faire désigner un objet dans la salle voisine, toute indication exacte cesse. Nous aurons l'occasion d'utiliser cette remarque pour faire des distinctions entre l'automatisme et la médiumnité.

La lecture de la pensée

Il est extrêmement intéressant pour nous de savoir si un être particulièrement doué est capable, non de recevoir la pensée, mais d'en prendre connaissance par une lecture directe dans le cerveau d'un autre individu. Spécifions ici qu'il ne s'agit pas de ces lectures de pensées comme en ont faites Pickman, Cumberland, etc, lesquelles nécessitent un contact physique entre l'agent et le percipient, et qui peuvent s'expliquer par des agents physiques (mouvement de la main, respiration, gestes inconscients, etc.), mais une véritable lecture dans la pensée de l'expérimentateur, opérée à distance, le percipient restant à l'état normal.
Les faits de cette nature sont si rares que nous ne les mentionnons que pour être complet. On ne connaît que le cas du Dr Quintard qui soit absolument authentique; nous allons le citer, mais il est exceptionnel et nous nous rangeons complètement à l'avis des savants auteurs des Phantasms qui disent :

« Le mot de « lecture de pensée » dont on s'est servi tout d'abord a plusieurs inconvénients. Tout d'abord on l'a appliqué à des faits qui peuvent se ramener à l'interprétation de mouvements inconscients. Puis, le mot de  « lecture de pensée » a effrayé et choqué certaines gens; supposer que l'esprit d'un homme soit ouvert comme un livre où chacun puisse lire, ce serait nier, semble-t-il, les conditions mêmes sur lesquelles reposent les relations sociales. En réalité, aucun esprit n'est ouvert ainsi à l'esprit d'autrui. Il faut que le sujet concentre sa pensée avec une grande intensité, ce qui est souvent très pénible, pour qu'on puisse la déchiffrer. Le sujet n'est point comme une page écrite qu'on peut lire à son gré. »

On voit par cette citation combien est exagérée, chimérique, la croyance qui attribue au médium la faculté de lire dans le cerveau du consultant pour lui donner les renseignements qu'il désire. L'expérience prouve que si l'opérateur ne veut pas projeter sa pensée sur le médium, celui-ci ne peut en prendre connaissance; il est donc absurde d'imaginer qu'il pourrait puiser les documents qui se rapportent à un individu mort, dans le cerveau d'une personne quelconque qui a connu le défunt, quand il n'existe aucune relation entre le dit médium et cette personne.

Le cas du Docteur Quintard

« Voici l'observation que M. le Dr Quintard a communiquée en 1894 à la société de médecine d'Angers :
Ludovic X est un enfant de moins de 7 ans, vif,  gai, robuste et doué d'une excellente santé; il est absolument indemne de toute tare nerveuse. Les parents ne présentent non plus rien de suspect au point de vue neuropathologique. Ce sont des gens d'humeur tranquille qui ne savent rien des outrances de la vie.
A l'âge de 5 ans, cependant, cet enfant marche sur les traces du célèbre Inaudi. Sa mère ayant voulu, à cette époque, lui apprendre la table de multiplication, s'aperçut, non sans surprise, qu'il la récitait aussi bien qu'elle. Bientôt bébé, se piquant au jeu, en arrivait à faire, de tête, des multiplications avec un multiplicateur formidable. Actuellement, on n'a qu'à lui lire un problème pris au hasard dans un recueil et il en donne aussitôt la solution. Celui-ci, par exemple: « Si on mettait dans ma poche 25,50 F,  j'aurais trois fois ce que j'ai, moins 5,40 F. Quelle est la somme que j'ai? » A peine l'énoncé est-il achevé que bébé, sans même prendre le temps de réfléchir, répond, ce qui est exact: 10,30 F. On va ensuite chercher à la fin du livre, parmi les plus difficiles, cet autre problème: « le rayon de la terre est égal à 6366 km; trouver la distance de la terre au soleil, sachant qu'elle vaut 24000 rayons terrestres. Exprimer cette distance en lieues? » Le bambin, de sa petite voix bredouillante, donne, également sans hésiter, cette solution qui est celle du recueil: 38.196.000 lieues !
Le père de l'enfant ayant d'autres préoccupations, n'avait, tout d'abord, apporté aux prouesses de son fils qu'une attention relative. A la fin, il s'en émut pourtant, et, comme il est quelque peu observateur, au moins par profession, il ne tarda pas à remarquer:
1° - que l'enfant n'écoutait que peu, et quelquefois pas du tout la lecture du problème;
2° -  la mère, dont la présence est une condition expresse de la réussite de l'expérience, devait toujours avoir, sous les yeux ou dans la pensée, la solution demandée. D'où il déduisit que son fils ne calculait pas, mais devinait, ou, pour mieux dire, pratiquait sur sa mère « la lecture de pensée »; ce dont il résolut de s'assurer. En conséquence, il pria Mme X d'ouvrir un dictionnaire et de demander à son fils quelle page elle avait sous les yeux, et le fils de répondre aussitôt: « Ç'est la page  450 », ce qui était exact. Dix fois il recommença et dix fois il obtint un résultat identique.
Voilà donc Bébé, de mathématicien devenu sorcier, – disons devin –, pour ne pas l’offenser! Mais sa remarquable faculté de double vue ne s'exerce pas seulement sur les nombres. Que Mme X.., marque de l'ongle un mot quelconque dans un livre, l'enfant questionné à ce sujet donne le mot souligné. Une phrase est écrite sur un carnet; si longue soit-elle, il suffit qu'elle passe sous les yeux maternels pour que l'enfant, interrogé, même par un étranger, répète la phrase mot par mot sans avoir l'air de se douter qu'il accomplit un tour de force. Pas n'est besoin même que la phrase, le nombre ou le mot soient fixés sur le papier; il suffit qu'ils soient bien précis dans l'esprit de la mère, pour que le fils en opère la lecture mentale.
Mais le triomphe de Bébé, ce sont les jeux de société. Il devine l'une après l'autre toutes les cartes d'un jeu. Il indique, sans hésiter, quel objet on a caché à son insu, dans ce tiroir. Si on lui demande ce que contient une bourse, il mentionnera jusqu'au millésime des pièces qui s'y trouvent. Où l'enfant est surtout drôle, c'est dans la traduction des langues étrangères. On croirait qu'il entend clairement l'anglais, l'espagnol, le grec. Dernièrement un ami de la maison lui demandait le sens de cette charade latine: « lupus currebat sine pedibus suis ». Bébé s'en tire à la satisfaction générale. »

Le Dr Quintard a fait examiner le jeune prodige par un de ses confrères le Dr Tesson, qui affirme avoir vérifié de point en point tout ce que le Dr Quintard a signalé dans son étude.
Remarquons qu'ici il n'y a pas de suggestion de la part de la mère. Elle ne désire pas communiquer sa pensée, et la transmission a lieu souvent contre son gré; c'est l'enfant qui exerce involontairement sa faculté de clairvoyance. En voici la preuve décisive :

« Toute médaille, dit encore le Dr Quintard, a son revers. Quand Bébé fut en âge d'apprendre sérieusement à lire, sa maman, qui s'était dévouée à cette tâche, remarqua, non sans chagrin, que, sous sa direction, son fils ne faisait aucun progrès. Devinant tout, il n'exerçait ni son jugement ni sa mémoire. Il fallut mille soins ingénieux pour mener la barque à bon port. On conçoit donc que Mme X… dut avoir peu de goût pour la suggestion vigile. »

Il se rencontre rarement des cas où la lecture de pensée soit aussi nette, mais il faut noter un point très important, c'est que l'enfant ne lit pas toutes les pensées de sa mère. Il n'a connaissance que de celles qui le concernent directement, et seulement au moment où on appelle son attention. Il est nécessaire que la maman ait la conscience très claire de la phrase, du nombre que l'enfant perçoit psychiquement. Il ne pourrait lire indistinctement dans l'esprit de la mère toutes les pensées qui y sont emmagasinées. Son pouvoir, déjà très grand est limité aux pensées actuelles nettement formulées.
C'est surtout le rapport intime entre la Mère et l'enfant qui facilite cette clairvoyance, mais comme il n'existe généralement pas dans les expériences spirites et que l'on ne connaît que ce cas, nous n'insistons pas.

La clairvoyance pendant le sommeil ordinaire

La clairvoyance s'exerce très fréquemment pendant le sommeil normal; il est facile de le constater par l'abondance des récits qui sont relatés dans les ouvrages que nous avons cités. Lorsque le dormeur se souvient de sa vision, il peut ensuite en contrôler l'authenticité. C'est ainsi que Melle Maria, le sujet du Dr Ermacora, « reconnait des lieux qu'elle voit pour la première fois, comme identiques à des lieux vus en rêves . » Le cas que nous reproduisons de suite montre ce phénomène s'exerçant comme une faculté presque normale.

Vision de lieux inconnus

Dans son livre sur l'Inconnu, M. Camille Flammarion classe les faits suivants parmi les rêves prémonitoires, mais ils démontrent en même temps l'exercice d'une remarquable faculté de clairvoyance. Voici cette observation, prise parmi  45 autres exemples  :

« Je me présente moi-même, Pierre-Jules Bertelay, né à Issoire (Puy-de-Dôme) le 24 octobre 1825, ancien élève du lycée de Clermont, prêtre du diocèse de Clermont en 1850, ancien vicaire pendant huit ans à Saint-Eutrope (Clermont), trois fois inscrit au ministère de la guerre comme aumônier militaire.
1° - Après treize ans de pénible ministère, j'étais très fatigué, d'autant plus que j'avais dû servir de contremaître surveillant au nom de la fabrique, pour la gracieuse église de Saint-Eutrope, à Clermont; pendant quatre ans, j'ai suivi les ouvriers depuis 10.50 M, dans l'eau des fondations, jusqu'à la croix de la flèche. C'est moi qui ai posé les trois dernières ardoises. Notre professeur, M. Vincent, pour me faire changer de travaux, me fit venir à Lyon, où je n'étais jamais allé. Un des premiers jours mon élève me dit, en sortant de déjeuner: « Monsieur l'abbé, voulez-vous nous accompagner à notre domaine de Saint-Just Doizieux? » J'accepte; nous voilà en voiture. Après avoir passé Saint-Paul-en-Jarret, je pousse une exclamation: « Mais je connais le pays! » dis-je, et de fait, j'aurais pu m'y diriger sans guide. Au moins un an auparavant, j'avais vu pendant mon sommeil toutes ces petites terrasses en pierres jaunes.
2° - Je suis rentré dans mon diocèse, mais on m'a envoyé remplir dans les montagnes de l'Ouest une mission très pénible, au-dessus de mes forces. Je suis resté sept mois très malade à Clermont. Enfin je puis me tenir sur mes jambes. On m'envoie remplacer l'aumônier de l'hôpital d'Ambert frappé par une congestion cérébrale. Le chemin de fer d'Ambert n'était pas encore construit. J'étais dans le coupé de la voiture faisant le service de Clermont à Ambert. Après avoir dépassé Billom, je jette les yeux à droite et je reconnais le petit castel avec son avenue d'ormeaux, comme si j'y avais vécu, je l'avais vu pendant mon sommeil, au moins dix-huit mois auparavant.
3° - Nous sommes à l'année terrible. Ma mère qui avait vu les alliés parader dans les Champs-Elysées à Paris, est veuve, elle me réclame comme son seul soutien; on me donne une petite paroisse proche d'Issoire. La première fois que je suis allé voir un malade, je me suis trouvé dans des ruelles étroites, entre de hautes murailles noires, mais j'ai parfaitement trouvé le débouché. J'avais pendant mon sommeil, plusieurs mois auparavant parcouru ce dédale de ruelles sombres.
4° - Des événements indépendants de ma volonté m'ont amené à Riom, où je me prépare au grand voyage. Quelle n'est pas ma surprise de retrouver, comme une vieille connaissance, la chapelle que mon camarade l'abbé Faure avait bâtie pour les soldats, que je n'avais jamais vue de mes yeux, et dont j'ignorais même l'existence! J'aurais pu faire le croquis que je vous adresse comme si j'avais servi de contremaître.
      Berthelay, prêtre

Il eût été intéressant de savoir si ces visions étaient antérieures à toute appréhension du changement de résidence, car, souvent, l'inquiétude, le désir d'être renseigné sur notre avenir ou sur le sort d'un être aimé, suffisent pour développer la double vue pendant le sommeil. Dans le cas suivant, le bruit de la tempête, perçu pendant le sommeil, est sans doute l'origine de l'accès de clairvoyance qui a déterminé le sujet à se porter au secours de son mari  .

Clairvoyance avertissant d'un danger

« Il y a quelques années, j'habitais une propriété située à quelques kilomètres de Papeete, chef-lieu de nos établissements français en Océanie.
J'avais dû me rendre à une séance de nuit au Conseil Général, et vers minuit, quittant la ville, seul dans ma petite charrette anglaise, je fus assailli par un orage épouvantable. Mes lanternes s'éteignirent. La route que je suivais, bordée par la mer, était absolument noire; mon cheval prit peur et s'emballa. Tout d'un coup je ressentis un choc violent: ma voiture venait de se briser contre un arbre. Les deux roues étaient restées avec leur moyeu au lieu de l'accident et moi, projeté entre le cheval et le caisson à moitié broyé, j'étais entraîné par l'animal affolé dans une course au cours de laquelle j'aurais dû cent fois me tuer. Cependant, n'ayant pas perdu mon sang-froid, je parvins à calmer mon cheval et à descendre de l'épave sur laquelle je me trouvais. J'appelai au secours pour la forme, me trouvant en pays absolument désert.
Tout à coup, j'aperçois une lumière paraissant se diriger vers moi, et quelques instants après, ma femme arrive, ayant parcouru une distance d'environ 2 kilomètres pour venir directement sur le théâtre de l'accident.
Elle me raconta qu'étant endormie, elle s'était éveillée subitement, voyant très nettement que j'étais en danger de mort, et, sans hésiter, elle avait allumé une lanterne, et sous la pluie torrentielle était accourue à mon secours. Il m'était arrivé bien souvent de revenir de la ville en pleine nuit, mais jamais ma femme n'avait éprouvé la moindre inquiétude à mon sujet. Cette nuit-là, elle a vu réellement ce qui m'arrivait, et n'a pu résister à l'impérieux besoin de se porter à ma rencontre. Quant à moi, je n'ai aucune souvenance d'avoir dirigé un ardent appel mental de son côté, et j'ai été, je l'avoue, complètement stupéfait quand, à plus de cent mètres de moi, j'ai entendu une voix me crier :
«  Je sais que tu es blessé, mais me voilà ».                Jules Texier à Chatellerault

L'ardent désir de revoir un être cher qui est au loin et dont on n'a pas de nouvelles, peut aussi amener chez les personnes prédisposées un accès de clairvoyance, pendant lequel le sujet acquiert des connaissances précises qui lui permettent de rejoindre l'absent. En voici un exemple démonstratif rapporté par M. Paulhan .

Une mère qui retrouve son fils par clairvoyance

« Il y a quelques mois, me trouvant au mas  de C…dans le département du Gard, j'entendis parler d'un rêve qui avait permis à Mme R..., domestique chargée de la direction de la ferme, de retrouver son fils, parti depuis longtemps. Je questionnai Mme R. Sur ma demande, elle voulut bien écrire un récit du fait qui m'intéressait; je pus aussi, grâce à elle, me procurer quelques autres renseignements. Voici le récit de Mme R.
« Etant obligée de quitter mon pays pour nourrir ma petite famille, nous sommes allés tenir une ferme.... Un jour, l'aîné de mes trois fils s'est manqué avec son père et il est parti, nous sommes restés quelque temps sans savoir où il était; je m'en inquiétais beaucoup... Un jour, ne pouvant plus tenir... j'ai eu recours à mon Dieu, sachant qu'il pouvait tout pour moi; toujours le temps passe et jamais de nouvelles; mais Dieu m'a donné cette pensée: demandez et vous recevrez, déchargez-vous sur moi, de tout ce qui peut vous inquiéter et j'aurai soin de vous. Et je dis: c'est vrai, Seigneur, je vais, te demander mon fils. Et je suis tombée à genoux et je criais « Seigneur, souviens-toi de ta promesse, donne-moi mon fils, fais-moi revoir mon fils où il est et j'irai le prendre.» Je me suis couchée avec calme, croyant que Dieu m'avait entendue; je le bénis de ce que ça été vrai pour moi; je rêve mon fils dans la ville de C..., je remarque la maison de mon rêve, disant: une autre fois tu la trouveras, et nous avons bien parlé en la quittant. Je me sais réveillée, je ne pouvais pas croire que ce fût un rêve, j'avais vu mon fils et il me semblait réel. Je racontai mon rêve à mon mari et je lui dis: « Je veux y aller et je suis convaincue que je le trouverai. » Mon mari me dit: « tu es folle, tu veux aller à C… et peut-être qu’il est à V… Tu ne sais pas le chemin, tu te perdras, jamais tu n’as été dans cette ville, tu ne peux pas y aller. » Mais moi qui crois aux promesses de Dieu, je persiste et on se décide à me laisser partir et je vous promets que c'est par la foi que j'y allai. »
Ici Mme R. raconte qu'elle part pour C... Dans le train, elle rencontre une dame qui l'interroge et manifeste sa surprise. Elle arrive à C... « Me voici pleine de confiance pour mon Dieu, je commence de demander à la gare à tous les hommes de peine, personne ne le connaissait, je le demande à tout le monde que je trouve sur mon chemin et surtout à ceux que je vois comme lui... (C’est-à-dire de la même condition sociale). Je cherche toute la journée presque sans rien trouver. Le train allait passer et en souci je me suis recommandée à Dieu; étant décidée de partir, je m'en allais à la gare; j'étais encore loin que je regarde d'un côté, de l'autre, croyant toujours le voir en quelque part, et en regardant, j’ai vu la maison où j'avais vu mon fils dans mon rêve. Je dis: « Merci, mon Dieu, mon fils est ici.» C'était un café plein de monde, j'avais toujours recours à mon Dieu; une dame est sortie, je me suis approchée, je lui ai demandé. « Vous ne connaîtriez pas un jeune homme, comme ça et comme ça? » Et là on me l'a indiqué et je l'ai trouvé grâce à mon Dieu. Depuis lors j'y crois de tout mon coeur, et malgré toutes mes peines et tous mes soucis, j'ai toujours la paix de l'âme et le repos que le monde ne peut donner. »

La sincérité de ce naïf récit est affirmée par le témoignage du fils retrouvé, d’un autre des enfants de Mme R. et de sa belle-soeur, qui a été instruite de suite du rêve clairvoyant, et qui n'y a ajouté foi que lorsque les événements futurs l'eurent confirmé.
Nous pouvons citer un cas qui nous a été raconté par la personne clairvoyante. Le voici :

« Nous connaissons une dame qui, pendant le cours d'un procès, avait le plus grand intérêt à savoir où demeurait une personne qui s'était cachée. Une nuit, elle rêva quelle se trouvait dans une rue de Paris qu'elle ne connaissait pas mais dont elle lut le nom sur la plaque indicatrice – et qu'elle pénétrait dans une certaine maison. – Dans la cour, à gauche, elle vit l'appartement où demeurait cette personne. A son réveil, elle conserva le souvenir très net de son rêve, se rendit dans la rue, vérifia la réalité de sa vision, et sur ses indications, et malgré les dénégations du concierge, elle put faire constater officiellement la présence dans cette maison de la personne qu'elle y avait vue en rêve. »

Dans tous ces exemples, c'est parce que le souvenir se retrouve vivace après le réveil que la vérification peut avoir lieu. Mais nous avons constaté que la vie psychique de l'âme peut parfaitement être oubliée, de sorte que si cela s'était produit pour Mme R. elle n'aurait pu retrouver son fils, à moins que par un procédé particulier la mémoire du rêve n'ait été extériorisée de manière à parvenir jusqu'à la conscience normale. Or nous savons que l'écriture automatique est particulièrement propre à mettre au jour ces pensées qui sont enfouies au plus profond de nous-mêmes. Nous devons donc tenir grand compte de cette    possibilité lorsque l'état émotif du sujet sera puissamment excité par le désir de savoir ce qu'est devenu un être cher, et même si le renseignement exact est donné au nom d'une personnalité défunte, qui n'a pas démontré son identité, nous ne pouvons pas avoir la certitude que c'est bien l'esprit du mort qui a révèlé ce fait inconnu du médium à l'état normal. Citons deux de ces cas que l'on peut interpréter aussi bien par la clairvoyance que par une intervention spirituelle.

Faits pouvant s'expliquer par la clairvoyance

« Un monsieur  J. W. H. inquiet du sort de son fils Herbert, qui avait quitté l'Angleterre pour se rendre en Australie, à Adélaïde, pour s'y créer une situation, reçut, le 16 août 1885, par sa femme, au nom de la soeur de celle-ci, la communication que voici: « Je suis allée à Adélaïde pour voir Herbert. Il est tout à fait bien portant et il a réussi à trouver un emploi. » Et à cette question: « Chez qui? » L’interlocutrice répondit: « A la compagnie des usines d'Adélaïde . » Une lettre reçue ultérieurement démontra que ces renseignements étaient vrais.
Nous trouvons réunies ici les conditions qui peuvent engendrer la clairvoyance. L'inquiétude de la mère sur le sort de son enfant a fort bien pu être la cause déterminante de la vision. Peut-être celle-ci s'est-elle produite pendant le sommeil naturel du médium, puisqu'elle n'en a aucun souvenir pendant l'état normal, mais le souvenir oublié reparait par l’intermédiaire de l'écriture automatique et emprunte la signature habituelle qui est celle de la soeur. »

Voici un second cas qui a peut-être la même cause.

« Pendant un grand voyage que fit le juge Edmonds, ses amis restés à New-York, eurent à différentes reprises de ses nouvelles par l'intermédiaire d'un médium. Lorsqu'il revint, il constata que les renseignements fournis étaient parfaitement exacts, car ils coïncidaient avec ceux portés aux mêmes dates sur son journal de route . »

Rigoureusement étudiés, les faits de cette nature peuvent s'expliquer par la clairvoyance; et en vertu du principe que nous avons adopté, nous devons donner la préférence à cette hypothèse.
Mais en revanche, lorsque les conditions nécessaires à la clairvoyance n'existent pas, et que l'on obtient malgré cela des renseignements justes, il faut absolument admettre l'existence d'une intelligence, vivante ou morte, différente de celle des assistants qui, elle, connaît ces faits. Nous en verrons de nombreux exemples dans la troisième partie.
Pour bien montrer que notre raisonnement n'est pas une simple induction, nous allons citer un exemple de lucidité pendant le sommeil ordinaire et à demi oublié, puis la clairvoyance complète du même fait pendant le somnambulisme. L'expérience a été faite par le Dr Ferroul député, maire de Narbonne, et le procès-verbal qui relate ce remarquable phénomène est signé des huit personnes qui y ont assisté .

Lecture à travers un pli opaque cacheté

« Le 19 novembre 1894, le Dr Ferroul réussit, avec son sujet Anna B..., une expérience très curieuse de lecture à travers un pli opaque, pli à travers lequel une personne normale douée d'une bonne vue, ne peut pas lire par transparence. Ce pli se compose:
1° - d'une enveloppe extérieure verte et opaque;
2° - d'une seconde enveloppe en papier anglais, incluse dans celle-ci;
3° - de deux feuilles de papier à lettre quadrillé enveloppant;
4° - une autre feuille, sur laquelle deux vers ont été écrits. Cela fait donc deux enveloppes de papier portant l'inscription à lire.

L'enveloppe extérieure verte est scellée avec cinq cachets du côté de la fermeture; un cachet supplémentaire est placé sur l'autre face de l'enveloppe, de manière qu'il soit en regard et s'oppose à l'un des cachets précédents scellant un des coins de l'enveloppe. Un trou avait été fait à l'enveloppe à l'endroit que devaient occuper les deux cachets opposés l'un à l'autre, afin que la cire, pénétrant par ce trou, fixât la seconde enveloppe dans la première et ne permit pas de la retirer sans la déchirer. Trois petits points à peine perceptibles avaient été marqués à la plume, sur l'enveloppe extérieure, par M. Goupil, qui en avait soigneusement mesuré les distances millimétriques respectives. M. Goupil avait aussi dessiné les cachets et soigneusement relevé leurs contours et les taches noirâtres dont ils étaient parsemés, afin d'être bien sûr de pouvoir reconnaître et bien contrôler ses propres cachets.
L'enveloppe extérieure portait sur les coins, les lettres «a,b,c,d » tracées au crayon (le « b » vu à l'envers, pouvait être pris pour un « 2 »); le « a » était emprisonné entre les deux cachets qui s'opposaient l'un à l'autre et qui traversaient la première enveloppe;  c'est peut-être à cause de cette circonstance que la lucide n'a pas vu cette lettre cachée de part et d'autre par la cire.
Le pli fut confié au Dr Ferroul, qui ignorait complètement ce qu’il contenait, pour qu’il le fit lire par son sujet mis par lui en état de somnambulisme. Quant il eut fait l'expérience, il revint avec le pli et une feuille de papier sur laquelle il avait consigné les révélations du sujet.
Après un examen très attentif, le pli fut retenu tout à fait intact. Le Dr Ferroul remit alors à M. Faure la feuille de papier mentionnant les révélations suivantes :
«  Enveloppe blanche papier anglais, « d,a,c ».
«  Papier carrelé, un autre papier dedans.
«  Il fait deux vers l'homme: il ne se fiche pas de moi !
«  Votre parti certainement
«  Se tue par l'assainissement.»
Lecture et examen de cette feuille ayant été faits par les huit témoins de cette expérience, M. Goupil remit le pli à M. Aldy, avocat, pour qu'il le décachetât et que les témoins se rendissent compte, séance tenante, du résultat obtenu. »

Ainsi qu'en fait foi le procès-verbal dressé immédiatement, le succès de l'expérience était complet.
Voici donc une preuve bien nette de clairvoyance pendant le sommeil magnétique. Mais  Anna B. avait entendu parler de cette expérience avant qu'elle ne se fît, et sa préoccupation avait été assez forte pour déterminer la lucidité pendant le sommeil ordinaire. Sur la feuille remise par le Dr  Ferroul était la mention suivante: en se réveillant elle me dit l'avoir rêvée et l'avoir dit à quelqu'un. Ce quelqu'un est venu m'affirmer la chose. Voici l'explication complémentaire de cette note :
« Après que la lucide eût déclaré ce qu'il y avait dans le pli, le Dr Ferroul la réveilla et lui fit part de ce qu'elle avait dit,
« Tiens, fit-elle, je l'ai rêvé il y a trois jours et j'ai dit à X que je lisais un pli où il y avait deux vers se terminant en ment, mais tout ce que je me rappelais, c'est que le dernier mot était assainissement. » M. Ferroul fit alors venir la personne en question, qui lui affirma qu'Anna B... lui avait bien dit cela. »
Imaginons qu'au lieu de faire dire oralement par le sujet les vers qui étaient inscrits dans l'enveloppe, on ait fait écrire Anna B... dans une séance spirite, il est probable que le souvenir qui était demi-conscient se serait extériorisé par la plume, comme nous l'avons déjà vu, et l'on eût pu croire qu'il y avait intervention d'un esprit qui témoignait ainsi sa présence, alors que, seules, les facultés transcendantes d'Anna B. étaient en jeu.
La clairvoyance n'exige pas toujours, pour se produire, des motifs aussi graves que ceux que nous venons de voir en œuvre. L'émotivité du sujet peut être mise en branle par des évènements moins dramatiques, par des faits de la vie ordinaire qui n'ont pas une importance capitale, tels, par exemple, que la perte d'un bijou, d'une petite somme d'argent, des préoccupations professionnelles, etc. Citons quelques exemples, afin de montrer la variété des faits qui pourraient être révélés par l'écriture automatique, sans que les esprits       intervinssent .

Un bijou et une somme d'argent retrouvés en rêve

« Le cas suivant a été publié par le P. Royce, de Harward (qui connaît le nom du témoin) dans les Proceedings de l'Américain S. P. R. V. I, n° 4, Mars 1889.
Il y a plusieurs années, je fus invitée à venir voir une amie qui habitait une grande et belle maison de campagne sur l'Hudson. Peu de temps après, j'entreprenais, avec beaucoup d'autres hôtes, le tour des terres qui étaient très étendues. Nous marchâmes au moins une heure et explorâmes les terres très complètement. En rentrant à la maison, je découvris que j'avais perdu un bouton de manchette en or, auquel je tenais beaucoup comme souvenir. Je me rappelai seulement que je l'avais encore quand nous commençâmes la promenade, mais je n'y avais plus pensé, je n'avais remarqué sa disparition qu'au retour. Comme il faisait très sombre, il semblait inutile de le chercher, surtout parce qu'on était en automne et que la terre était couverte de feuilles mortes.
La nuit, je rêvai que je voyais une grappe de raisin flétrie, sur une vigne grimpant le long d'un mur, avec un tas de feuilles mortes à la base. Sous les feuilles, dans mon rêve, je voyais distinctement mon bouton briller. Le matin suivant, je demandai aux amis avec qui je m'étais promenée, si eux ils se rappelaient avoir vu un mur avec une vigne, car moi je ne m'en souvenais pas. Ils répondirent qu'ils n'en avaient pas la moindre idée. Je ne leur dis pas pourquoi je leur posais cette question, car j'étais un peu gênée pour raconter mon rêve; mais je trouvai quelque excuse pour retourner seule dans les terres. Je marchai en tous sens et j'arrivai tout à coup à un mur avec une vigne, exactement comme il m'était apparu dans mon rêve. Je n'avais pas la plus petite idée de les avoir vus ou d'avoir passé près de là la veille. Les feuilles étaient entassées au pied de la vigne comme dans mon rêve. Je m'approchai avec précaution, me sentant gênée et positivement sotte, et je dérangeai les feuilles. J'en avais éparpillé un grand nombre quand l'éclat de l'or me frappa les yeux, et là, je vis le bouton, exactement comme je l'avais rêvé. »

Puisque ce bouton était caché par des feuilles, il nous paraît vraisemblable que ce n'est pas à une perception  inconsciente  qu'est  due  la découverte, mais à un véritable phénomène de clairvoyance, comme le suivant, que nous empruntons toujours à M. Myers.

« Le rêve assez remarquable qui suit a eu lieu le 20 novembre 1856. Ce jour-là je donnai à notre jardinier G. Vilmot ses gages (15 shellings) dans une demi-feuille de papier, des lettres pour la poste, deux paquets et un mot à laisser dans différentes maisons qui se trouvaient sur son chemin pour se rendre chez lui. Il était six heures du soir... Environ une heure après, le jardinier revint pour me dire qu'il avait perdu ses gages. Je lui conseillai de retourner sur ses pas et de chercher avec tout le soin possible, mais il le fit sans succès; et comme il faisait une belle nuit et que la ville était pleine de monde il finit par renoncer à sa recherche et rentra chez lui à un mille de là.

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